Du christianisme à l’islam, un parcours de combattant

Tout changement dans la vie implique un bouleversement à bien des égards. Et, encore plus celui d’une religion à une autre. Loin des pratiques religieuses qui sont troquées, c’est toute une habitude, des relations aux autres et aux parents qui prennent un coup de grâce. Venir à l’islam, demande beaucoup de sacrifices. Et pour comprendre ce qu’endurent les nouveaux convertis, suivez le récit à cœur ouvert de certains qui ont décidé d’embrasser l’islam.

 

 

Une conversion subite ou motivée

1985, il décide de se convertir à l’islam. Une décision venue sans aucune forme de procédure ou de réflexion préalable. Lui, c’est Akpa Akmel alias Oumar, venu à l’islam, il y’a 34 ans. Son envie de devenir musulman, s’est faite comme par enchantement, il nous explique  ‘‘J’ai eu l’envie soudaine de devenir musulman. Et lorsque j’y réfléchis, je me dis que c’est Dieu qui a voulu qu’il en soit ainsi’’. Contrairement à Oumar, Roxane Kouakou, convertie en 2016, a adopté l’islam suite à une curiosité après des échanges avec celui qui deviendra son époux après sa conversion. Cette curiosité est vite dirigée vers les interventions du renommé prédicateur musulman Ahmed Deedat. Tout comme elle, Serges- Fabrice ODAHIN alias Abdul-Hamid a vite fait d’embrasser la religion musulmane après de nombreuses recherches sur le conflit Israélo-Palestinien, ‘‘En 2014 j’ai décidé de faire des recherches sur le conflit israélo-palestinien’’ raconte-t-il. Très vite, il redirige ses recherches vers sa religion d’accueil, ‘‘Sur le moteur de recherche Youtube, je suis tombé sur des enseignements sur la Crainte d’Allah SWA. C’était ma première fois d’entendre ce type de formation et j’ai été capté. J’ai laissé le conflit pour continuer sur les prêches’’ ajoute Abdul-Hamid. C’est finalement en 2016 qu’il procède à la récitation de la chahada, l’unicité de Dieu, faisant de lui un soumis à Allah.

 

Le changement de religion est sous tendu par des raisons différentes d’un individu à un autre. Si pour certains il est bien nourri avant l’engagement, pour d’autres, il se fait sur un coup de tête comme en témoigne l’exemple de Gnangnan Dia Bérangère dit Abdul Malik. C’est avec une mine de satisfaction qu’il nous livre le témoignage de sa prise de décision décisive en 1995 lorsqu’il était en classe de 4ème. ‘‘Je revenais de l’école avec mon ami de classe. Et à l’heure de la prière il m’a dit qu’il allait prier, et moi de répliquer qu’il n’allait pas prier sans moi. Voilà d’où est parti le déclic. Je l’ai juste suivi pour prier. J’ai imité toutes ses actions de l’ablution à la prière sans aucune notion de ses actes’’ raconte celui qui deviendra Abdul Malick. Quant à Aïcha Ouattara épouse Gnangoran, elle fait deux conversions de suite. L’une de la religion musulmane à celle de chrétienne, et l’autre du christianisme à l’islam. Un changement  qui a été motivé la première fois par un environnement qui se prêtait bien à la pratique chrétienne, comme elle l’explique ‘‘Je suis musulmane, j’étais chez ma grande sœur qui était chrétienne. J’étais la seule pratiquante dans la maison. Avec ce mélange, elle m’a conseillé d’aller à l’Eglise. Etant seule, sans aucun soutien, j’ai donc suivi ses conseils. J’ai même été à la 3ème année de catéchèse’’. Le retour à l’islam pour elle a été la réponse de Dieu à ses nombreuses prières, ‘‘J’avoue que lorsque j’étais chrétienne, je demandais deux prières à Dieu. La première était de le connaître, puis d’avoir l’homme de ma vie, je jeûnais même pour cela’’. Des prières qui ont été exaucées avec sa reconversion à l’islam et sa rencontre avec Gnangoran Dja Bérenger, celui qui l’a motivée à revenir à la religion musulmane.

 

Les difficultés rencontrées, après avoir dit oui à la religion musulmane

 

Rejet de la famille, regard réprobateur des amis et connaissances, de même que des remarques désobligeantes quant au choix opéré sur l’islam, sont autant de difficultés rencontrées par bon nombre de convertis. Comme l’a si bien signifié Abdul-Malick, ‘‘Les choses sérieuses commencent quand on dit qu’on est musulman’’. Vivant dans une famille avec la belle-mère évangélique, la vie était devenue difficile pour lui. Vient alors le temps de l’interdiction de la pratique de la prière par son père. Ces épreuves, Abdul-Malick les a supportées parce qu’il était convaincu d’avoir fait le bon choix religieux.

 

Jean-Marc, devenu Aboubacar après sa conversion en 2018, s’est vu coupé les vivres par son père. Jean-Marc n’a pu faire sa deuxième année de BTS, faute de moyens. Il se donne une année pour faire des économies et assurer sa scolarité dans les années à venir. ‘‘ Je vends des chaussures à Adjamé pour subvenir à mes besoins et payer mon école l’année prochaine’’ nous confie Aboubacar.

