Etats-Unis, Elections mi-mandant: Stacey Abrams, première femme noire gouvernante

Candidate dans l’État de Géorgie, la démocrate Stacey Abrams, 44 ans, écrit, sous pseudo, des thrillers romantiques à succès.

L’homme était « beau comme un dieu… Grand, sexy, le regard plein de promesses mystérieuses », il sembl(ait) avoir les réponses dont elle a(vait) besoin »… «  Pas de chance », c’était l’un des « méchants ». Non ce n’est pas une description de Brian Kemp, l’adversaire républicain de Stacey Abrams, une candidate noire de 44 ans qui brigue le poste de gouverneur de Géorgie ; mais la quatrième de couverture de son livre, Secret et mensonges, l’un des thrillers romantiques qu’écrit la candidate démocrate à ses heures perdues. Sous le pseudonyme de Selena Montgomery, elle en a publié huit, aux titres tout aussi évocateurs : Péchés cachés, Tromperie, Pouvoir et persuasion… Ses histoires de dangereux séducteurs et d’héroïnes noires se sont vendues, selon le site internet, à « plus de 100 000 exemplaires ».

Dans la vraie vie, Stacey Abrams n’a pourtant rien de la midinette fleur bleue que pourraient suggérer les titres de ses livres. Cette avocate imposante au sourire chaleureux qui affectionne les tenues colorées se bat pour devenir la première femme gouverneure noire du pays dans cet État du Sud très conservateur. Née dans une famille pauvre de six enfants – le père travaillait dans un chantier naval, la mère était bibliothécaire –, elle a grandi dans une maison du Mississippi où il n’y avait parfois ni eau ni électricité et où la seule distraction à part la messe était la lecture. La famille déménage à Atlanta en Géorgie pour que ses parents, désireux de devenir pasteurs méthodistes, puissent s’inscrire au séminaire. Stacey Abrams intègre Spelman College, puis fait des études de droit à Yale. Elle travaille comme avocate fiscaliste et fonde plusieurs sociétés, dont une d’aide au financement des PME. En 2006, elle se fait élire à la Chambre des représentants de l’État et, quatre ans plus tard, devient la chef de file des démocrates, une première pour une femme, qui plus est afro-américaine. Mais sa marge de manœuvre reste très limitée, car les républicains contrôlent tous les leviers du pouvoir.

Défense du compromis

L’auteur de thrillers coquins arrive quand même à imposer son influence grâce à son talent pour la comptabilité. En 2011, elle est nommée à une commission chargée d’étudier un projet de réforme fiscale, présenté par les républicains comme une massive baisse d’impôts. En examinant de près les données, elle découvre qu’en fait la réforme va provoquer une énorme majoration des taxes pour les foyers. Comme personne ne l’écoute, elle récupère une copie du projet, rentre chez elle, dresse toute une série de tableaux comparatifs avec des couleurs et des statistiques montrant que 82 % des ménages vont voir leurs impôts augmenter. Elle dépose un exemplaire de son analyse sur le bureau de chaque élu. Elle réussit son coup : le projet est abandonné pour une réforme plus modeste. Cette célibataire, grande fan de Star Trek, se fait surtout remarquer par sa recherche du consensus. Elle pousse les démocrates de l’État de Géorgie à collaborer avec le gouverneur républicain modéré sur la réforme du système pénal, sur le financement d’un gros projet de développement des transports publics et sur le plan de sauvetage d’un programme de bourses scolaires. « Ma philosophie fondamentale, déclare-t-elle dans un entretien au magazine Governing, est de coopérer et de collaborer avec l’autre camp chaque fois que c’est possible.  »

Sa tendance au compromis systématique ne lui attire pas que des amis chez ses collègues démocrates, qui l’accusent de pactiser avec l’ennemi. Quant à Brian Kemp, secrétaire d’État républicain de la Géorgie et son principal adversaire, il la traite de gauchiste, disant que ses positions sur l’assurance santé ou l’immigration sont « trop extrêmes pour la Géorgie ». Lorsqu’elle était étudiante, rappelle-t-il avec un malin plaisir, elle a participé à une manifestation où l’on a brûlé le drapeau de l’État. Abrams rétorque qu’il portait l’image de la bannière des confédérés, un symbole des suprématistes blancs, haï par les Noirs. La démocrate a dû également justifier sa piètre situation financière : malgré un bon salaire, elle a accumulé 200 000 dollars de dettes, dont une grosse partie d’emprunt étudiant et des arriérés d’impôts, ce qui suscite des questions sur sa capacité de gestionnaire. Au printemps, elle s’est justifiée dans un texte au magazine Fortune intitulé « Mes 200 000 dollars de dettes ne devraient pas me disqualifier pour le poste de gouverneur de Géorgie », expliquant qu’elle n’était pas la seule et que plus des trois quarts des Américains croulaient sous les emprunts étudiants. Elle a aussi précisé qu’elle avait la charge financière de ses parents et de sa nièce, la fille de son frère Walter, ex-drogué qui a fait de la prison.

Scrutin local, attention nationale

A-t-elle des chances de l’emporter ? Lors des primaires au printemps, elle a obtenu 76 % des voix et près de 200 000 électeurs démocrates se sont déplacés aux urnes, une hausse de 57 % par rapport aux élections de 2014. La démographie de la Géorgie, État jusqu’ici très conservateur, se transforme. Stacey Abrams a mené une campagne bien financée en évitant tous les thèmes susceptibles d’effaroucher les électeurs modérés, comme le mariage gay ou l’immigration. Et Brian Kemp, son opposant, est accusé de conflit d’intérêts. Il a gardé son poste de secrétaire d’État en charge de la bonne marche des élections alors qu’il est lui-même candidat. On l’accuse surtout d’avoir rayé des listes électorales des dizaines de milliers d’électeurs principalement afro-américains. Kemp se défend et affirme qu’il a appliqué la loi.

Mais Stacey Abrams a aussi de sérieux handicaps. Les minorités et les jeunes sur lesquels elle compte boudent en général les urnes lors des midterms. La Géorgie, ensuite, n’a pas élu de gouverneur démocrate depuis 1998 et Brian Kemp agite tous les arguments trumpistes pour mobiliser sa base.

À quatre jours du scrutin, les deux candidats sont au coude à coude dans les sondages. Signe que la tension monte, le duel Kemp-Abrams a pris une dimension nationale. Toute une brochette de personnalités est venue les soutenir, de Oprah Winfrey, la vedette noire de la télé, à Barack Obama en passant par Joe Biden, l’ex-vice-président. À droite, Mike Pence et Donald Trump arrivent dimanche pour soutenir Brian Kemp, qui a dû, d’ailleurs, annuler un débat télévisé prévu ce soir-là.

Le suspense risque de se prolonger bien après le 6 novembre. La Géorgie exige que le vainqueur remporte au moins 50 % des voix. Si ni Kemp ni Abrams n’obtiennent la majorité, un second tour est prévu le 4 décembre.

 

 

Source : autre presse