Le sens du pèlerinage

En guise d’introduction, quelques remarques préliminaires s’imposent. Si l’on prend le terme « pèlerinage » au sens large, alors l’islam connaît d’autres formes de pèlerinage que le Hajj à La Mecque. Ainsi, la visite à des lieux chargés de sacralité ou aux tombes des saints musulmans peut entrer dans ce qui relève en français de la sémantique du pèlerinage.

En arabe, le terme de ziyâra ou « visite », employé dans ces cas, évite toute confusion avec celui de Hajj. D’autre part, les ascètes et mystiques de l’islam pratiquaient fréquemment la pérégrination (al-siyâha), qu’ils considéraient comme une discipline initiatique majeure. La siyâha est ainsi définie par le maître soufi Ibn ‘Arabî (m. 1240) : « parcourir la terre pour pratiquer la méditation et se rapprocher de Dieu ». Cette pérégrination terrestre n’a en définitive pour but que de symboliser le « voyage universel sans fin ni dans ce monde ni dans l’autre » auquel l’homme est soumis.

Il faut encore distinguer le Hajj des pèlerinages de l’islam chiite. Ceux-ci se déploient autour des tombes des Imams. Les sanctuaires les plus importants sont, en Irak, Najaf et Kerbela, lieux de sépulture de l’imam ‘Ali et de son fils al-Husayn.

Le Hajj, ou pèlerinage à La Mecque, contient tous les aspects du pèlerinage évoqués durant ce colloque (le départ, la quête, l’union mystique, etc.), mais il est vrai que la centralité, l’axialité du Hajj sont à tous égards déterminantes, et qu’elles constitueront donc notre propre axe au long de cet exposé. Par ailleurs, le pèlerinage à La Mecque se distingue de certains autres pèlerinages évoqués ici, en ce sens que, cinquième pilier de l’islam, il revêt un caractère structurel, constitutif de cette religion, et donc »canonique’.

D’Adam à Muhammad

Un peu d’histoire, tout d’abord, ou peut-être de métahistoire. L’islam, on le sait, se présente comme récapitulant et synthétisant les révélations antérieures. Parmi les 124.000 prophètes que Dieu, selon le prophète Muhammad, a suscités pour notre humanité, Adam, Moïse, Abraham et Jésus tiennent une grande place dans la perspective islamique. En ce qui concerne le pèlerinage à La Mecque, dans son état actuel, sa doctrine et ses rites sont le fruit de trois étapes, liées à trois prophètes : Adam, Abraham et Muhammad. Des légendes musulmanes affirment qu’Adam, chassé du paradis, chût d’abord en Inde (à Ceylan) puis se rendit en Arabie. Ève, elle, se trouvait à Jedda (le nom de cette ville viendrait de l’arabejadda, « l’aïeule », c’est-à-dire Ève).

L’un et l’autre se seraient connus à nouveau, ou reconnus – ta‘ârafâ en arabe – sur l’un des sites essentiels du Pèlerinage : la plaine de ‘Arafât, précisément. La Mecque (Makka, en arabe) portait alors le nom primordial de Bakka, comme en témoigne le Coran : « Le premier temple qui ait été fondé pour les hommes est, en vérité, celui de Bakka. Il est béni, et sert de Direction aux mondes » (Coran 3 : 96).


Pour apaiser la tristesse d’Adam après sa chute, dit la tradition, Dieu lui envoya du paradis une tente de rubis ainsi que la Pierre qui était alors un diamant éblouissant de lumière. Adam instaura le rite céleste de la circumambulation autour de la Pierre, laquelle devint progressivement noire du fait de l’idolâtrie des hommes. Toujours enchâssée dans un des angles de la Kaaba, la Pierre Noire est un signe tangible de l’Alliance établie entre Dieu et l’humanité. Après la mort d’Adam, la tente céleste fut élevée au ciel. Ses fils construisirent une Maison sur l’emplacement de la tente, mais le Déluge submergea cette Maison, et son emplacement fut oublié par les hommes.

