Les cinq péchés maritaux

Soufiyân al-Thawrî mettait en garde ses jeunes étudiants se préparant pour le mariage en leur disant qu’ils s’apprêtaient à prendre la mer. Quelle métaphore ! Se marier, c’est effectivement s’embarquer dans une aventure forcément ponctuée d’agitations aussi houleuses qu’imprévisibles dont l’issue peut rapidement mener à fracasser l’embarcation conjugale contre les roches de la discorde. Parfois, le gouvernail du destin nous échappe, malgré les maintes précautions, la vigilance et l’expérience, mais le plus souvent les erreurs sont facilement évitables.  En trois ans d’activité, à la mosquée dans laquelle j’officie, j’ai beaucoup écouté les problèmes des uns et autres, j’ai pu constater que les histoires se suivent et se ressemblent, je tenais donc à partager une petite liste non exhaustive des erreurs les plus courantes et les plus faciles à éviter avant le mariage…

La précipitation

Certes, nous sommes musulmans, par conséquent nous sommes régis par des règles morales strictes pour qui veut les observer avec scrupule. Cependant nous avons grandi et nous vivons dans des sociétés mixtes, où les hommes et les femmes se rencontrent, échangent, collaborent et s’observent. Il est peu probable d’avoir grandi en France, d’y atteindre l’âge adulte sans avoir côtoyé un individu dont on aura eu le temps d’observer avec minutie les faits et gestes et d’y remarquer maintes qualités que l’on espère retrouver chez un partenaire.

L’erreur c’est de refuser la réalité d’une société laïque et de s’imaginer vivre dans la virtualité d’une bulle islamique. Mieux vaut mille fois se marier avec quelqu’un de son environnement, qui a respiré le même air, aussi prévisible soit-il, que de s’imaginer vivre le bonheur idyllique avec un parfait inconnu, sous prétexte que l’on observe strictement les prescriptions de l’islam par le biais de la fameuse « mouqâbalah ».

Entendons-nous bien, la finalité de la mouqâbalah, n’est pas tant de faire connaissance que de prendre la température en vue d’une proposition de mariage. Le système est parfaitement huilé dans des sociétés où justement, tout le monde se connaît, qu’il s’agisse d’un village ou d’un quartier d’une grande métropole, les sociétés traditionalistes sont organisées autour de réseaux extrêmement denses, dans lesquels les informations circulent rapidement, si bien que lorsque l’on cherche à épouser une amie de la famille de la voisine on sait quasiment toujours où l’on met les pieds. En France, le contexte est bien différent, nous vivons dans une société multiculturelle et cette diversité existe au sein de la communauté musulmane. Par conséquent juger un prétendant dont on ignore quasiment tout par le biais de simples rencontres est loin d’être suffisant à mon sens.

La frivolité

Lorsque l’on essaie de venir en aide à des couples musulmans en conflit conjugal, il est important de bien comprendre leur cheminement, en particulier la façon dont ils ont été amenés à se rencontrer et les raisons qui les ont poussés à constituer une famille. C’est peu dire que l’on est parfois surpris d’entendre que des décisions aussi graves que le choix d’un prétendant ou d’une prétendante sont prises parce que l’on aurait vu un rêve.

Sans rentrer dans les détails de la complexité du subconscient, ce genre de comportement est souvent lié à une mauvaise compréhension de la théologie musulmane. Certes, le Prophète, paix et salut sur lui, nous a recommandé la prière de la consultation, il l’enseignait comme s’il s’agissait d’une sourate du Coran (Boukhari). Il est également vrai que les rêves prémonitoires sont une réalité reconnue par la prophétie. Ceci dit, il n’existe pas à ma connaissance de lien direct et systématique entre la prière de la consultation et les rêves prémonitoires.

Au contraire, la sunna nous incite fortement à demander conseil à la suite de la prière en question, pas à n’importe qui évidemment, mais aux personnes connues pour leur sagesse ou leur expérience dans le domaine concerné. Ensuite, si la décision prise semble se concrétiser avec facilité et si l’on se sent en cohésion avec le projet visé, alors il faut considérer que c’est la bonne voie.

L’essentiel est de bien comprendre la psychologie et l’environnement de son futur partenaire et de vérifier que  l’on est parfaitement compatible et complémentaire, quitte à mettre de côté les sentiments et pour ce faire, on a souvent besoin d’un avis extérieur et objectif. Lorsque tous les voyants sont au rouge et que l’entourage nous déconseille fortement d’aller de l’avant, il est très périlleux d’aller de l’avant.

La culpabilité

En France, la majorité des musulmans sont issus de milieux modestes. En outre, le discours religieux tourne souvent autour de la patience, de la frugalité et de la nécessité de se détacher des biens matériels. À tel point que les sœurs qui cherchent à se marier renoncent bien souvent à réclamer leurs droits financiers, prenant souvent à contrepieds leur culture d’origine où la cherté de la dot fait souvent fuir les prétendants.

