Affaire « scandale au Chu de Cocody. Bagarre entre Témoins de Jéhovah et l’équipe médicale » : Graves révélations de l’époux de la défunte, Dame Dié Zimou

Le mercredi 7 février 2018, nous avions publié, dans Soir Info n° 6997, un article relative à une affaire de « refus de transfusion sanguine » impliquant des Témoins de Jéhovah, qui s’était soldée par le décès de Dame Dié Zimou, une esthéticienne de 26 ans, au Chu de Cocody. Dame Dié Zimou est-elle morte parce que son mari et ses parents présents, Témoins de Jéhovah, lui ont refusé une transfusion sanguine ? Comment la police est-elle venue à s’impliquer dans cet incident ? Nous avons pu rencontrer le mari de la défunte, M. Ogunludé Siméon. Voici son témoignage.

Pouvez-vous nous expliquer brièvement les circonstances de la mort de votre épouse, lors de son accouchement au Chu de Cocody, le 31 janvier 2018 ?  

Merci pour l’occasion que vous me donnez d’exposer les circonstances réelles de ces événements qui ont conduit au décès de mon épouse. J’ai accompagné ma femme, le mardi 30 janvier 2018, au soir, autour de 21 heures, au Chu de Cocody. Elle y a été évacuée de l’hôpital communautaire d’Abobo Bc (Csu Com Bc). Elle est restée là et le lendemain matin, le mercredi 31 janvier 2018, autour de 6 h30, on m’a informé que ma femme avait accouché d’une petite fille.  

Avez-vous vu le bébé et sa mère ?

J’ai même vu le bébé, et j’ai vu ma femme qui était encore couchée. Lorsqu’elle a entendu ma voix, elle m’a appelé. Mais, je ne pouvais pas entrer dans la salle d’accouchement. On m’a alors demandé d’aller chercher du café pour elle. C’était autour de 7 h. À mon retour, on m’a appris que ma femme n’allait pas bien. On l’a fait sortir de la salle d’accouchement pour aller vers le bloc.

Lorsque vous avez trouvé votre femme consciente, avec toutes les facultés, les médecins ne vous ont-ils pas fait cas d’une hémorragie ou d’une quelconque complication pendant l’accouchement ?  

Non !  

Que s’est-il passé par la suite ?

L’une des sages-femmes m’a dit que mon épouse n’allait pas bien. On l’a donc fait sortir de la salle d’accouchement pour aller vers le bloc. Une ordonnance m’a, par la suite été remise pour acheter des médicaments à la pharmacie de l’hôpital. C’est à ce moment que j’ai su que les médecins voulaient faire une transfusion sanguine à ma femme.

Comment vous vous en êtes aperçu ?

En effet, lorsque que j’ai été envoyé à la pharmacie de l’hôpital pour acheter les médicaments que les docteurs avaient prescrits, un des médecins qui suivaient mon épouse est venu à la même pharmacie pour prendre du sang. Je lui ai demandé pour qui il prenait ce sang. Il m’a dit que c’était pour ma femme. Je l’ai donc informé que ma femme et moi ne prenons pas de sang pour des raisons religieuses et de conscience (Genèse 9:3, 4 ; Deutéronome 12:16, 23 ; Actes 15: 28, 29).  

Quelle a été sa réaction ?  

Il a demandé si nous sommes Témoins de Jéhovah. Je lui ai dit oui. Lorsque je suis retourné au bloc, j’ai remis aux docteurs les produits qu’ils m’avaient fait acheter. C’est alors qu’ils m’ont demandé quel genre de soins je souhaitais que mon épouse reçoive. Je leur ai dit que je désirais que ma femme soit traitée sans transfusion sanguine, en accord avec sa volonté. Je souhaitais que des alternatives à la transfusion soient utilisées pour la soigner.

Que vous ont-ils répondu ?  

Les médecins ont répondu que ce que je demandais n’existe pas en Côte d’Ivoire. Mais étant convaincu qu’il existe bel et bien en Côte d’Ivoire des médecins disposés à soigner sans transfusion sanguine, même en situation d’urgence, j’ai fait savoir aux docteurs qui s’occupaient de mon épouse que je désirais la transférer dans un autre hôpital où elle pouvait être traitée, selon sa volonté. Je leur ai même donné l’adresse de cet hôpital. Il s’agit de la Clinique Hôtel de la Santé Sainte-Henriette qui est située aux 2 Plateaux, Angré, 8ème tranche. De plus, j’ai fait appeler le Samu pour assurer le transfert parce qu’avec eux, mon épouse pouvait continuer à recevoir des soins pendant son évacuation vers la clinique.