Selon le Coran, Dieu Lui-même montra à Abraham (Ibrâhîm en arabe) cet emplacement (Coran 22 : 26). Dans le Livre saint de l’islam, le père du monothéisme joue un rôle déterminant dans la consécration du Temple de La Mecque au culte de l’Unicité divine. C’est lui qui, avec l’aide de son fils Ismaël, aurait construit la Kaaba dans son état actuel (Coran 2 : 125-127), et aurait établi le Pèlerinage annuel. Il revint au prophète Muhammad de restaurer le monothéisme adamique et abrahamique, notamment en revivifiant le sens et les rites du Pèlerinage : celui-ci était observé dans la période précédant l’apparition de l’islam (Jâhiliyya), mais la plupart des Arabes, devenus idolâtres, avaient perdu la conscience de l’Unicité divine. Le patriarche est toujours présent dans le Pèlerinage, puisque le fidèle, après avoir accompli ses tournées autour de la Kaaba, effectue une prière au Maqâm Ibrâhîm ou Station d’Abraham. Un rocher y conserve les empreintes de pied du patriarche, et marque ainsi la limite de l’état humain.

Quant à l’aspect féminin du Principe divin, il est illustré par la femme d’Abraham, Hâjar. Celle-ci, abandonnée en plein désert par le patriarche, sur ordre divin, cherchait une source pour désaltérer son fils Ismaël ; elle parcourut sept fois de suite la distance qui sépare les deux monticules Safâ et Marwa, du haut desquels elle scrutait l’horizon. Jaillit alors la source Zamzam, située au coeur du sanctuaire mecquois et qui abreuve toujours les pèlerins. Ceux-ci actualisent la quête de Hâjar en effectuant une septuple course entre les deux collines (al-sa‘y). Dans des développements doctrinaux que je ne peux exposer ici, Ibn ‘Arabî commente ce rite en affirmant que les femmes ont, aussi bien que les hommes, la possibilité d’atteindre la réalisation spirituelle.

L’axe du monde

Pour les musulmans, La Mecque est le centre du monde. Identifiée au « nombril de la terre » (surrat al-ard), comme le fut Delphes dans un autre espace-temps, La Mecque a pour nom coranique Umm al-qurâ (Coran 6 : 92), c’est-à-dire « la Mère des cités », la ville primordiale qui est à l’origine de toutes les cités du monde. Quant à la Kaaba, qui se trouve objectivement au centre de La Mecque, elle se situe sur l’Axe du monde. Elle ne représente que le substitut terrestre des Kaabas célestes et surtout du Trône divin, qui domine et englobe tout à la fois ces sanctuaires. Les Kaabas célestes symbolisent les états multiples de l’être produits par la Manifestation universelle axiale. De même, les tournées rituelles (tawâf) des pèlerins autour de la Kaaba ne font que reproduire les tournées que les anges accomplissent en permanence autour du Trône.

Tous les pèlerins, il va sans dire, ne sont pas conscients de la portée métaphysique et cosmique des rites du Hajj. Quoi qu’il en soit, un des spectacles les plus impressionnants qui soient offerts dans le sanctuaire de La Mecque est ce mouvement circulaire incessant des pèlerins autour de la Kaaba : il se poursuit jour et nuit, puisque la circumambulation fait également partie du petit pèlerinage (‘umra), lequel, à la différence du Hajj, peut s’effectuer durant toute l’année.

D’évidence, on n’accède pas au Centre du monde sans provoquer une rupture avec la vie profane. L’état de sacralisation (ihrâm) retranche le pèlerin de sa condition ordinaire pour le remettre en harmonie avec celle de l’état primordial, matérialisée par le territoire sacré (haram) entourant La Mecque. L’entrée en état d’ihrâm se fait à l’un des points précis situés sur le périmètre de ce territoire, en fonction de l’origine géographique. Pour ce faire, le pèlerin se purifie par une ablution complète, et revêt un vêtement particulier, sans couture et de couleur blanche. A partir du moment où le pèlerin a formulé son intention (niyya), il s’interdit certains actes comme les relations sexuelles, la coupe des cheveux ou des ongles.

Le territoire sacré, quant à lui, est régi par des règles spécifiques, qui se conçoivent bien lorsqu’on écoute cette parole du Prophète : « Dieu a consacré ce territoire le jour où Il a créé les cieux et la terre. Il demeure donc sacré, de la sacralité même de Dieu, jusqu’au Jour de la Résurrection  ». On ne peut donc ni faire entrer ou sortir la terre qui se trouve dans ce territoire, ni y chasser les animaux sauvages, ni arracher les plantes qui y poussent naturellement. Les criminels peuvent y trouver asile, ainsi que les bêtes pourchassées. A La Mecque, les fautes ont plus de poids qu’ailleurs, car l’homme est mis directement dans la Présence divine. Quiconque connaît les lieux saints de l’islam peut attester que La Mecque est le lieu de la Majesté divine (al-Jalâl) implacable, abrupte, tandis que Médine, la ville du Prophète, incarne la Miséricorde divine (al-Rahma).