La peur de passer pour une personne cupide est en réalité un problème et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que la pauvreté n’est pas adoration en soi, mais c’est le fait de rendre grâce à Dieu même dans l’adversité qui est méritoire. Or la pauvreté est source de nombreuses tensions, il n’y a donc pas d’intérêt à fonder un foyer à partir d’une situation financière difficile, tant qu’il est possible de faire autrement. Gardez à l’esprit qu’il existe un juste milieu entre les propositions irréaliste de prétendants sans le sous et l’exigence de dots faramineuses.

La dot permet de tester le sérieux du courtisan. Exiger une dot n’a rien de cupide, cela permet d’apprendre des choses sur sa personnalité, s’assurer que la personne qui se propose de partager votre existence exerce une activité professionnelle régulière, est capable de faire des économies, de gérer un budget et ainsi de suite. Ceci est d’autant plus étonnant lorsqu’on sait que le Prophète, paix et salut sur lui, a recommandé à Fatima bint Qays de préférer Ousama ibn Zayd à Mou’âwiya ibn Abî Soufiyân, parce que ce dernier était démuni !

Je pense que si les sœurs étaient plus exigeantes en matière de dot et de niveau de vie, les frères feraient un peu plus d’efforts pour parachever leurs formations scolaires et professionnelles, ce qui aura forcément un impact vertueux sur la qualité de l’éducation de la descendance et ainsi de suite. N’oubliez pas que l’héritage n’est pas seulement matériel, il est également culturel et choisir un conjoint, c’est choisir une éducation pour ses enfants.

La naïveté

Le mariage civil ne devrait même pas faire l’objet de débat. Au-delà du fait qu’il ne présente juridiquement que des avantages, je n’arrive toujours pas à comprendre comment des croyants peuvent-ils se présenter devant une administration – disons l’hôpital – et répondre : « non » lorsqu’on leur demande s’ils sont mariés !

D’aucuns estiment que cela n’est pas si grave, mais ça le devient lorsque l’on a besoin de l’intervention d’une autorité pour faire valoir des droits. Cela peut aller de l’exécution des dernières volontés du conjoint moribond, aux questions de filiation ou d’héritage ou plus couramment du divorce. C’est quand même bien plus simple de faire valoir ses droits si l’on est légalement marié, surtout pour une femme cherchant par exemple à limiter le droit de garde du conjoint pour une infinité de raisons, cela va sans dire.

Il est ici opportun de rappeler qu’en France il est illégal de contracter un mariage religieux avant un mariage civil. Pourtant les gens estiment fréquemment que leur cas est une « exception ». Néanmoins il n’est pas rare de voir les mêmes personnes six mois plus tard s’interroger sur la procédure à suivre pour pouvoir divorcer, alors qu’aux yeux de la loi elles n’ont jamais été mariées, elles n’ont alors aucune autorité pour les défendre efficacement.

La colère

On dit que la colère est mauvaise conseillère, dans un couple c’est particulièrement vrai. La colère est un prétexte à tous les excès, à l’outrance, à la vulgarité et j’en passe. Il ne faut jamais prendre une décision sous le coup de la colère,  surtout ne pas évoquer la séparation, le sujet est bien trop sérieux pour être l’objet d’une crise émotionnelle passagère.

Les gens s’imaginent trop souvent que leurs problèmes vont se résoudre par un simple divorce. Divorcer c’est comme s’amputer un membre, une opération qui ne devrait être sollicitée qu’en cas de nécessité, surtout quand il y a des enfants. Ce genre de décision ne peut qu’être le fruit d’une longue décision et surtout l’aboutissement d’un processus au cours duquel tous les recours ont été épuisés.

Un autre point qui me paraît important – et qui pourrait en faire réfléchir plus d’un – est que beaucoup de frères semblent ignorer que le divorce a un coût en islam. Il ne s’agit pas seulement d’un droit c’est surtout une responsabilité qui implique de subvenir aux besoins de son ex-femme pendant une durée déterminée, généralement évaluée à une voire deux années, on appelle cela nafaqat al-mut’a en arabe. Le but est de consoler la femme en lui allouant une compensation financière.

Ce genre de prescriptions religieuses ajoute nécessairement de la lourdeur aux procédures de divorce et invite l’homme avisé à bien réfléchir et à ne pas obéir à ses pulsions colériques au risque de se pénaliser inutilement.

Conclusion

Le mariage est une embarcation capricieuse qui nécessite de bien choisir son conjoint avant de se donner toutes les chances de réussir cette épopée. Les raisons qui nous poussent à nous engager doivent être rationnelles et non seulement émotionnelles, tout comme il s’avère très risqué de négliger les aspects financiers et les précautions juridiques. Enfin, le divorce ne doit jamais être envisagé comme la solution miracle. Ces quelques règles paraîtront évidentes pour certains, mais à une époque où l’on exerce une telle pression sur les musulmans pour qu’ils se marient à n’importe quel prix, il m’a semblé important de les rappeler.