Que s’est-il passé par la suite ?

Tout était prêt pour que le Samu procède à l’évacuation. Les agents   ont même demandé le tableau de la patiente au médecin traitant afin de parer à toute éventualité pendant le transfert. Malheureusement, le transfert n’a pas pu se faire, bien qu’à la demande des médecins du Chu, j’étais prêt à signer une décharge. Le Professeur en charge de mon épouse a refusé qu’elle soit évacuée. Cela était étonnant d’autant plus que c’est lui-même qui m’avait demandé de signer une décharge afin de procéder à l’évacuation.

Savez-vous le nom du Professeur qui s’est opposé au transfert de votre épouse?

Oui. Il s’agit du professeur Tetchi Yavo.

Pourquoi a-t-il refusé. Pourquoi s’est-il opposé au transfèrement de votre épouse ?

Il a souhaité que la décharge soit rédigée et signée devant les autorités administratives du Chu. C’est ce que j’ai fait. J’ai accepté de rencontrer les autorités du Chu en compagnie du Professeur Tetchi Yavo. Nous sommes allés chez le Directeur des Affaires administratives et financières (Daf), Koné Djakaridja, à qui j’ai expliqué ma volonté de voir mon épouse être soignée sans transfusion sanguine. Je lui ai dit que si les médecins du Chu n’étaient pas en mesure de respecter ma volonté, qui était aussi celle de mon épouse, je souhaitais la faire transférer dans une clinique où elle pouvait être prise en charge, selon sa volonté.  

Quelle a été la réaction du Daf ?

Il était d’accord. Et il m’a demandé de rédiger et signer la décharge. C’est ce que j’ai fait, et celle-ci a été co-signée par deux témoins. Mais pendant que monsieur Koné Djakaridja lui-même appelait le Samu urgemment pour le transfert, le Professeur Tetchi Yavo s’est encore opposé en expliquant cette fois qu’il avait fait appel à l’avocat du Chu qui, lui à son tour, avait appelé la police. Donc nous devions attendre la police avant de bouger.

À quelle heure les événements ont-ils débuté ?

Tout a commencé vers 7 h du matin. Mais on était déjà aux environs de 8 h 30 lorsque les deux officiers sont arrivés. On leur a alors expliqué ce que nous souhaitions faire, et ils ont appelé leur supérieur. Par la suite, ils nous ont fait savoir que le commissaire avait appelé le procureur de la République et que celui-ci avait donné l’ordre de ne pas faire sortir la patiente. À partir de cet instant, les médecins m’ont refusé tout accès à mon épouse.

Pendant ce temps, quels soins recevait votre épouse puisqu’il y avait une urgence ?  

Je ne peux rien dire à ce sujet, puisque j’étais dehors avec deux de mes frères, venus me soutenir. Certains policiers avaient été déployés devant le bloc. Au départ, nous ne savions pas que c’était à cause de nous qu’ils étaient présents. Comme je l’ai expliqué, plus haut, lorsque les policiers nous ont dit que le procureur avait donné l’ordre de ne pas faire sortir la patiente, nous sortions à peine du bureau du Daf. Et c’est lorsque nous sommes arrivés dans la cour du Chu que nous avons vu trois véhicules de type 4×4 de la police. Par la suite, nous sommes remontés vers le bloc pour obtenir des informations sur l’état de santé de mon épouse. C’est à l’entrée du bloc opératoire que nous avons vu qu’il y avait 8 policiers qui avaient barré l’accès au bloc. Nous nous sommes donc retournés pour rester dans la cour.

Avec tout le temps perdu, n’étiez-vous pas inquiets à l’idée que l’état de santé de votre femme pouvait empirer.

  Je savais effectivement que mon épouse n’allait pas bien. Mais elle se trouvait entre les mains des médecins. C’était à eux de faire le nécessaire pour lui sauver la vie, tout en respectant sa volonté et ses choix médicaux. J’avais fait tout ce qu’ils m’avaient demandé pour son évacuation. J’ai même supplié le Professeur Yavo de nous laisser partir. Je lui ai dit qu’il y avait des médecins qui coopèrent avec les Témoins de Jéhovah et qui étaient disposés à nous recevoir. Et nous avons même fait appel à un autre professeur, le Professeur Kouakou Firmin, qui est intervenu auprès du Professeur Yavo pour qu’il nous libère. Mais celui-ci est resté sur sa décision.