La quête islamique de l’Unité se manifeste avec une clarté quasi géométrique. Dieu est Un, et tout ce qui existe s’unifie en s’orientant vers cette unique origine. Toutefois, à l’intérieur de la Kaaba, l’orientation rituelle n’a plus lieu d’être, car les différences de directions sont abolies. Au centre du monde, les contrastes ou oppositions qui caractérisent ce dernier ne sont plus subis mais librement assumés. Relevons en passant la centralité des mausolées de l’islam chiite, situés au milieu d’une grande cour (sahn). L’analogie avec la Kaaba est d’autant plus frappante que les pèlerins y effectuent par trois fois la circumambulation (tawaf) autour du sanctuaire.

Durant les prières rituelles qui se déroulent tout autour de la Kaaba, surtout lors du Pèlerinage où la densité humaine est extrêmement grande, on ressent le flux des prières de tous les musulmans à travers le monde qui convergent, en permanence, vers La Mecque : du fait des décalages horaires, les cinq prières par jour deviennent multitude. On perçoit alors l’unité de la communauté musulmane et, au-delà, de la communauté humaine.

Puisque les pèlerins proviennent de toutes les régions du monde, puis y retournent, quelque chose du Centre est ainsi disséminé à la périphérie. Par cette action répétée chaque année, la totalité de la communauté musulmane se trouve purifiée. Une parole du Prophète témoigne de cette diffusion concentrique de la baraka du Pèlerinage : « Nul pèlerin, affirmait-il, ne prononce la talbiya (formule que nous allons évoquer plus loin) sans que les pierres, les arbres ou les mottes de terre se trouvant à sa droite et à sa gauche ne prononcent eux aussi la talbiya jusqu’aux confins de la terre ». Tout endroit sur la terre, en effet, est rattaché de façon immédiate au Centre mecquois, et c’est en ce sens que le Prophète disait : « Dieu a favorisé ma communauté en lui donnant comme sanctuaire la surface de la terre toute entière ».

La tension des fidèles musulmans vers l’Un s’exprime par leur himma, ou « aspiration concentrative », vers le Centre. L’un des secrets du Pèlerinage, selon Ghazâlî, réside dans ces instants de communion des pensées, et des invocations qui sont adressées à Dieu lors de la « Station « à ‘Arafât. La himma y est telle qu’elle provoque, dit-on, la précipitation de la pluie de la Miséricorde. De fait, dans ce climat désertique, le temps est souvent couvert, voire pluvieux, le jour de ‘Arafât uniquement.

Le Pèlerinage, résorption dans l’Unicité divine

« Les pèlerins », disait le Prophète, « sont les hôtes de Dieu ». Ils viennent en réponse à l’Appel divin. C’est le sens de la talbiya : « Me voici à Toi, Mon Dieu, me voici à Toi. Tu n’as pas d’associé. La louange, le bienfait, ainsi que la royauté T’appartiennent. Tu n’as pas d’associé ! » Cette formule doit être prononcée à voix haute pour briser l’oubli et l’éloignement qui sont la condition habituelle de l’être humain. En effet, selon une tradition, les hommes auraient été appelés an-nâs, parce qu’ils ont oublié (nisyân) l’alliance qu’ils ont conclue avec Dieu.

Comme l’induit la formule de la talbiya, le « moi » du pèlerin est convoqué d’étape en étape par le Toi divin. De même que la victime sacrificielle est menée avec douceur par le pèlerin pour être immolée, le »moi »du pèlerin est lui aussi immolé au nom du tawhîd, au nom de l’Unicité divine. L’être délivré s’échappe alors de la dépouille du moi, comme Ismaël – ou Isaac – se relevant par la rançon du bélier.

