Aïssa Doumara, lauréate du Prix Simone Veil: «Ne pas user de la violence sur une femme»

La Camerounaise Aissa Doumara a remporté vendredi 8 mars le tout premier prix Simone Veil. Défenseure des droits des femmes avec son association, la militante de 47 ans a fait de la lutte contre les viols et les mariages précoces son combat depuis plus de vingt ans. Aissa Doumara revient pour Sputnik France sur son prix et ses prochains défis.

Honorée, le 8 mars dernier, par le tout premier Prix Simone Veil pour l’égalité femmes-hommes, la militante camerounaise des droits de la femme se bat au quotidien pour éviter à ses semblables «l’enfer» qu’elle a vécu dans la région de l’Extrême-nord du Cameroun. Orpheline de sa mère à l’âge de 11 ans, Aïssa Doumara Ngatansou est donnée en mariage, sans consentement, lorsqu’elle a 15 ans. C’est sûrement là le début de sa bataille. Elle tiendra tête à sa belle-famille pour terminer ses études secondaires. Régulièrement battue par son mari, elle finit par quitter son foyer et se consacre à la lutte contre les violences faîtes aux femmes. En 1996, elle cofonde l’association de lutte contre les violences faîtes aux femmes (ALVF). Aïssa Doumara Ngatansou a désormais une tribune officielle pour mener ses actions. Plus de deux décennies après, son combat vient d’être couronné en France par le premier prix Simone Veil, tout un symbole pour cette militante de la cause des femmes, qui s’est confiée à Sputnik France sur ses combats.

Vous militez depuis 20 ans contre les violences diverses faites aux femmes. Selon vous, qu’est-ce qui a suscité en cette année l’intérêt pour votre combat avec ce premier prix Simone Veil dont vous êtes la lauréate?

Je ne saurais trouver une réponse exacte à cette question. Toutefois, il faut comprendre que nous intervenons auprès des femmes, des filles victimes et survivantes de violences depuis un peu plus de deux décennies dans la région de l’Extrême-Nord [du Cameroun, ndlr]. Nos interventions prennent en compte de manière globale les actions de prévention, d’atténuation et de réponses aux cas de violences faites aux filles et aux femmes. Et depuis que la crise s’est installée dans cette partie du pays, avec tout ce que vous connaissez, nos actions se sont étendues aux femmes rescapées de Boko Haram, aux déplacées internes et aux réfugiées nigérianes.

Nous avons mis en place des stratégies innovantes et spéciales pour faire ce travail. Au niveau national, nous sommes engagées avec d’autres organisations de la société civile pour conduire des plaidoyers en vue de l’amélioration du statut sociojuridique de la fille et de la femme. Au niveau sous-régional, nous avons inscrit notre organisation sur les plateformes de plaidoyer et de défense des droits des filles et des femmes. Nous avons également fait des plaidoyers pour que la thématique des mariages précoces et forcés soit prise en compte par les politiques de l’Union Africaine, pour que la prise en compte du genre soit une réalité effective. Par ailleurs, nous avons siégé au comité de pilotage de certains projets panafricains à l’instar de «Nous sommes la solution, célébrons l’agriculture familiale», un projet soutenu par Fahamu Sénégal, qui visait à valoriser les connaissances empiriques des paysannes en matière d’agriculture.

Nous avons aussi siégé comme expertes dans plusieurs groupes de travail en lien avec la thématique du mariage précoce et forcé, et des droits des femmes auprès de l’Union Africaine, des universités d’Afrique. Au niveau international, nous sommes membres des réseaux qui défendent les droits des femmes et luttent contre les violences faites aux femmes, le mariage précoce et forcé. Nous accueillons souvent des stagiaires en travail social des Universités Canadiennes. Voici quelques-uns de nos engagements et de notre travail depuis notre petite contrée de Maroua.

Que représente pour vous le premier prix Simon Veil?

Une reconnaissance de notre contribution à l’avancée des droits des femmes, des droits humains et au respect du libre arbitre. C’est également une interpellation à mieux faire, à faire davantage de manière correcte pour qu’aucune fille ou femme ne subisse un traitement dégradant par le seul fait qu’elle soit née femme.