Si Aboubakar est encore dans la maison familiale, Abdul-Malick, lui a dû quitter la famille lorsque celle-ci s’est rendue compte de son assiduité et sa persévérance dans la religion. Il raconte ce terrible moment de sa vie ‘‘Je me cachais pour faire mes prières, mais étant devenu le Président de l’Association des Elèves et Etudiants Musulmans de mon lycée, je ne pouvais plus rien cacher car j’étais devenu un responsable, les regards étaient rivés vers moi’’. Dès cet instant, il décide d’assumer son choix au vu et au su de tous, mais ‘’ce moment fut un tournant décisif pour moi car je devais rompre avec la famille’’ confie-t-il. ‘‘ Mieux vaut couper un pied qui a un panaris avant qu’elle ne contamine tout le corps’’ c’est l’application de ce proverbe africain que s’est attelé à concrétiser les parents de Gnangoran. Bagages hors de la maison, se trouvant dans la rue, il accepte son sort tout en s’accrochant au verset de la sourate 29 qui dit que ‘‘Est-ce que les gens pensent qu’on les laissera dire : “Nous croyons!” sans les éprouver ?’’.

 

Tout comme eux, Roxane a vécu une vie familiale difficile après sa conversion. Obligée de faire ses prières en cachette, elle est découverte un jour par sa mère. Débutent alors les problèmes pour elle. Devenue étrangère dans sa propre famille, Roxane élit domicile dans la mosquée de son quartier. Le boulot aidant, elle arrive à mener à bien son mois de Ramadan, malgré la promesse de sa mère de lui faire des misères pour empiéter sur cette obligation religieuse. ‘‘ J’ai dû faire face au mépris de ma famille, je me sentais seule contre tous, je pleurais, à l’incompréhension de mon entourage sur mon changement radical de religion et aussi de tenues vestimentaires car je portais le voile’’. Loin d’abandonner la pratique de l’Islam, Roxane se réfugie plutôt dans la prière et la lecture du Saint Coran. Elle ne manque pas de signifier ceci : ‘‘.J’ai reçu le soutien d’ALLAH car face à toutes ces difficultés, j’ai compris que j’avais fait le bon choix et Il me donnait la force nécessaire pour continuer’’

 

Quant à Akpa Akmel alias Oumar, il a failli «être machetté » par son père à cause de sa conversion à l’islam. Il a été chassé par ses parents et s’est retrouvé à passer une année dans la forêt de son grand-père.

Toutes ces difficultés, loin de les dissuader, ont plutôt renforcé leur foi en Allah. Ces moments de tourment, tous ces convertis ont su les surmonter avec l’aide de Dieu, mais également grâce aux soutiens psychologique, moral et financier de proches ou d’institutions. Mais, est-ce le cas pour toutes les personnes qui ont un jour voulu embrasser l’islam ?

 

Les amis et voisins musulmans, un grand soutien dans le processus de conversion

 

La conversion, plus qu’un changement de religion, est un bouleversement total de toute une vie. Rejet de la famille, regard inquisiteur des amis, de même qu’un bouleversement du quotidien et de la personnalité, sont autant de crises que traversent ceux qui ont dit oui à une nouvelle identité religieuse. Un parcours de combattant qui nécessite aussi bien un soutien moral, psychologique et financier. Cet apport, Jean-Marc l’a reçu d’abord de son entourage musulman le plus proche. Ce sont des conseils avisés pour supporter les difficultés, de même que des documents qui ont été mis à sa disposition.

Roxane Kouakou dit avoir eu des épaules sur lesquelles pleurer, celles de sa grande sœur qui l’a précédée dans l’islam, et également de celui qui aujourd’hui est son mari. Aide du futur mari, Aïcha Ouattara devenue Madame Gnangoran l’a reçu de ce dernier, qui lui donnait la force de continuer lorsque sa famille la méprisait.

Serges-fabrice ODAHIN, lui, confie : ‘‘Allah a facilité mon intégration. J’ai rencontré les frères Da’i appelés encore Qudamas au lendemain de ma conversion. Et avec eux j’ai appris la religion. L’intégration a été parfaite Mash’Allah. Je n’avais pas de difficultés matérielles en tant que telles. Je recevais les documents pour apprendre la religion et j’ai même eu une famille d’accueil, celle de la famille du muezzin de la mosquée Médine de Cocody’’.

 

Des oreilles qui écoutent, des conseils, la mise à disposition de la documentation ou des informations verbales, sont les premiers apports des plus proches. Mais, ces contributions sont-elles suffisantes pour surmonter toutes les difficultés rencontrées et se maintenir dans son choix ?

L’apport des institutions musulmanes lors des épreuves des convertis

 

Du soutien, il l’a reçu de part et d’autre, raconte Aboubakar. Mais il ne manque pas de décrier que ‘‘ J’ai eu le contact du Président de la Fondation Islam et il m’a beaucoup aidé’’ avoue-t-il.