Ainsi, le Pèlerinage est mort et résurrection. Dans la Sharî‘a même, il est demandé au fidèle, avant qu’il ne parte à La Mecque, de régler ses dettes et de réparer ses torts : allant vers la mort initiatique, le pèlerin ne reviendra plus jamais à son état initial. Enveloppés dans leurs vêtements d’ihrâm qui évoquent des linceuils, les pèlerins se voient tels qu’ils seront au Jour du Jugement, sortis de leur tombe pour comparaître devant Dieu. De fait, lorsqu’ils meurent de leur mort physiologique, les musulmans se font souvent ensevelir enroulés dans l’habit d’ihrâm qu’ils ont revêtu à La Mecque.

Le pèlerin se résorbe donc dans l’Unicité divine. « Toute chose retourne à Dieu », avertit le Coran (3 : 109). L’annihilation de l’ego humain se matérialise bien évidemment dans le tawâf. Ainsi, pour Ibn ‘Arabî, les circumambulations du pèlerin autour de la Kaaba sont celles du néant existentiel (al-‘adam) de l’homme autour de la seule Réalité véritable : l’Être de Dieu (al-wujûd). Mais cette extinction en Dieu, le « fanâ » des soufis, prend toute sa signification à ‘Arafât, immense plaine désertique d’où la vue s’échappe sur d’austères montagnes. Dans ce no-man’s land, au sens littéral de l’expression, on ne se trouve plus dans un environnement familier, mais sur quelque planète lointaine. C’est du moins l’impression que j’ai ressentie en visitant l’endroit en-dehors de l’époque du Hajj. Lorsqu’on revoit ‘Arafât durant le Pèlerinage, la densité de la foule fait qu’on ne sait absolument plus où on est !

Le Prophète a résumé la précellence de ‘Arafât ainsi : « Le Pèlerinage, c’est ‘Arafât ». La « Station » (wuqûf) à ‘Arafât, pendant au moins quelques instants, le neuf du mois de Dhû l-hijja, est le seul élément rituel indispensable pour que le Pèlerinage soit validé. « Certains péchés, assure encore le Prophète, ne sont pardonnés qu’à ‘Arafât ». La plaine de ‘Arafât est en fait un lieu métaphysique, et donc un non-lieu physique ; pour cette raison sans doute, elle ne fait pas partie, et contre toute attente, du territoire sacré (haram). A ‘Arafât, la théophanie divine n’est liée à aucune forme particulière, alors qu’à La Mecque elle a pour siège le Temple saint, la « maison de Dieu ». A ‘Arafât, il n’y a pas le moindre support, arbre, mémorial, construction ou autre ; il y a juste ce face-à-face dépouillé et grandiose du croyant avec l’Absolu. ‘Arafât préfigure le Jour de la Résurrection plus que toute autre phase du Pèlerinage ; l’invocation suivante, que l’on récite lors de la « Station », y fait directement allusion : « Mon Dieu, adombre-nous sous Ton Trône, le jour où il n’y aura d’autre ombre que Ton ombre ! » Pour les soufis, la Station à ‘Arafât est celle de la Connaissance, de la gnose, al-ma‘rifa, terme de la même racine que ‘Arafât. Ici plus qu’ailleurs, la ma‘rifa vise la connaissance de l’Un, al-Ahad.

Le Pèlerinage intérieur

Tout en pratiquant avec ferveur les rites du Pèlerinage, les spirituels de l’islam prennent la Kaaba pour ce qu’elle est, précisément : un simple support d’adoration. Traquant toute trace d’adolâtrie, ‘Umar Ibn al-Khattâb, deuxième successeur du Prophète, avait déjà affirmé qu’il n’embrasserait la Pierre Noire s’il n’avait vu le Prophète le faire. Voici Râbi‘a al-‘Adawiyya, sainte irakienne du IXe siècle, qui, sur la route du Pèlerinage, vit venir à elle la Kaaba. « Ce qu’il me faut à moi, dit-elle, c’est le maître de la Kaaba et non la Kaaba ; qu’ai-je à faire d’elle ? » Et elle ne daigna pas la regarder. Dans une autre occasion, elle s’exclama : « Je suis une brique [non cuite] et la Kaaba est une pierre. Ce qu’il me faut, c’est la contemplation de Ta face ». Ibn ‘Arabî, quant à lui, traite la Kaaba d’« être mort » et assimile la circumambulation à une « prière faite sur un cadavre ».

