Alpha Blondy : « Nos petits défauts sont la preuve de notre perfection »

Il est resté égal à lui-même, Alpha Blondy, le chanteur de reggae francophone le plus populaire de la planète. En provenance de La Mecque, il est en route pour Israël. Et son objectif reste toujours le même : rassembler les hommes, quelles que soient leurs croyances, quelle que soit leur foi. En dioula, en français, en anglais, son message est invariable de pertinence et d’humanisme. Dans son dernier opus, Alpha Blondy a enrichi son message avec les talents de Youssou N’Dour, Fally Ipupa et Angélique Kidjo. On sent toujours la filiation avec Bob Marley, mais aussi l’amateur de musique de la fin des années 60. Dans Human Race, le maestro reggae de 65 ans, Seydou Koné de son vrai nom, reprend même le « Whole Lotta Love » de Led Zeppelin, réputé être le plus long riff de tous les temps.

Le Point Afrique : Qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans votre dernier album ?

Alpha Blondy : Le nouvel album s’appelle « Human Race ». C’est un hommage à la race humaine. La plus belle race de l’univers, parce qu’elle est à l’image de Dieu, le Créateur. Le but recherché dans cet album, c’est de dire que nous sommes 7 milliards 500 millions d’hommes sur cette terre et que nous passons notre temps à parler des méfaits d’une minorité. Je vais un peu exagérer. Supposons qu’il y a un milliard de salauds. Je pense qu’il ne faut pas que le milliard de salauds nous empêchent de savourer les 6 milliards 500 millions de gens délicieux qui nous entourent et qui nous donnent de l’amour. Parce que nous sommes majoritaires. J’ai décidé, à mon niveau, de m’intéresser aux 6 milliards 500 millions qui me donnent de l’amour, qui me donnent du plaisir.

Je ne suis pas dans l’humano-pessimisme et je dis que l’être humain est un être parfait, créé par un dieu parfait. Nos petits défauts sont la preuve de notre perfection. Il faut des gens vilains pour apprécier les gens beaux. Il faut des gens méchants pour qu’on apprécie les gens bien. Il faut la nuit pour qu’on apprécie le soleil levant. Donc, quelque part pour moi, l’œuvre est parfaite. Il faut qu’on arrête de toujours parler du mauvais des hommes. C’est vrai que certains sont mauvais, mais arrêtons de généraliser. Ce n’est pas parce qu’il y a un ou deux Français qui m’ont offensé que je vais dire que les Français sont mauvais. Ce n’est pas parce que deux Africains m’ont blessé que je vais dire que les Africains sont mauvais. Ce n’est pas parce qu’il y a deux Américains qui m’ont manqué de respect que je vais en déduire que les Américains sont mauvais. Il y a du bon dans l’espèce humaine. Quand quelqu’un ne te convient pas, tu n’as qu’une chose à faire. C’est de mettre un pied devant l’autre. Donc, j’ai décidé d’appeler l’album « Human Race » en hommage à la beauté de la race humaine.

 

Que vous inspire la scène musicale africaine actuelle ?

Il y a un foisonnement de talents qui attendent d’être mis en valeur. Cette fois, j’ai eu la chance de travailler avec mon frère Youssou N’Dour qui m’a fait l’honneur de participer à l’album avec une chanson intitulée « Oté-fê », c’est-à-dire « ils ne veulent pas ». « Ils », ce sont les exploitants de l’Afrique qui ne veulent pas que les Africains soient unis. Parce que, si les Africains sont unis, eux ne pourront plus piller nos matières premières. Ils ne pourront plus avoir nos diamants gratuitement, idem de notre uranium et de notre bois. Ils ne pourront plus créer des guerres. Et en même temps, quand je dis ça, je m’adresse aussi à leurs complices en Afrique. Un proverbe dioula dit : « Eux ne nous épargnent pas, mais nous non plus, nous ne nous épargnons pas. » Un autre proverbe dit que ce qui est dangereux pour le coton, c’est la tige de coton. Ils n’épargnent pas les Africains et les Africains ne s’épargnent pas non plus. Ainsi des massacres au Nigeria, en Somalie, au Mali, etc. Autrement dit, arrêtons de nous diviser. Soyons unis.

