Pakistan: la Cour suprême acquitte la chrétienne Asia Bibi

C’est la fin d’une affaire qui a enflammé le pays entre libéraux et conservateurs autour de la loi anti-blasphème. A cause d’un verre d’eau, cette paysanne pakistanaise était devenue, à l’été 2009, un symbole mondial de la lutte contre l’intolérance religieuse. Asia Bibi a été « acquittée de toutes les accusations », a déclaré le juge Saqib Nisar lors de l’énoncé du verdict à la Cour suprême ce mercredi. Le Premier ministre Imran Khan a appellé au respect du verdict.

Son métier, c’est de récolter des baies dans les champs. Asia Bibi cueille les fruits à la main près de son village. C’est un travail pénible, le soleil tape fort, elle fait une pause pour avaler quelques gorgées d’eau. Elle ne le sait pas encore, mais ce geste anodin va se transformer en tempête politique et religieuse.

Que s’est-il vraiment passé ? On ne le saura jamais. Mais une dispute éclate entre Asia Bibi, la chrétienne, et les autres paysannes présentes ce jour-là qui sont musulmanes. « Comment oses-tu souiller l’eau du puits, on ne peut pas boire à la même source que toi. » Voilà l’objet du délit, le blasphème.

Bras de fer judiciaire

Asia Bibi est arrêtée, emprisonnée, accusée d’insultes envers le prophète Mahomet. Elle s’en est toujours défendue, mais un an plus tard, en première instance, elle est condamnée à mort.

C’est le début d’une longue bataille judiciaire et d’une saga qui va secouer le Pakistan parce que dans ce pays conservateur, prendre la défense d’Asia Bibi, c’est risquer sa vie.

En 2011, le puissant gouverneur de la région du Pendjab est ainsi assassiné par son propre garde du corps pour avoir dénoncé la loi anti-blasphème et demandé la clémence pour Asia Bibi.

Cette fois la décision de justice est ferme. « La tolérance est le principe de base de l’islam », ont tranché les magistrats qui considèrent que la présomption d’innocence doit être respectée jusqu’au bout. Or, la Cour suprême estime que le blasphème n’est pas établi, car personne n’a pu prouver qu’Asia Bibi avait insulté le prophète Mahomet.

Islamabad sous haute sécurité

Ce nouveau verdict pourrait susciter la fureur des milieux religieux fondamentalistes qui appelaient de longue date à l’exécution de la chrétienne. Des islamistes radicaux avaient ces dernières semaines menacé les juges statuant sur son cas en cas de jugement favorable.

Mercredi, la capitale Islamabad avait été placée sous haute sécurité, avec des barrages sur les routes notamment à proximité des quartiers où vivent les magistrats et la communauté diplomatique, a constaté l’AFP. Après l’énoncé du verdict, la sécurité a été renforcée autour de la Cour suprême où 300 officiers de police sont déployés.

Appel au calme et au respect du verdict

Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a appelé au calme et à respecter le verdict de la Cour suprême « J’en appelle à vous, mon peuple, pour votre pays », a-t-il lancé lors d’une intervention télévisée solennelle. Ceux qui appellent à rejeter le verdict le font « pour leur propre intérêt politique » et « ne rendent pas service à l’islam. »

Le gouvernement prend ces manifestations très au sérieux, d’autant plus que les magistrats siègent juste à côté de l’Assemblée nationale et que plusieurs groupes rigoristes ont appelé leurs partisans à se rassembler pour dénoncer la décision des juges.

Le cas d’Asia Bibi est un cas très particulier, selon notre correspondant à Islamabad, Solène Fioriti. parce que la défense qu’a été prise pour elle, c’est-à-dire celle incarnée par un gouverneur provincial à l’époque, Salman Taseer, cet homme a été tué. Cela parce qu’il a déclaré « les lois du blasphème dans notre pays, c’est la loi de la jungle ». Et à cause de cela, il a été tué par son garde du corps, qui est devenu un martyr pour de nombreux groupes islamistes au Pakistan. C’est pour cela que, pour eux, il faut absolument punir et châtier Asia Bibi : elle est coupable de la mort de ce garde du corps.

La libération d’Asia Bibi n’est certainement pas un virage progressiste. Imran Khan, qu’on a connu comme étant un grand libéral, s’est illustré pendant la campagne par ses positions très conservatrices – il a d’ailleurs défendu la loi du blasphème à plusieurs reprises. Mais il faut quand même reconnaître que dans le panel des trois juges qu’a rendu sa décision ce matin, il y a le chef de ce panel, qui est un juge connu pour ses positions très conservatrices, mais il s’est pourtant prononcé pour la libération d’Asia Bibi. Cela puisque les charges étaient trop légères : il n’y avait rien dans les procès-verbaux donc ce n’était pas tenable.

Un départ probable vers l’Angleterre ?

Il y a eu une première déclaration du ministre des Affaires religieuses le matin de la décision, qui a dit « peut-être qu’Asia Bibi a échappé à la justice des hommes, mais elle devra affronter la justice de Dieu », donc on ne devrait pas vraiment conseiller Asia Bibi de rester au Pakistan, d’autant moins dans son village. Notre correspondant y est allée et indique « que quand on demande aux gens, huit ans après, s’ils veulent toujours qu’Asia soit pendue, toutes les mains se lèvent ». On ne sait pas encore où elle va aller. Selon toute probabilité, comme sa famille (son mari et sa fille) est à Londres, il se peut qu’elle aille en Angleterre.

Malheureusement, Islamabad et Lahore – qui est l’épicentre de ces groupes extrémistes – sont en alerte quasi rouge. À Lahore, il y a sept sites différents d’où sont parties les protestations, les universités commencent à être fermées, les écoles aussi, comme les marchés, et c’est très inquiétant. Le groupe qui est en tête de ces manifestations, Tehreek-e-Labbaik Pakistan, est un groupe ultra-violent et qui a réussi à plusieurs reprises en 2017 à bloquer plusieurs villes, notamment Islamabad et Lahore, pendant plusieurs semaines. Il est donc à craindre que ça dégénère à nouveau.

RFI