Roxane Kouakou, quant à elle a eu le soutien des membres de la mosquée de son quartier, mais également de la Fondation Islam ‘‘il m’a été remis le contact du Président de la Fondation Islam, M. Gnangoran avec qui je suis entrée en contact. Sa femme et lui m’ont accueilli généreusement dans leur maison, m’ont offert leur soutien, des dons en nature, des conseils. Ils m’ont fait entendre le témoignage de d’autres convertis pour que je sache que je ne suis pas seule. C’est même avec eux que j’ai fêté mon premier ramadan’’. Mais, il ne manque pas de se prononcer sur la prise en charge des nouveaux venus à l’islam, en disant ‘‘à mon humble avis la prise en charge des musulmans convertis n’est pas encore une évidence’’. Cet avis, il le déduit de sa propre expérience avec la grande mosquée de la Riviera Golf en 2016, ‘‘depuis ma conversion à la grande Mosquée de la Riviera golf en 2016, je n’ai jamais reçu d’appel jusqu’ à ce jour, même pas pour une formation. Il y a un grand travail à faire pour les convertis musulmans’’.

Un avis partagé par Gnangoran qui part d’une comparaison ‘‘la prise en charge des nouveaux convertis n’est pas organisée et structurée dans la communauté musulmane. Les musulmans sont généreux mais ça ne suffit pas, il ne suffit pas d’être généreux. De l’autre côté, les gens ne sont pas généreux mais sont plutôt structurés dans leur façon de faire les choses’’.

Et pour conseil, Akpa Akmel, de dire : ‘‘je demande aux musulmans d’accueillir les nouveaux convertis à bras ouverts. Généralement ces personnes perdent tout y compris la famille. Alors il faut leur venir en aide pas forcement financièrement mais avec le peu qu’on a’’. Cette recommandation épouse l’idée de Roxane qui selon elle ‘la communauté musulmane doit être cette famille dans laquelle le nouveau converti trouvera joie, bonheur espoir et soutien  face aux difficultés qu’il rencontrera’’. Mais, pour ce faire, il faudrait que toutes les sphères de la communauté musulmane soient impliquées. Des mosquées aux institutions, en passant par les amis musulmans ou voisins, tous les musulmans doivent faire leur apport dans la prise en charge des convertis. Il faut surtout que les guides religieux à travers des plans d’actions concrets puissent, connaître, suivre et accompagner toutes les personnes sincères qui, au nom d’Allah, ont accepté la profession de foi de l’islam, qui constitue le premier des cinq piliers de cette religion.

Avis de psychologue sur la question de la prise en charge des nouveaux convertis

 

L’attestation de foi pour devenir musulman n’est pas une récitation fortuite. Elle engage la personne qui la profère à s’identifier à l’ensemble de la communauté musulmane. Mais pour être effective et sortir vainqueur de toutes les épreuves pouvant tester de la sincérité de ce choix décisif de sa vie, il faut un accompagnement des personnes qui ont accepté de passer le cap. Et l’un des plus grands soutiens reste la communauté musulmane à travers ses différentes institutions et lieux de cultes. Pour la psychologue Kpan Prisca Djénéba, ‘‘la communauté devra songer à créer dans chaque grande mosquée une cellule de soutien aux convertis avec des mentors aguerris’’. Elle va encore plus loin en proposant que ce soutien doit être holistique parce qu’il devra prendre en compte tous les besoins du converti sur tous les plans. A savoir :

Psychologique : l’individu a besoin d’être soutenu psychologiquement, (tout changement ayant ses moments de mélancolie), d’affection de compréhension vu qu’il a été rejeté par sa famille biologique ;

Scolaire : aider les élèves et étudiants convertis abandonnés par leur famille à se maintenir à l’école ;

Religieux (une formation sur la religion au fur à mesure que le converti évolue dans la pratique est indispensable). La première étape de toute démarche spirituelle doit être la documentation. Aussi bien pour la religion que pour une idéologie, un parti politique, personne ne peut prétendre y adhérer sans en connaître les fondements, les pratiques rituelles, les obligations et les interdits. C’est pourquoi, avant même de se convertir, l’intéressé devra d’abord s’informer sur la religion en question. De plus, l’Islam est une religion qui appelle à la recherche de la connaissance quel que soit l’endroit où elle se trouve.

Social : généralement, les convertis sont rejetés et chassés par leur famille. Il est du devoir de la communauté de leur apporter assistance sur le plan alimentaire, vestimentaire, tout en leur offrant un endroit où loger.

Le converti aura également besoin de renouer avec sa famille de sang avec laquelle il ne doit pas rompre. Il va donc falloir l’aider à communiquer avec eux avec patience jusqu’à ce qu’ils acceptent son changement et qu’il réintègre sa famille si possible. Ce qui l’aidera dans cette démarche, c’est un respect sans faille à sa famille. Ne pas les regarder d’emblée comme des pécheurs qu’il faut bannir. C’est auprès de ses parents que le musulman peut gagner son paradis en les respectant et leur accordant toute la considération qu’ils méritent.

 

 

SIRA