Côte d’Ivoire : pourquoi le chocolat est-il si peu commun chez le premier producteur mondial de cacao?

C’est un paradoxe de l’économie ivoirienne : le pays est de loin le premier producteur mondial de cacao, avec une part de marché de 41 %, et pourtant, ses habitants ne consomment que très peu de chocolat. La faute à un manque d’habitude et à un niveau de prix très élevé.

En 2017, un Ivoirien a mangé en moyenne 500 grammes de chocolat contre 3,6 kilos pour un Français. Un comble au pays du cacao ! Dans les rayons des supermarchés de San Pedro et d’Abidjan, les prix des produits chocolatés sont très élevés pour un Ivoirien moyen, de 1 500 francs CFA (2,30 euros) la tablette industrielle transformée en Côte d’Ivoire (Cémoi) à 3000 à 4000 F CFA la tablette importée (Nestlé, Lindt) ou le chocolat artisanal ivoirien (Monchoco, Instant chocolat).

« J’en mange peut-être une fois par an », raconte Luc, chauffeur de taxi à San Pedro, capitale mondiale du cacao. « Si vous trouvez une solution à ce problème, je suis impatient », lance Koffi Fernaud, promoteur de la filière au Conseil Café Cacao, l’organe de régulation du secteur, avant d’enchainer : « Nous ne transformons que 35 % de la production totale, la plupart du temps en produits semi-finis pour l’étranger. Le produit fini est fabriqué en Europe ou aux États-Unis puis importé chez nous, ce qui coûte cher en transport. Mais si on en est là, c’est qu’il n’y a pas de demande en Côte d’Ivoire, ce n’est pas dans la culture du pays de manger du chocolat », développe le promoteur.

Investir dans la transformation

Depuis 2012, le gouvernement ivoirien mène pourtant une politique incitative pour développer la filière. Premier producteur, la Côte d’Ivoire est aussi le premier broyeur de fèves au monde mais ne transforme que 35 % de son cacao. L’objectif du gouvernement est d’atteindre les 50 % en 2020.

Une volonté encore affirmée ce lundi 26 mars à Abidjan, où Alassane Ouattara et Nana Akufo-Addo, présidents de la Côte d’Ivoire et du Ghana – qui produisent à eux deux de 60 % du cacao mondial – ont signé la « Déclaration d’Abidjan ». Dans ce texte, les deux présidents se sont notamment engagés à mettre en œuvre une politique commune de commercialisation du cacao et ont invité le secteur privé à « investir massivement dans la transformation » de la matière première en Afrique pour peser sur le marché mondial.

C’est déjà le cas à San Pedro, premier port d’exportation de cacao au monde, où les usines se multiplient grâce aux subventions allégeant les conditions d’installation. Chinois, Libanais et Français ont ainsi investi dans la transformation locale.

L’entreprise française Cémoi y est installée depuis 2015. En transformant le cacao ivoirien sur place, elle a pu réduire le prix de la tablette à 1 500 F CFA. Trop cher pour certains, mais le prix baisse. L’entreprise propose également des petites tablettes de 40 grammes à 250 F CFA pour les petits budgets de Côte d’Ivoire et de la sous-région. Mais certains n’osent pas encore s’aventurer sur le marché ivoirien. Installée à San Pedro depuis six ans, l’entreprise de transformation ICP est sur le point de mettre en place de la poudre de chocolat, un produit fini, mais à destination des États-Unis.

Un produit bon pour la santé

Alors pour convaincre les Ivoiriens que le chocolat n’est pas une gourmandise sans intérêt, la filière a trouvé d’autres arguments. « Il faut créer des usines et donc des emplois autour du cacao pour éduquer les travailleurs, leur entourage et donc la population à consommer un produit bon pour la santé, ce que la plupart des Ivoiriens ignorent », explique Koffi Fernaud.

La stratégie est claire : valoriser les bienfaits du chocolat noir, pur et naturel sur la santé pour susciter la demande et développer une économie locale. « Nous essayons de persuader les planteurs, les producteurs, quel que soit le rang qu’ils occupent, de consommer au moins une tablette de chocolat, ce qui peut, à terme, faire grimper le prix sur l’échelle internationale. Le chocolat cru est un antioxydant, soigne le cœur et la circulation sanguine, moi-même j’en mange matin et soir », confie Arouna Béré, président de la coopérative agricole Ecamom dans la petite ville de Meagui, au nord de San Pedro.

Incitation supplémentaire, depuis janvier 2016, les produits finis du cacao sont exemptés du DUS (droit unique de sortie) pour favoriser l’exportation de chocolat 100 % ivoirien. Grâce à ces subventions, quelques entrepreneurs locaux ont aussi lancé leur chocolat « Made in Côte d’Ivoire ».

Graines broyées avec des vélos producteurs d’énergie

Dana Mroueh, franco-libanaise installée à Abidjan, a créé l’entreprise « Monchoco » la même année. Avec ses huit salariés, elle fabrique un chocolat artisanal, bio, local et écolo grâce à un concept étonnant. Dans son atelier, les graines sont broyées avec des vélos producteurs d’énergie, « pour mettre en valeur le terroir de façon éco-responsable », explique l’entrepreneuse. Mais pour l’instant, les prix sont très élevés : compter 2 900 F CFA la tablette la moins onéreuse.

Son marché touche davantage « des Français, les expatriés ou les amoureux du bon chocolat », reconnaît celle qui veut valoriser un chocolat cru, très amer, rappelant celui de la fève de cacao. « Il m’est impossible de baisser le prix pour l’instant. C’est de la transformation artisanale de A à Z, jusqu’à la dorure de l’emballage », précise-t-elle, convaincue qu’il y a un « marché naissant » dans le pays.

À Yamoussoukro, la capitale, Ecoya avait aussi l’ambition du « Made in Côte d’Ivoire ». Mais la coopérative valorisant le travail artisanal d’une centaine de femmes en milieu rural est actuellement à l’arrêt. « Nous n’avons plus de demande en Côte d’Ivoire. Nous recherchons donc un nouveau marché en Europe », déplore Konan Emmanuel Kouamé, le trésorier.

Faire du chocolat une habitude alimentaire ivoirienne prendra sans doute des années. La filière encourage les planteurs à en consommer alors que le prix garanti au kilo – 700 FCFA – a été maintenu au même niveau pour la nouvelle saison de récolte qui commence ce dimanche malgré l’embellie des cours internationaux.

Jeune Afrique