L’Eclipse au regard de l’astronomie, du Coran et des hadiths

Les astronomes avaient prédit l’avènement d’une éclipse lunaire vendredi soir dernier, le 27 juillet 2018 :

« C’est un événement qui ne se reproduira pas avant très longtemps. Vendredi soir, alors que la Lune sera pleine, elle s’éclipsera dans l’ombre de la Terre pendant de très longues minutes. Car le Soleil, la Terre et la Lune seront parfaitement alignés : le satellite de notre planète sera plongé dans le cône d’ombre créé par la Terre s’interposant entre lui et l’astre du jour. Bien que privée de la lumière directe du Soleil qui lui confère, de nuit, sa brillance habituelle, la Lune ne disparaîtra pas totalement mais s’assombrira plutôt, prenant une teinte rougeâtre. En effet, elle recevra malgré tout un peu de lumière solaire filtrée par l’atmosphère de la Terre. Laquelle a tendance à absorber la couleur bleue pour ne laisser que le rouge »[1]

La totale de cette éclipse lunaire était observable à 19h30 UTC, c’est-à-dire la même heure à Dakar pour une durée de 103 min (1h 42min) dans des régions du monde bien identifiées par les astronomes grâce au calcul des éphémérides[2]. Les zones qui ont été les plus propices à l’observation du phénomène, là où les conditions atmosphériques furent favorables, ont été repérées et cartographiées.[3]

Eclipse lunaire et calendrier musulman : quelles articulations ?

En général, c’est un phénomène qui a fait et fait toujours peur aux humains. En effet, ils se rendent compte à de telles occasions de leur petitesse et de leur vulnérabilité face aux phénomènes grandioses du cosmos qui se passent au-dessus de leur tête, sans rien leur demander. Les musulmans qui observent ces phénomènes astronomiques les inscrivent dans une cosmovision qui découle des enseignements de leurs références scripturaires fondamentales : le Coran et les hadiths.

Les Arabes, comme d’autres peuples avant l’islam, pouvaient par une simple observation à l’œil nu, voir que la Lune, le Soleil et d’autres astres avaient certaines propriétés et s’en servaient pour de multiples usages. Ceux-ci pouvaient être la mesure du temps, on est alors dans l’astronomie, ou l’orientation, on est alors dans la géographie ou une mise en relation entre les phénomènes astraux et la destinée humaine, on est alors dans l’astrologie.

Si le Coran contient des dizaines de versets à connotation astronomique, il est possible d’en déduire les enseignements suivants :

  1. les astres et les phénomènes astronomiques sont des signes « âyât » à décrypter ;
  2. les humains devraient témoigner leur reconnaissance à Celui qui a créé le cosmos, disons les cieux et la (les) terres, et les as soumis aux lois qui assurent son fonctionnement ;
  3. les astres et leur mouvement, notamment le Soleil et la Lune, peuvent être étudiés et servir à calculer le temps et à s’orienter au plan géographique.Voici des versets illustratifs de ces thématiques :

          « …Et au moyen des étoiles, ils se guident » (Coran 16 : 16) ;

         « Allah est celui qui pour vous disposa les étoiles, afin que vous vous dirigiez par elles au milieu des ténèbres de la terre ferme et de la mer. Nous exposons en détail les signes pour des gens qui savent » (Coran 6 : 97) ;

          « Que soit béni Celui qui a placé au ciel des constellations et y a placé une lampe ardente et aussi une lune éclairante ! Et c’est Lui qui a assigné une alternance à la nuit et au jour pour quiconque veut y méditer ou montrer sa reconnaissance » (Coran 25 : 61-62) ;

             « Pour vous, Il a assujetti la nuit et le jour ; le soleil et la lune. Et à Son ordre sont assujetties les étoiles. Voilà bien là des preuves pour des gens qui savent raisonner » (Coran 16 : 12) ;

         « C’est Lui qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière, et Il lui a fixé des phases afin que vous sachiez le nombre des années et le calcul (du temps). Allah n’a créé cela qu’en toute vérité. Il expose en détails les signes pour les gens qui savent » (Coran 10 : 5)

Les modèles théoriques, développés par les astronomes et autres spécialistes des sciences connexes, se sont beaucoup sophistiqués et permettent actuellement une prédiction de ce genre de phénomène à la seconde près. Pour dire que de telles performances sont complètement scientifiques et n’ont rien à voir avec l’astrologie comme pourraient le croire nombre de musulmans et d’oulémas !

