Football: face au racisme, Özil met sa carrière internationale entre parenthèses

Le scandale avait enflammé l’Allemagne bien avant le début de la Coupe du monde en Russie, et elle n’a sans doute pas arrangé les affaires de la Mannschaft, éliminée précocement après des défaites contre le Mexique et la Corée du Sud. Sommé de faire montre de loyauté, le footballeur Mesut Özil, qui s’était laissé prendre en photo avant la compétition aux côtés du président du pays de ses parents, la Turquie, a annoncé dimanche 22 juillet qu’il mettait entre parenthèses sa carrière internationale.

C’est une photo qui a complètement changé les rapports de Mesut Özil avec sa sélection et son pays. Le 15 mai dernier, le meneur de jeu d’Arsenal et de la Mannschaft, avec son coéquipier Ilkay Gundogan, posent en compagnie de Recep Tayyip Erdogan, alors en pleine campagne pour sa réélection à la présidence turque. Des clichés de deux stars allemandes d’origine turque, réutilisés à des fins électorales avant le scrutin du 24 juin, finalement remporté par le chef de l’Etat.

Champion du monde en 2014 avec l’Allemagne, numéro 10 de sa sélection, Özil avait alors subi un flot de critiques. Il s’était d’abord excusé mais cette polémique a peut-être fini par influer sur ses performances, jugées décevantes lors du Mondial, comme celles de ses coéquipiers. En tout cas, le joueur n’a pas digéré les attaques, qui n’ont forcément pas cessé depuis l’élimination des Allemands au premier tour du tournoi (la plus grosse désillusion de l’histoire de cette équipe).

Sur son compte Twitter, l’élégant meneur d’Arsenal a expliqué qu’il ne jouerait plus pour l’Allemagne aussi longtemps qu’il ressentirait « du racisme et du manque de respect à son égard ».

Ce n’est donc pas un choix sportif de sa part. Il cible notamment Reinhard Grindel, le président de la Fédération, qui ne l’a pas soutenu. Et d’expliquer : « Je suis Allemand quand nous gagnons, mais un immigré quand nous perdons », qualifiant M. Grindel d’incompétent.

Erdogan avec Gündogan, Ozil et Tosun, à Londres le 13 mai 2018

« Mes racines ancestrales recouvrent plus qu’un seul pays »

Sur le fond, Özil assume totalement. Il explique que cette photo avec le président Erdogan n’était qu’une marque de « respect envers la plus haute fonction du pays de (ses) parents », et qu’il la referait. « Comme beaucoup de gens, mes racines ancestrales recouvrent plus qu’un seul pays. J’ai certes grandi en Allemagne, mais mon histoire familiale a ses racines solidement basées en Turquie. J’ai deux coeurs, un allemand et un turc », plaide le joueur de 29 ans.

« Je suis conscient que la photo a causé d’énormes réactions dans les médias allemands, mais alors que certaines personnes peuvent m’accuser de mentir ou d’être malhonnête, la photo que nous avons prise n’avait aucune intention politique », considère l’international aux 92 sélections tout de même. Après le tournoi, le manager de l’équipe, l’ancienne star Oliver Bierhoff, était allé jusqu’à affirmer qu’il « aurait fallu envisager de se passer d’Özil » pour ce Mondial.

Né dans l’ancien bassin minier de la Ruhr, région qui compte de nombreux Turcs ou personnes d’origine turque depuis les années 1960, Mesut Özil quitte donc la sélection nationale après avoir été l’un des grands artisans de son cinquième titre de champion du monde en 2014 au Brésil. Tout en laissant la porte ouverte, il tire sa révérence sur une note amère, entre l’élimination et cette polémique. « Je ne me sens plus le bienvenu », conclut-il dans son communiqué.


■ Réactions en Allemagne, et bien sûr en Turquie

Il n’aura fallu que quelques heures après la publication des quatre pages d’explications de Mezut Özil sur les réseaux sociaux, avant que plusieurs ministres turcs s’expriment sur Twitter. Le ministre des Sports a de nouveau partagé la photo de l’international allemand avec le président Recep Tayyip Erdogan, précisant : « Je soutiens pleinement la position honorable de notre frère Mesut Özil. » Quant au ministre de la Justice, il a eu ce commentaire : « Je le félicite, il a marqué le plus beau but contre le virus du fascisme. »

Les autorités turques s’étaient emparées du sujet dès le début de la polémique en Allemagne. Pour le porte-parole du président turc Ibrahim Kalin, « quel dommage pour ceux qui se disent tolérants et multiculturalistes ! » De son côté, Angela Merkel a réagi sobrement. La chancelière avait défendu le joueur. Elle déclare ce lundi, via sa porte-parole : « Mesut Özil a beaucoup fait pour l’équipe nationale. Il a désormais pris une décision qui doit être respectée. » Mais la Fédération allemande de football (DFB) rejette les accusations de racisme.

RFI