Pouvez-vous nous dire si votre épouse a reçu une transfusion sanguine pendant que vous discutiez avec les médecins ?

Comme je vous l’ai déjà dit, je n’avais pas accès au bloc. Donc je ne sais pas exactement ce qui s’y est passé. Mais vers 10h30, je suis retourné au bureau du Daf afin d’obtenir des nouvelles de mon épouse. Puisque la police barrait tout accès au bloc, c’est seulement au Daf que je pouvais m’adresser. Celui-ci m’a assuré que ça allait. Il m’a également dit qu’il venait juste de donner de l’argent pour qu’on achète deux poches de sang pour mon épouse. Mais à 11h30, les médecins sont sortis et m’ont remis une ordonnance. Nous sommes allés chercher les médicaments en dehors du Chu. Parce qu’il y avait un produit que nous ne trouvions pas, nous avons fait le tour des pharmacies pour finalement le trouver à 13 h avant de revenir au Chu.

Ces médicaments étaient-ils liés à une transfusion sanguine ? Je ne peux pas le savoir. Ce que je sais, c’est que ce n’était pas du sang. Les médecins m’ont simplement dit qu’il fallait ces médicaments pour sauver mon épouse. C’étaient des produits pharmaceutiques comme tout autre.  

À quel moment vous ont-ils annoncé le décès de votre épouse ?

À 16h30.

Après qu’on vous a annoncé le décès de votre épouse, puisqu’elle se portait très bien entre 10 het 13 h, est-ce que vous n’avez pas cherché à savoir s’il y avait eu une transfusion sanguine ?

Effectivement, lorsqu’on nous a annoncé le décès, nous sommes allés au bureau de la sage-femme. Elle nous a confirmé qu’il y avait effectivement eu une transfusion sanguine. Elle a dit que trois (3) poches de sang avaient été placées.

Trois poches, dites-vous?

Oui ! Selon la sage-femme, le Daf en a payé deux, et elle-même est allée en acheter une autre, plus tard.  

À quoi attribuez-vous donc le décès de votre femme ? Une erreur médicale, ou serait-ce la transfusion qui s’est mal passée ?  

Je ne peux pas le dire. La seule chose que j’avais souhaitée, puisque nous ne voulions pas de sang et que les médecins du Chu n’étaient pas disposés à respecter notre volonté, c’était de transférer mon épouse dans une structure où elle pouvait être traitée sans transfusion sanguine. C’était la seule chose que je demandais. Mais puisqu’elle est restée dans les mains des médecins du Chu jusqu’à son décès, je ne sais pas à quoi ce décès est dû. J’ai seulement appris après sa mort qu’elle avait été transfusée. J’aimerais souligner aussi que je n’ai pas eu le droit de voir le corps de ma femme, ce jour-là.

Quand vous avez eu accès au corps, qu’avez-vous remarqué ?

J’ai remarqué qu’il y avait du sang coagulé dans ses narines.

Et comment pouvez-vous expliquer cela ?

Je ne suis pas médecin, et je n’étais pas non plus au bloc. Donc, je ne peux pas expliquer ce qui s’est réellement passé.

  Devant une telle situation, quelle suite aimeriez-vous donner à cette affaire ?

Je ne souhaitais pas que mon épouse meurt, surtout pas de cette façon. Je ne sais pas si son décès est dû à une erreur médicale ou à la transfusion qu’elle a reçue. Mais, je me dis que si les médecins et l’administration du Chu avaient accepté de procéder au transfert de ma femme, peut-être qu’on aurait pu lui sauver la vie. Tout nous a été refusé. Et je suis resté impuissant. Je ne pouvais absolument rien.

Allez-vous pratiquer une autopsie pour situer les responsabilités ?

Non ! Ce n’est pas prévu.

La position des Témoins de Jéhovah sur la transfusion sanguine est connue et non négociable. Dans ce cas, pourquoi, alors que vous aviez une clinique où votre épouse aurait pu être traitée sans transfusion, l’avez-vous emmenée dans un hôpital public, dans lequel, elle serait placée sous l’autorité des lois de cette structure-là ?