Un effort de commentaire du Coran ouvert aux savoirs scientifiques devrait permettre aux musulmans de sortir de la méfiance, voire du rejet du calcul astronomique, qui devient de plus en plus précis et fiable grâce à la recherche qui combine théorie et observations. Pourtant, il fut des temps, notamment du 9e au 15e siècle, où ce sont des savants qui pratiquaient la science dans le monde musulman qui étaient les plus avancés dans les disciplines de l’astronomie, de la géométrie, de l’algèbre, des algorithmes… D’où il vient que certaines disciplines mathématiques comme l’algèbre, ou des constellations portent des noms arabes.

Mais après ces siècles de développement scientifique, le déclin du monde musulman s’est manifesté aussi à travers une méfiance ou une indifférence. voire un rejet de toute tentative d’établir un lien entre le calcul astronomique et la détermination du calendrier musulman. Les quelques astronomes musulmans font leur travail dans les institutions scientifiques du monde, alors que les oulémas et autres jurisconsultes tiennent à rappeler leur opposition à la détermination des mois lunaires sur la base du calcul astronomique.

Nous avons déjà écrit que la position de rejet du calcul astronomique qui prédomine dans le monde musulman repose essentiellement sur :

a) une posture d’ignorance et de méfiance relativement à la fiabilité et à la précision du calcul astronomique ;

b) la confusion entre astronomie et astrologie ;

c) la croyance selon laquelle les références scripturaires, notamment les hadiths, sont catégoriques sur l’obligation de faire recours exclusivement à l’observation visuelle du croissant de Lune ;

d) la Charia prescrit toujours un moyen facile d’accès pour éviter toute gêne dans le culte (ici, la détermination des mois lunaires).

Or, pour ce qui est du (a), ce n’est pas l’ignorance et la méfiance qui sont les bonnes attitudes, mais chercher à savoir auprès des oulémas de l’astronomie en quoi leur champ d’étude a acquis un statut scientifique et dans quelle mesure leurs données sont fiables et précises. Ce qui vient d’être dit sur le a) répond en même temps au (b) en ce que le statut scientifique de l’astronomie implique sa prise de distance épistémologique d’avec l’astrologie qui prétend établir un lien entre la destinée humaine, les astres et les phénomènes cosmiques. Pour le (c), il nous plait de rappeler que les hadiths du genre « jeunez si vous le voyez et rompez si vous le voyez et si des nuages vous gênent comptez 30 jours » ou « (…) estimez-le » ou « (…) estimez-le à 30 » ne sont pas une preuve catégorique et irréfutable de l’interdiction du calcul astronomique.

Nous en comprenons que par rapport au nuage ou même une autre sorte de contrainte qui empêche de voir à l’œil nu le croissant de Lune, pour les arabes musulmans de son époque, le hadith donne l’alternative de l’estimation (taqdir) à 30 le mois en cours. Mais, si la science astronomique atteint un niveau de développement tel que le calcul astronomique permet de lever la contrainte du nuage ou d’un autre phénomène, à notre avis, rien ne devrait s’opposer à son usage. Dans ce cadre, nous pensons que ce n’est pas pour rien que le hadith suivant mentionne cette incompétence en calcul astronomique des musulmans à l’époque du prophète (saws) : « Nous sommes une Oumma illettrée, nous n’écrivons pas et ne calculons pas, le mois est ainsi et ainsi, c’est-à-dire, tantôt 29 et tantôt 30 » (Boukhari et Mouslim).

C’est intenable et anachronique de comprendre par ce propos du prophète (saws) autre chose qu’une caractérisation (ikhbâr) comme le dit Ibn Hajar, un des plus grands connaisseurs du hadith, de l’état des connaissances rudimentaires en matière de calcul astronomique dont disposaient les premiers musulmans. De là à décréter une incompétence définitive des musulmans en la matière, il y a un pas que malheureusement certains ont franchi. Pour ce qui est du (d), c’est toujours la même logique : de nos jours l’accès aux données astronomiques ne pose pas de difficultés aux astronomes et aux gouvernants des pays musulmans qui le souhaitent pour des années et des années à l’avance.

Qui peut calculer et prédire l’avènement d’une éclipse solaire ou lunaire à la seconde près de même que sa durée des années à l’avance peut en faire autant pour l’instant de la conjonction qui marque le début d’un nouveau cycle lunaire. De là, il vient que l’éclipse, prévue vendredi 27 juillet 2018, opère comme une incitation pédagogique pour les musulmans à sortir des malaises de Lune pour élaborer un calendrier lunaire perpétuel sur la base du calcul astronomique. A cette fin, seulement deux critères seront nécessaires : l’instant (universel) de la conjonction et l’heure locale du coucher du soleil. Dans la même veine, les données astronomiques indiquent la conjonction qui marquer le début d’un nouveau cycle lunaire est attendue le 11/08/2018 à 9h57 UTC (même heure pour Dakar et 12h57 heure de la Mecque).

