L’abeille africaine: trésor méconnu du continent

Présente sur Terre depuis plus de 60 millions d’années, l’abeille, au cœur de l’écosystème, est indispensable à la survie humaine. Animal sacré pour de nombreuses civilisations, elle symbolise la vie, la guérison, la pureté. Chez les Mayas, l’abeille n’était pas seulement une messagère divine mais une représentante directe des dieux et déesses. Elle est une émanation de la lumière solaire chez les Incas, ou encore totem tribal en Afrique et en Australie. Depuis une trentaine d’années, cet insecte disparaît massivement un peu partout dans le monde. Si certaines espèces ont été officiellement reconnues en voie d’extinction, l’abeille africaine résiste mieux. Portrait d’une butineuse au caractère bien trempé, porteuse d’espoirs de revenus importants.

Portrait de l’abeille africaine

Un peu plus jaune, un peu moins velue et légèrement plus petite, l’abeille africaine ressemble morphologiquement à l’abeille européenne. Tout comme elle, elle est végétarienne et appartient à la même espèce d’abeilles, l’apis mellifera.

À gauche une abeille européenne, à droite une abeille africaine

 

L’apis mellifera serait issue d’une ancienne espèce d’abeille cavicole arrivée d’Asie qui se serait ensuite rapidement propagée en Europe et en Afrique. Actuellement, 20 000 espèces d’abeilles sont répertoriées sur la planète dont environ 2 000 en Europe et près de 1 000 en France.

Originaire de Namibie dans le sud-ouest de l’Afrique, l’abeille africaine a la même morphologie que les différentes espèces d’abeilles européennes, mais elle est plus résistante aux maladies. Elle peut voler dans des conditions climatiques difficiles et sa fécondité est plus importante. Plus productive que les abeilles européennes et bénéficiant d’un taux de mortalité moindre, l’abeille africaine est réputée agressive… Mythe ou réalité ?

Les explications de Roch Domerego, apiculteur, naturopathe, professeur à l’Université de La Havane

L’abeille africaine est souvent confondue avec l’abeille africanisée, abeille hybride née artificiellement au Brésil. Il n’y a pas d’abeille domestique indigène sur le continent américain. Il y a surtout des abeilles mélipones , de taille plus petite, aux yeux bleus et sans dard.

L’abeille mélipone, abeille sacrée des Mayas

 

Elles produisent peu de miel, mais un miel aux propriétés nutritives exceptionnelles. Ce sont les colons européens qui ont introduit des abeilles d’origine européenne pour développer l’apiculture et produire de la cire pour les rituels de l’Église.

Alors que les abeilles européennes ne se reproduisent généralement que deux ou trois fois par an, les abeilles africanisées peuvent se reproduire jusqu’à dix-sept fois par an. Aujourd’hui, l’abeille africanisée a établi sa domination sur le continent américain.

L’abeille africanisée, portrait d’une tueuse

L’abeille africaine est-elle touchée par le syndrome d’effondrement ?

 

Des ruches se vident soudainement et les abeilles disparaissent sans laisser de trace. Depuis près de trente ans, ce phénomène se reproduit dans de nombreux pays, des États-Unis à l’Europe en passant par l’Australie. Le « Colony Collapse Disorder » ou « syndrome d’effondrement des colonies » entraîne ainsi la disparition de 30% des colonies chaque année.

Pourquoi les abeilles disparaissent ?

Si le syndrome d’effondrement des abeilles ne touche pas l’Afrique, le continent noir n’est pas exempt de menaces mortelles pour ces précieux insectes. Des parasites, tel le varroa destructor , infectent les abeilles mais elles luttent naturellement contre lui et arrivent à contenir sa propagation. La loque américaine, un autre parasite, décime les colonies en Afrique du Sud. Les perturbations de la culture intensive stressent les abeilles et limitent leur capacité de défense.

Autre menace révélée récemment au Burkina Faso : la culture transgénique pratiquée pour le coton en 2015. Cette culture a eu des conséquences importantes pour les abeilles de la même manière qu’en Argentine, qui était le deuxième pays producteur de miel au monde il y a quelques années. Lorsque les OGM sont arrivés, particulièrement le soja, les Argentins ont quasiment pratiqué la monoculture, anéantissant la diversité des fleurs et du même coup, les abeilles… L’Argentine a perdu 50% de ses colonies ces quinze dernières années.

Le miel africain :
un nouvel or jaune ?

En Afrique, l’apiculture a toujours été considérée comme un petit secteur d’investissement, c’est pour cette raison que les pratiques apicoles sont restées très séculaires. Il existe encore dans certaines régions de la cueillette sauvage de miel dans les arbres, l’arbre est dans ce cas abattu. On trouve également une apiculture traditionnelle, les ruches sont fabriquées de manière artisanale avec des matériaux naturels comme des troncs d’arbres, des mélanges de paille et de terre.