Ce n’est pas parce que nous sommes Témoins de Jéhovah que nous refusons de nous soigner dans les hôpitaux publics. Nous respectons les autorités, et nous nous soignons dans les hôpitaux publics comme tous les autres patients. D’ailleurs, les lois de la structure dont vous parlez reconnaissent au patient le droit d’exercer sa volonté de choisir le traitement médical qui lui convient.

Dans ce cas, est-ce la faute de celui qui exerce son droit que lui qui reconnaît l’autorité, ou celle de celui qui refuse que ce droit soit exercé ?

Nous recherchons les meilleurs traitements possibles quand nous nous rendons dans les hôpitaux publics. Nous sommes d’ailleurs très reconnaissants aux autorités d’avoir pourvu à de telles infrastructures. C’est seulement lorsqu’on parle de transfusion sanguine, et que notre volonté ne peut être respectée, que nous demandons à être transférés dans des hôpitaux où notre choix médical sera respecté. C’est un droit que nous demandons simplement à exercer. Ce que j’aimerais ajouter, c’est que même dans les hôpitaux publics, nous avons des professeurs qui connaissent bien le protocole de soins non sanguins et qui l’ont déjà utilisé avec succès. C’est une situation qui est un peu compliquée…

Vous êtes Témoins de Jéhovah, vous avez votre foi qui vous interdit ceci ou cela, mais vous êtes dans une société.Vous êtes dans une République qui a ses lois. Est-ce qu’il ne serait pas souhaitable que vous, Témoins de Jéhovah, vous ayez votre structure sanitaire propre à vous au lieu d’aller dans une structure publique ?

Nous ne sommes pas en porte-à-faux avec les lois du pays parce que les lois du pays n’interdisent pas de soigner un malade sans lui donner du sang. Dans le cas de mon épouse, j’ai seulement voulu exercer mon droit d’accepter ou de refuser un traitement, et même de recourir à un autre médecin, pour moi ou pour ma femme dont je suis le représentant légal. La République reconnaît ce droit, dans ses lois. Nous n’agissons pas contre les lois de la République en demandant à ce que la volonté du patient soit respectée. Nous n’agissons pas non plus contre les usages de la société, à laquelle nous appartenons, comme vous le dites.

Votre position contre la transfusion est-elle médicale, doctrinale ou biblique ?

Le médecin qui recourt aux alternatives à la transfusion suit un protocole de soins qui est connu et suivi dans les hôpitaux du monde entier. Les professeurs qui interviennent dans les Chu, sont les mêmes qui interviennent dans les cliniques, ou autres centres spécialisés, où nous nous soignons sans transfusion. Nous ne sommes pas contre la société. En fait, notre point de vue n’est pas seulement médical. Il est surtout basé sur la Bible. Nous n’envoyons pas nos patients dans des camps de prières, comme certains le pensent. Nous adhérons à ce que Jésus a dit dans les Saintes Écritures, en Mathieu 9:12, que les malades ont besoin de médecin. C’est ce point de vue que nous suivons. Simplement, comme je l’ai déjà dit, nous désirons obtenir les meilleurs traitements possibles. La seule chose que nous refusons, c’est le sang (Voir Actes 15 :28, 29 ; Lévitique 7:26, 27). D’ailleurs, la femme de mon frère a bien accouché dans ce Chu de Cocody, sans aucun problème.  

En conclusion, selon vous, Dame Dié Zimou a bel et bien reçu du sang. Par conséquent, son décès n’est pas forcément lié au refus de la transfusion qu’auraient opposé ses proches ?

Les causes réelles du décès sont encore à rechercher. Nous avions simplement souhaité la transférer dans un centre médical disposé à la traiter dans le respect de ses croyances, avec un protocole médical adapté. Et des dispositions avaient déjà été prises pour cela. Mais notre souhait n’a pas été respecté, la volonté du patient n’a pas été prise en compte. De plus, il n’y a aucun indice d’affrontement ou de bagarre entre les Témoins de Jéhovah et l’équipe médicale du Chu de Cocody. S’il y en avait eu, ce serait un trouble grave à l’ordre public. Et la police, appelée sur les lieux, aurait normalement procédé à des interpellations et des garde-à-vue. Mais ça n’a pas été le cas. Cette publicité malheureuse en a rajouté à mon chagrin. Et je suis seul aujourd’hui à élever son bébé.                           

   Interview réalisée par Armand B. DEPEYLA