Ces présidents africains tentés par un troisième mandat

Ballon de sonde pour savoir l’inclinaison de la majorité de l’opinion publique? Effet d’annonce pour calmer les querelles intestines dans son camp et celui de sa coalition, tisonnées par l’appétence présidentielle des uns et des autres. Dans tous les cas, Alassane Dramane Ouattara a lâché une bombe politique en entretenant le clair-obscur de son intention de briguer un troisième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire. Un rêve qui a déjà tenté plusieurs de ses pairs africains qui, dans le fantasme des conjectures ou la quasi-réalité de leurs intentions à peine voilées, envisagent de rempiler sur leur fauteuil. Pour une troisième fois, parfois en se jouant de la constitution et des règles du jeu démocratique. Sans exhaustivité, en voici quelques-uns:

A côté des inoxydables présidents qui trustent les records de longévité dont certains briguent un cinquième mandat, il y a aussi ceux qui ont entériné le troisième mandat, avec ou sans anicroche. Paul Kagamé au Rwanda, porté au pouvoir en 2000, réélu en 2003, 2010 et 2017, entame une quasi-présidence à vie validée par le peuple. Une technique que s’apprête à emprunter le Burundais Pierre Nkrurunziza, élu en 2005, réélu en 2010 puis en 2015 sous la contestation, qui veut rempiler jusqu’en 2034. En Algérie, sans cachet officiel, sourd aux appels de l’opposition, Abdelaziz Bouteflika ira bien aux urnes pour tenter de décrocher un cinquième mandat, après avoir régné 18 ans au Palais de la Mouroudia.

La donne pourrait changer au Niger de Mahamadou Issoufou où des jeunes qui ont commis l’imprudence de se prononcer en faveur d’un troisième mandat, sont passés par la case justice. Faure Gnassingbé devra d’abord essouffler le vif mouvement de contestation cristallisé autour de son départ, pour espérer rempiler au Togo.

Joseph Kabila, curieuses affiches de « glissement»

C’est ce que tous les Congolais connaissent sous l’appellation de « glissement». En décembre 2016, après ses deux mandats constitutionnels, Joseph Kabila aurait dû organiser les élections, passer la main à son successeur et couler une retraite paisible dans son ranch de Kingakati. Mais à force de dilatoires, foulant un accord arraché sous la médiation de l’Eglise catholique, de répression de manifestations et de prétextes plus fallacieux les uns les autres, l’héritier du « Mzee» est toujours en place. Maître des horloges électorales qu’il retarde depuis la fin constitutionnel de son mandat, il donne rendez-vous le 23 décembre 2018 pour les élections générales dont la présidentielle.

Pourtant au moment où l’opposition voyait une occasion unique d’arriver au Palais de la Nation de Kinshasa, d’étranges affiches de promotion d’un troisième mandat de Kabila ont fait leur apparition à Kinshasa. Test de réaction des peuples de la part de la majorité? Manœuvre de l’opposition pour précipiter une intervention d’une communauté internationale excédée mais élastique ? On ne saura peut-être jamais avec précision. Mais il n’est pas exclu que Joseph Kabila ait pensé à l’éventualité de prolonger de facto, sans vote, ou l’on ne sait par quel artifice légal, sur le fauteuil du Palais. Sous la contestation ou la répression.

Edgar Lungu, 2021 au forceps

« Je vous avertis que ceux qui veulent se lancer dans l’aventure devraient faire en sorte que cette aventure ne nous conduise pas au chaos ». Aux opposants qui lui rappelaient qu’il a déjà «exercé» deux mandats en Zambie, Edgar Lungu a répondu par la menace.

Le calcul de l’opposition est simple mais contestable. Ministre de la Justice au moment du décès du président Michel Sata en 2014, Edgar Lungu est « désigné» au sein du Cabinet pour assurer l’intérim. Après la période de deuil, il est élu en 2015 par son parti pour terminer le reste du mandat de son prédécesseur. Au terme de la période transitoire, il est réélu en 2016 pour cinq ans, cette fois-ci par les urnes. Pour 2021, l’opposition estime donc que le président ne peut pas se présenter au risque de violer la constitution qui limite à deux le nombre de mandats.

Mais l’actuel locataire du State House a d’autres arguments. Selon son argumentaire, le mandat transitoire ne peut être comptabilisé comme mandat de plein exercice puisqu’il n’a pas eu la durée d’un mandat normal. Son intention de se présenter à son « second mandat» pour lui, son « troisième» pour l’opposition, est intacte.