  • Ruches en bois dans les arbres en Tanzanie. © Getty – Bertrand Rieger
  • Ruches dans un baobab en Tanzanie. © Getty - Nigel Pavitt
  • Ruches dans les arbres en Ethiopie. © Getty – Emad Aljumah
  • Ruche dans un arbre au Rwanda. © Getty - Guenterguni
  • Ruche sauvage en Arizona. © Getty – Danira Delimont
  • Ruche sauvage dans un arbre. © Getty – Eric Tourneret
  • Cueillette sauvage de miel au Congo. © Getty + Randy Olson
  • Ruche dans une jarre dans le jardin d’un particulier en Inde. © Getty – Hindustan Times
  • Ruches traditionnelles en terre en Roumanie. © Getty - Paul Biris
Ruches dans un baobab en Tanzanie

Quelque 60% des Africains vivent dans des zones rurales et dépendent exclusivement de l’agriculture. L’apiculture est, souvent pour eux, une activité secondaire, la vente de miel demeure locale. Le développement de l’apiculture et la production de miel pourraient être une voie vers l’éradication de la pauvreté des agriculteurs, en créant des emplois et en apportant un revenu complémentaire non négligeable.

René Vicogne, apiculteur dans l’Essonne, en région parisienne, forme des apiculteurs en Afrique depuis une vingtaine d’années.

La Plateforme africaine d’apiculture, soutenue par l’Union africaine, a appelé dès 2014 à créer dans chaque pays des plateformes nationales pour aider au développement de la filière apicole, en particulier la production de miel, la santé des abeilles et les activités de pollinisation.

Ce programme d’aide à l’apiculture souhaite développer le commerce international encore balbutiant. Aujourd’hui la majorité du miel produit est consommée sur le continent, seulement 2,74% sont exportés. Il faut, pour cela, investir et moderniser la filière. La technologie traditionnelle permet de produire 5 à 8 kilogrammes par ruche, alors qu’un rucher moderne peut donner jusqu’à 20 kg de miel de qualité.

Le marché mondial du miel
Nectar sacré aux vertus médicinales, depuis l’Antiquité, le miel pur, considéré comme un produit précieux et coûteux, est respecté par tous les peuples.

L’industrie des abeilles ne se plie pas forcément à une logique économique qualitative. Le miel chinois frauduleux coupé avec du sucre est vendu entre deux et dix fois moins cher que le miel authentique. Très apprécié dans de nombreux pays, la production de miel ne suffit pas à couvrir les besoins et il est importé dans de fortes proportions. En France notamment, la consommation est de 45 000 tonnes par an alors que la production, inférieure à 10 000 tonnes en 2017, a été divisée par deux ces vingt dernières années. Cette chute, causée essentiellement par la mortalité anormalement élevée des abeilles, est constatée un peu partout dans le monde, sauf en Afrique, qui connaît une progression constante depuis 2000. L’Éthiopie est le premier producteur de miel sur le continent noir et figure avec quatre autres pays africains parmi les vingt premiers producteurs mondiaux.

L’Ethiopie pourrait produire dix fois plus de miel. Selon le ministère éthiopien de l’Agriculture, les ruches traditionnelles en boue et en argile (90 % de la filière) obtiennent en moyenne 7 kg de miel par colonie et par an, alors que les ruches avec cadres (7 %) produisent 33 kg de miel, avec des records à 80 kg par an. Parmi les trois variétés de miel éthiopien, le miel blanc, le plus prisé du pays est récolté uniquement dans la région du Tigré, là où pousse la fleur jaune Adey Abeba.

Alem Abhaha est apiculteur à Zaena, un village situé dans la région du Tigré au nord de l’Éthiopie.

Les progrès des techniques apicoles et la croissance de la production de miel ont dopé les exportations, en augmentation de 613 % entre 2000 et 2013 à l’échelle du continent africain mais le marché a encore un potentiel énorme.

Coopérative au Cameroun

L’abeille africaine, plus résistante, plus productive n’a pas subi les mêmes perturbations que sur d’autres continents. Beaucoup d’apiculteurs ont introduit des espèces non natives pour lutter contre la surmortalité de leur cheptel. Or, dans une même ruche, la sélection de variété d’abeilles diminue la diversité génétique, et en conséquence leur capacité de résistance.
En Afrique, l’apiculture restée majoritairement traditionnelle, ne pratique pas les imports de sous-espèces locales. Selon Roch Domerego, si les abeilles africaines sont encore préservées :

« C’est parce qu’on ne les a pas mélangées, c’est parce qu’on n’a pas commencé à déstructurer l’harmonie qu’elles avaient créée depuis des millions d’années avec l’écosystème dans lequel elles sont. »

L’apiculture africaine se développe doucement, son potentiel est immense. Depuis la création de la Plateforme africaine d’apiculture (AAP) en 2014, la liste des pays autorisés à exporter leur miel dans l’Union européenne ne cesse de s’allonger. En 2018, le Bénin a rejoint le Burkina Faso, le Cameroun, l’Éthiopie, le Ghana, Madagascar, Maurice, l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie et la Zambie. Le secteur apicole est encore très lié à une agriculture vivrière. Il est considéré comme un moyen supplémentaire de dégager un complément de revenus.

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