Toutefois, je remercie tous nos partenaires stratégiques, techniques, financiers, ainsi que les pouvoirs publics. Sans leurs multiples appuis, nous n’aurions pas pu mettre en œuvre nos idées, malgré notre bonne volonté et toute notre équipe de travail: les bénévoles, les membres des associations de dénonciation, les associations pour la promotion des droits et de l’autonomie des filles, les clubs de filles, les filles leaders, les femmes et surtout les valeureuses militantes de notre organisation car le résultat actuel est le fruit de ce travail d’équipe et d’un militantisme sans faille.

Cette distinction est, sans doute, le couronnement du travail abattu par l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF) que vous coordonnez. Comment a-t-elle accueilli la nouvelle?

C’est avec une très grande joie, et le plaisir d’être parmi les pionnières qui luttent contre toutes les formes de violences faites aux femmes et aux filles, que l’équipe a accueilli cette nouvelle. Ce prix est également le leur. C’est une fierté de toute l’équipe et même de toutes les femmes car c’est également une reconnaissance du problème réel que sont les violences faites aux femmes; un problème qui dénie tous les droits aux femmes et aux filles.

Vous vous battez depuis plusieurs années contre les violences faites aux femmes. Comment votre message est-il accueilli au Cameroun, notamment dans la région de l’Extrême-Nord?

Le message fait son petit bonhomme de chemin et semble rentrer progressivement dans la mentalité des femmes et des hommes de la région. Je me souviens d’une émission radio de la place, où l’animateur demandait par vox pop aux auditeurs leurs points de vue sur les violences faites aux femmes, le mariage précoce et forcé. Et toutes les réponses étaient unanimes: «Ne pas user de la violence sur une femme, ne pas obliger une fille à se marier».

Certaines autorités traditionnelles se sont jointes à nous comme alliés et condamnent ces pratiques. Les pouvoirs publics et les partenaires au développement sont également fortement impliqués dans les actions de prévention, de réponse et même de répression. Ce sont là quelques exemples. Cependant, beaucoup de défis restent encore à surmonter: rendre aux survivantes leur autonomie, appliquer les décisions de justice, dénoncer les cas, rappeler l’existence des textes spécifiques sur les violences faites aux femmes, etc.

À quels types de violences sont exposées les femmes dans l’Extrême-Nord du Cameroun à nos jours?

Elles sont exposées à toutes les formes de violences qui vont du viol aux violences sexuelles et toutes les déclinaisons (mutilation génitales féminines), aux agressions physiques, en passant par le mariage précoce et forcé sous toutes ses formes, les violences économiques, les violences psychologiques.

Quelles sont les actions que l’ALVF mène au quotidien pour lutter contre ces violences?

Des actions variées et combinées notamment:

– le soutien aux victimes et survivantes de violences à travers l’accompagnement psychosocial, juridique, sanitaire, économique;

–  la mobilisation communautaire par la conscientisation, l’éducation;

– le renforcement des capacités et la recherche-action pour améliorer les interventions, pour avoir des évidences pour le plaidoyer;

– le plaidoyer en faveur de l’amélioration du statut de la fille et de la femme entre autres.

Le contexte social et sécuritaire au Cameroun, particulièrement dans la région de l’Extrême-Nord, sont-ils défavorables à votre bon déploiement?

Il faut noter que notre société camerounaise est patriarcale et les pesanteurs socioculturelles sont très présentes. La région n’échappe pas à cela et la situation sécuritaire vient exacerber la situation de la femme et de la fille qui n’était déjà pas très reluisante.

Quels sont les résolutions que vous prenez ou les actions que vous entendez mener après cette distinction accompagnée d’un appui financier (100.000 euros)?

Nous pensons que le prix ne changera pas notre façon de faire, mais plutôt nous appeler à plus d’ardeur au travail et plus d’engagements. Déjà, nous avons un plan de travail avec plusieurs actions bien élaborées. Notre prix nous permettra de mettre effectivement en œuvre quelques-unes des actions. Nous allons également doter notre organisation d’un centre pour l’encadrement et le suivi des victimes et survivantes. De manière générale, les chantiers sont vraiment assez volumineux au point où l’enveloppe risque d’être insuffisante; d’où notre interpellation des différents partenaires, acteurs et pouvoirs publics à mettre plus de ressources dans le financement des activités de prévention et de réponse aux cas de violences faites aux filles et aux femmes.