Que pouvez-vous nous dire de la situation sociale aujourd’hui en Côte d’Ivoire ?

Optimiste de nature, je dis qu’il faut que les armes se taisent. On y est arrivé, mais le brouhaha politique continue. Cela dit, tant que les hommes se parlent, ça va. Le président Alassane Ouattara vient de poser un acte politiquement courageux en décrétant cette amnistie générale pour tous les prisonniers politiques, y compris pour madame Simone Laurent Gbagbo. J’ai trouvé que c’était une bonne décision et je le lui ai dit. Cette décision a soulagé le climat politique, qui était un peu trop tendu. Pour moi, la réconciliation nationale n’est plus de l’ordre de l’utopie.

À ceux qui continuent de brandir la hache de guerre, je voudrais leur dire de se calmer et de ne pas menacer quelqu’un qui peut nous aider. Qu’ils soient un peu intelligents. En Côte d’Ivoire, il y a plein de boulot. Quand Alassane Ouattara a pris le pays, il était en lambeaux. Aujourd’hui, il est en train d’essayer de réparer ce qui est réparable. Il a fait ce qu’il a pu. En tout cas, il mérite d’être encouragé, lui et son gouvernement. Pour ma part, je ne suis pas là pour critiquer pour le plaisir de critiquer. Quand c’est bien, il faut dire que c’est bien.

 

Que pensez-vous de la question migratoire ?

La question des migrants, c’est une situation délicate. C’est un peu comme le moustique sur les testicules. Il ne faut pas le taper violemment, il faut y aller doucement. Parce qu’il y a deux responsables. Ceux qui ont contribué à déstabiliser le continent africain avec des coups d’État récurrents et bêtes qui ont créé des guerres. Et ceux qui, en tant qu’Africains, ont contribué à cette déstabilisation.

Comment se fait-il qu’un continent aussi riche du point de vue de son sous-sol soit aussi pauvre à la surface. Comment se fait-il que ceux qui brandissent à notre endroit les droits de l’homme soient incapables de voir qu’en RD Congo il y a 7 millions de morts. Qu’on y viole les femmes, qu’on y viole les bébés. Mais où sont passés Amnesty International et Human Rights Watch, entre autres ?

Que voit-on de l’Afrique qui incite quelqu’un à vouloir migrer ? La presse internationale montre le ghetto pourri où se trouve un enfant avec la morve au nez et un gros ventre. Elle passe à côté des quartiers propres de Dakar, d’Abidjan ou de Brazzaville. Parallèlement, elle montre Alpha Blondy en concert en Europe, aux États-Unis, avec des lumières, des briquets, des jeunes qui s’amusent et s’éclatent. Imaginez un jeune en Afrique qui n’a pas le bac et qui voit ça au moment où on lui propose de revenir à l’agriculture avec des moyens rudimentaires ou de vieux tracteurs. Vers quoi croyez-vous qu’il a envie d’aller ? Je dis que les océans et la Méditerranée sont rassasiés et n’en peuvent plus et que nos présidents africains, incapables à certains égards, sont conscients qu’il n’y a rien, rien pour transformer nos matières premières. Je prends l’exemple du Niger et de son uranium. Si Areva voulait aider, il construirait une centrale nucléaire civile, laquelle pourrait alimenter 80 % du continent africain. Je crois que cela pourrait encourager les jeunes à rester, mais pas ce qu’on voit aujourd’hui. En fait, beaucoup n’ont pas envie de venir (en Europe), mais ils n’ont pas le choix. Les lois ne les arrêteront pas, d’où ma métaphore du moustique posé sur les testicules…

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