Eclipse, idolâtrie et culte musulman

Chez les arabes au temps du prophète (saws), 7e siècle de l’ère grégorienne, et d’autres peuples de la même époque, les phénomènes astronomiques inspiraient la peur et étaient intégrés dans des pratiques de nature astrologique et païennes. C’est ainsi que ces dits phénomènes étaient mis en rapport avec la destinée humaine, en bon ou mauvais présage « at-tattayur », que les arabes appelaient « ‘ilmut-ta thîr » (la « science » des effets des astres). L’apparition de telle ou telle étoile, à tel ou tel endroit dans le ciel et à tel ou tel moment, indiquait selon la prétention des astrologues, tel ou tel événement heureux ou malheureux pour les humains. Dans le cadre d’une telle cosmovision, un culte était voué aux astres notamment le Soleil et la Lune.

Le Coran rend compte de cette croyance idolâtre des Arabes avant l’islam et pas seulement eux. Les romains célébraient la fête la renaissance du soleil lors du solstice d’hiver (24 et 25 décembre de chaque année), à travers nombre de versets comme celui-ci :

           « Parmi Ses signes, il y a la nuit et le jour, le soleil et la lune. Ne vous prosternez ni devant le soleil, ni devant la lune, mais prosternez-vous devant Allah qui les a créés, si vous n’adorez vraiment que Lui » (Coran 41 : 37)

C’est dans ce cadre aussi qu’il faut comprendre les sévères mises en garde du prophète (saws) contre le recours à l’astrologie et à la pratique des présages. A l’avènement d’une éclipse solaire ou lunaire, les arabes d’avant l’islam offraient des sacrifices et faisaient des incantations en direction des statues posées jusque dans la Kaaba et considérées comme des divinités pouvant déjouer le mauvais sort ou attirer le bonheur. Cette croyance de nature astrologique était encore vivace au début des conversions des arabes à l’islam. C’est ainsi que lors du rappel à Dieu d’Ibrahim, fils du prophète (saws), âgé de deux ans, certains n’hésitèrent pas à faire le lien avec l’éclipse qui se produisit.

Alors, les hadiths rapportent selon les variantes que le prophète (saws) s’adressa à la masse pour réfuter tout lien entre le décès de son fils et ladite éclipse. Voici quelques variantes de ces hadiths : « Certes le soleil et la lune sont deux signes parmi les signes d’Allah. Il n’y a pas d’éclipse de soleil ou de lune pour la mort de quelqu’un ou pour sa naissance. Si vous voyez cela alors invoquez Allah, faites le takbir[4], priez[5] et faites l’aumône… » (Bukhari et Muslim)  

Il ressort de tout cela que le Coran et les hadiths visent à établir une cosmovision, dans laquelle Dieu est le créateur et seul souverain qui a fixé des lois aux astres. C’est à Lui que les humains doivent vouer un culte exclusif, en tant que « Rabbul ‘alamin » (Maitre des mondes). A travers la prière, les takbir et l’aumône, dans d’autres hadiths, l’istighfâr[6] le prophète (saws) substitue les pratiques idolâtres associées aux phénomènes d’éclipse par un culte au Dieu unique. Il ne s’agit donc pas de prendre le signe pour une divinité, mais plutôt d’y voir comment Dieu manifeste son Omnipotence et son Omniscience. Au lieu de vouer un culte aux signes du cosmos, l’Islam enseigne aux humains de le faire avec toutes les créatures pour le vrai et unique Dieu :

              « Les sept cieux et la terre et ceux qui s’y trouvent célèbrent Sa Gloire. Et il n’existe rien qui ne célèbre Sa Gloire par les louanges. Mais vous ne comprenez pas leur façon de Le Glorifier. Certes c’est Lui qui est Indulgent et Pardonneur » (Coran 17 : 44)

Au lieu d’avoir peur de l’éclipse, sauf s’il s’agit d’une crainte spirituelle au sens de ressentir notre petitesse face à la grandeur de Dieu, il doit être question de décrypter le signe qu’elle est. A cette fin, l’astronomie est une façon modeste à science d’humain d’y contribuer.

 

 

[1] http://www.lepoint.fr/astronomie/ne-loupez-pas-l-eclipse-lunaire-du-siecle-24-07-2018-2238681_1925.php

[2] Ils permettent de décrire la position des astres, de donner les heures de lever et coucher du Soleil et de la Lune, l’aspect du ciel, la visibilité des planètes et des constellations ainsi que de prédire des phénomènes astronomiques tels que les éclipses de Lune et de Soleil. Voir sites sur l’astronomie notamment (https://www.obspm.fr/-ephemerides-.html)

[3] Idem au 1

[4] Prononcer l’expression « Allahou akbar »

[5] Une prière sounna est recommandée le cas échéant

[6] La demande de pardon

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