Rachid Taha luttait contre une maladie rare qu’il avait dissimulée pendant des années

Alors que sa voix s’est tue à jamais, les confidences faites par Rachid Taha à El Watan, en 2017, sur la maladie rare qui le rongeait depuis 30 ans et contre laquelle il luttait avec courage et dignité, en la dissimulant pendant longtemps, prennent une résonance particulière en ce vendredi 14 septembre, jour de ses obsèques en Algérie, la terre qui l’a vu naître.

Atteint du syndrome d’Arnold Chiari, une malformation congénitale du cervelet entraînant des troubles neurologiques, c’est à l’âge de 27 ans que cet artiste engagé aux influences méditerranéennes, devenu l’une des figures emblématiques de la France « Black, Blanc Beur », vit apparaître les premiers symptômes du mal qui allait l’atrophier progressivement.

« Je m’étais dit : ‘‘Je dois avoir un sacré problème’’ », confiait-il à El Watan depuis Sig et Mascara, les lieux de son enfance, sans se départir de son sens de l’humour, en se remémorant l’instant où il sentit une anomalie dans sa main droite. Elle avait subitement perdu de sa force.

Après avoir subi deux interventions chirurgicales en 1989 et 1999, Rachid Taha, déterminé à ne pas s’avouer vaincu et à ne rien laisser paraître, malgré sa démarche parfois titubante qui le trahissait et que certains avaient tôt fait d’attribuer à l’alcool, continua à mener une vie normale, à la ville comme à la scène. « Je vivais normalement. Je continue à chanter, à donner des concerts, à produire, enregistrer et partager cette passion avec le public. Cette maladie ne m’empêche pas de vivre », insistait-il auprès du journaliste algérien venu recueillir son témoignage à cœur ouvert, alors que la maladie avait hélas gagné du terrain.

Et d’ajouter : « J’en ai marre que les gens me prennent pour quelqu’un de ‘‘bourré’’ sur scène. Alors que ce sont les symptômes de la maladie d’Arnold Chiari. Je titube, car je perds l’équilibre. Je vacille. Cela génère un dérèglement dans le corps. J’aurais pu en parler depuis longtemps. Je ne voulais pas qu’on ait pitié de moi. Je ne veux pas tomber dans le sentimental. Si j’en parle maintenant, c’est pour alerter les gens, quoi ».

Devant la propagation du mal qui l’affectait, le leader charismatique de Carte de Séjour, le groupe entré dans la légende de la France des années 80, avait souhaité brisé le silence pour alerter les Algériens sur le syndrome de Chiari, mais aussi sur les risques encourus  en contractant des mariages consanguins dont il était lui-même le fruit. Il les exhortait alors à se prémunir contre de telles unions et à diagnostiquer très tôt la maladie qui était en train de le consumer à petit feu.

Rachid Taha repassera sur la table d’opération en 2014, au CHU Khelil Amrane de Béjaïa, sans imaginer qu’il graverait son nom dans les annales médicales de son pays, au cours d’une opération réussie, jusque-là jamais réalisée en Algérie. Tout le mérite en est revenu au neurochirurgien Hassan Khachefoud, vers lequel Fabrice Parker, un éminent chirurgien français de l’hôpital Necker, à Paris, l’orienta.

« Vous savez, cette maladie d’Arnold Chiari, provoque l’incontinence, un calvaire, la constipation et bien sûr le déséquilibre…Cela m’est arrivé souvent sur scène. Les spectateurs croient que je suis ivre. C’est une maladie où l’on peut perdre la vue », se désolait-il, avant de révéler sa filiation et le décès de son frère et sa sœur : « Mes grand-mères étaient sœurs. Elles portaient le même nom. Elles avaient le même père et la même mère. Et mon père s’est marié avec sa cousine. Cette maladie d’Arnold Chiari en est le résultat. Une maladie consanguine, congénitale. Sinon comment expliquer le décès de mon frère et de ma sœur qui avaient une malformation. Et moi aussi, je suis malformé. D’où cela provient-il ? C’est le mariage consanguin ».

Et de s’exclamer, en puisant dans ses forces qui l’abandonnaient : « Moi, je leur dis : ‘‘Arrêtez de vous marier entre vous !’’».

Jusqu’au bout, Rachid Taha lutta contre la maladie en ayant trouvé la meilleure des armes : la chanson. Il multiplia les hommages à celui qui avait bercé son enfance, l’immense Dahmane El Harrachi, dont il reprit avec le succès que l’on connaît la chanson poignante sur l’exil, Ya Rayah’. Une chanson très populaire en Algérie, devenue désormais culte en France, qui plus est en arabe, grâce à lui. Adieu, l’artiste !