De nombreux mystiques ont ainsi appelé au Pèlerinage intérieur ; par suite, les docteurs de la Loi les suspectaient de rendre caduque l’obligation du Pèlerinage extérieur. C’est un des chefs d’accusation retenus contre al-Hallâj, soufi mis à mort à Bagdad en 922. En effet, celui-ci déclare dans un vers : « Il est des hommes qui processionnent mais non avec leur corps. Ils processionnent autour de Dieu, qui les a dispensés d’aller au sanctuaire ». Pourtant, il s’agissait généralement d’un dépassement du sens exotérique du Pèlerinage, non de sa négation. Dans la littérature spiritualiste, la Kaaba est souvent identifiée au coeur du croyant, centre de son univers. Le coeur est alors considéré comme une enceinte sacrée que Dieu protège contre le mal.

Cette spiritualisation du rite a notamment pour fondement scripturaire le hadîth qudsî suivant : « Mon ciel et Ma terre ne peuvent Me contenir, mais le coeur de Mon serviteur croyant Me contient ». La théophanie divine serait donc plus parfaite dans le coeur du gnostique que dans la Kaaba. C’est ce qu’induit Abû Yazîd Bistâmî, saint iranien du IXe siècle, sur un ton quelque peu provocateur : « Je processionnai autour de la Kaaba en cherchant Dieu ; lorsque je L’eus trouvé, je vis la Kaaba processionner autour de moi ! ». En ce sens, on vit des maîtres soufis tels que Rûzbehân Baqlî (XIIe siècle) enjoindre à leurs disciples de faire la circumambulation autour d’eux. L’un d’entre eux n’affirmait-il pas que, quant au profit spirituel, il vaudrait mieux que l’aspirant (murîd) s’oriente, dans sa prière, vers son maître plutôt que vers la Kaaba ?

Un acte majeur dans la vie du Prophète, lié à la Kaaba de pierre, a également nourri, par la suite, l’association entre cette Kaaba et le coeur de l’homme. Lorsque le Prophète eut conquis pacifiquement La Mecque, il se rendit dans l’aire sacrée. Monté sur sa chamelle, il accomplit la circumambulation autour de la Kaaba, tout en détruisant une à une les 360 idoles qui étaient disposées autour du Temple. Ce geste du Prophète soulignait implicitement la nécessité de la purification du coeur en vue de réaliser intérieurement l’Unicité (tawhîd). Car d’évidence, ces idoles qui peuplaient la Kaaba représentent les passions qui habitent le coeur de l’homme et l’empêchent de se souvenir de Dieu.

Ayant lui-même expérimenté le processus initiatique du Pèlerinage intérieur, Ibn ‘Arabî en donne un éclairage intéressant : « En te dirigeant vers sa Maison, Il agit comme quand Il te dirige vers toi-même par Sa parole : « Qui se connaît soi-même connaît son Seigneur ». En te mettant en quête de la Maison de Dieu, tu te mets donc en quête de toi-même ; lorsque tu parviens auprès de toi-même, tu sais qui tu es, lorsque tu sais qui tu es, tu connais ton Seigneur et tu sais si tu es Lui ou si tu n’es pas Lui : c’est alors que tu obtiens la science véritable ».

De nos jours, et en raison du flux toujours croissant des pèlerins, le Hajj est véritablement une épreuve. On entend souvent dire que la ‘umra, le petit pèlerinage que l’on peut accomplir hors des grands mouvements de foule, est, en comparaison, du « miel ». Au demeurant, le caractère éprouvant du Hajj lui est consubstantiel, puisque celui-ci n’a d’autre but que la purification et la mort initiatique de l’ego humain : « Mourez avant de mourir ! »,avait dit le Prophète. En fait, l’épreuve que constitue le Hajj est à la mesure de la position cyclique finale dans laquelle nous nous trouvons : pour l’islam, dernière religion révélée pour cette humanité, l’homme connaît actuellement un éloignement maximal par rapport à l’état paradisiaque. La talbiya (réponse à l’Appel divin) formulée par le pèlerin vise précisément à renouveler le Pacte primordial (al-mîthâq) scellé entre Dieu et les hommes dans la pré-éternité, avant l’incarnation des esprits sur terre : « Ne suis-Je point votre Seigneur ? Ils dirent : oui, nous en témoignons » (Coran 7 : 172).

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