Pierre Nkurunziza, le référendum du « Guide suprême éternel »

A mi-chemin d’une théocratie d’inspiration nord-coréenne et d’une démocrature. Elu en 2005, réélu en 2010 alors qu’il était seul en piste, puis en 2015 en violation de la constitution et sous la contestation, l’homme fort de Bujumbura a donné une nouvelle dimension à son pouvoir.

Depuis le 17 mai 2018, au terme d’une campagne ponctuée d’arrestations et d’intimidations d’opposants, le pays a adopté une nouvelle constitution à une majorité de 78%. Le mandat présidentiel passe de cinq à sept ans et le verrou de la limite est fixé à deux mandats tandis qu’un poste de premier ministre est créé.

Avec son mandat qui s’achève en 2020, le nouveau « Guide Suprême Eternel», son nouveau titre de noblesse décerné par le CNDD-FD (au pouvoir) remet ses compteurs à zéro.  vS’il obtient deux autres septennats, son pouvoir pourrait rester théoriquement rester au pouvoir jusqu’en 2034.

Alpha Condé, le professeur des messages subliminaux

Par petites doses, c’est l’entourage présidentiel qui s’est chargé de faire cheminer cette idée au sein de l’opinion. En retrait face à ses fusibles qui s’attirent toutes les critiques, Alpha Condé, opposant pendant un quart de siècle, élu en 2010 puis réélu en 2015, a laissé prospérer ses messages subliminaux destinés à préparer les Guinéens à voir leur constitution modifiée pour remettre le compteur de ses mandats à zéro.

« Lorsque nous aurons la force, nous pourrons dire que l’affaire de deux mandats engage ceux qui l’ont dit. Tant qu’Alpha Condé est en vie, il sera le président de la Guinée», avait lancé début 2017, Bangaly Kourouma, le Directeur général de la police guinéenne. Une déclaration-choc vite récupérée par Hadja Nantenin Chérif Konaté, la coordinatrice nationale du RPG (au pouvoir). « Le peuple va demander un troisième mandat à Alpha Condé ! », s’est-elle empressée de commenter

Les fondements de ce troisième mandat, Alpha Condé compte les inscrire dans les nombreux grands chantiers qu’il engage en Guinée. Cela permettrait de préparer un bilan dans lequel il va puiser ses arguments résumés dans cette technique déjà éprouvée ailleurs sur le Continent : pour parachever mes projets, il me faut plus de temps donc un troisième mandat.

Mohamed Ould Abdelaziz, un soutien à un autre candidat (vraiment ?)

« Je soutiendrais un candidat en 2019». Mohamed Ould Abdelaziz a voulu faire taire les rumeurs sur sa volonté fantasmée de vouloir rempiler à la tête du pays. Elu en 2009 puis réélu en 2014, le président mauritanien n’avait pas besoin de cette précision. Pour un chef d’Etat d’une République islamique, qui prête un serment à connotation religieuse, l’article 28 de la constitution lui indique prestement de ne faire que deux mandats.

Pourquoi alors la rumeur persiste dans le pays ? Parce que les proches du président continuent d’alimenter l’idée d’un troisième mandat. Les opposants les plus farouches indiquent que la modification sur la limite de mandat a été escamotée sous les changements induits par la nouvelle constitution. Dans tous les cas, une chose est sure, Mohamed Ould Abdelaziz semble être le seul à croire qu’il sera l’homme qui surveille le pays depuis le rocking-chair de sa retraite. L’avenir le dira.

Abdel Fattah Al Sissi, méthode Coué

Il a prêté serment pour son second. Comme pour se convaincre que celui-ci sera le dernier, le président égyptien, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat contre Mohamed Morsi, puis élu en 2014 avant de rempiler lors d’un scrutin solitaire ou presque, a adopté la méthode Coué. « Cela ne me convient pas (…) de rester un jour de plus président contre la volonté des Égyptiens », fait-il savoir. Trahi par sa précision ?

En tout cas, beaucoup voient dans ce besoin de précision, une porte aménagée vers un possible troisième mandat dont Al-Sissi veut se laisser le temps de prendre sa décision. Dans un pays qu’il dirige d’une poigne de titane, l’expression « volonté des Égyptiens» offre un large spectre d’interprétations. Et l’on pourrait passer pour « volonté » ce qui n’est en réalité que cosmétique. Même s’il faut accorder le bénéfice du doute à celui qui a pu obtenir un candidat au sein de ses fervents défenseurs pour donner un parfum démocratique à son élection.

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