Achoura, selon les chiites et sunnites

SPÉCIFICITÉ CHIITE d’ACHOURA

Dans le chiisme, à la signification initiale de la fête d’Achoura (Ashura) a été ajouté un sens tout à fait différent : la commémoration du martyre du troisième imam des chiites et de ses partisans par le califat omeyyade. Le 10 Muharram de l’an 680 de l’ère chrétienne, Hussein, petit-fils du Prophète et fils de Ali ibnou abi Tâlib, quatrième calife de l’islam, marche sur l’Irak, pour faire valoir ses droits à la succession califale, ouverte après l’assassinat de son père, imputée aux Omeyyades. Hussein et son armée sont défaits, malgré une opposition farouche, par les troupes du calife Yazid 1er envoyé de Damas. Hussein fut, selon la tradition, décapité et son corps mutilé. Il est enterré à l’endroit même où il mourut, et Karbala est aujourd’hui un grand centre de pèlerinage chiite. Si la notion de « fête religieuse » au sens anthropologique se décline comme un temps sacré par lequel les fidèles entrent en communion avec le divin, nul doute qu’il convient de chercher le paradigme de la fête chiite dans la célébration d’Achoura. Ces derniers débutent dès le 1er du mois de Muharram et se poursuivent jusqu’au 20 du mois de Safar, correspondant au jour d’Arba’ïn (littéralement « quarante », en arabe). Toutefois, la période de deuil proprement dite dure jusqu’à la fin du mois de Safar, que clôt le martyre de l’imam Ali Rezâ Imam (29 Safar). Durant ces deux mois de deuil, toute festivité profane est prohibée, particulièrement les noces. Chants, danses, soins corporels (maquillage, henné) sont aussi théoriquement interdits. Notons toutefois, que ces interdits revêtent un caractère encore plus prescriptif les 10 premiers jours de Muharram. le pèlerinage à Karbala Achoura est donc synonyme de grand jour national de deuil pour les chiites. L’un des aspects de cette commémoration est le pèlerinage à Karbala, lieu du massacre, en Irak, où les pèlerins se mortifient souvent jusqu’au sang. Ainsi, l’Achoura chiite est marquée par des manifestations religieuses et folkloriques fort pittoresques (lamentations, flagellations, mortification…) de foules exaltées. Pourtant, paradoxalement Achoura est aussi vécu comme un grand moment de joie par les chiites. Achoura est un temps béni qui place les fidèles en présence de l’imam et qui transporte le croyant au cœur même du drame de Karbala. Achoura permet de partager les souffrances d’Hussein qui devient un proche, un ami. Les rituels d’Achoura et leurs lots de mélopées plaintives font revivre le martyre de l’imam qui se « dévoile » à sa communauté. Et il n’est pas rare que l’imam se manifeste à travers des miracles qui suscitent ferveur et exaltation. Les grands festins collectifs sont placés au moment d’Achoura sous le signe de la bénédiction (la nourriture est vectrice de baraka). L’abondance soudaine d’aliments divers et variés (pâtisseries, viande, fruits, boissons…) offerts aux passants dans les rues atteste, pour les croyants, de la présence divine et de cette bénédiction. Ce sont donc les remous politico-historiques qui en transforment radicalement le sens dans la doctrine chiite. La mort du petit-fils du Prophète dans les conditions tragiques décrites plus haut devient alors progressivement l’un des pivots de l’eschatologie chiite.

célébration De lA FÊTe D’achoura dans le sunnisme

Dans le sunnisme, Achoura est une fête mineure qui n’en demeure pas moins la fête de la bienfaisance et de la générosité envers la famille, les parents, les orphelins, les déshérités. Ainsi il est aussi d’usage d’y égorger des poulets et de préparer un dîner partagé en famille, ou encore pour nos parents. La veille du 10ème jour et le lendemain les petits enfants font des processions pour aller saluer les grands parents, des carnavals sont organisés. Actes charitables et retrouvailles familiales On l’aura compris, en plus du jeûne recommandé en ce jour, les fidèles sont invités à redoubler d’actes charitables à cette occasion particulière. La Sunna est explicite en la matière : « Quiconque aura donné à manger à un croyant la nuit de Achoura sera considéré comme ayant nourri toute la communauté du Prophète. » « Quiconque aura fait l’aumône le jour de Achoura sera considéré comme n’ayant jamais renvoyé un nécessiteux. » « Quiconque aura caressé la tête d’un orphelin le jour de Achoura, Allah l’élèvera en dignité autant qu’il y a de cheveux sur la tête de l’enfant. » Il est important de rappeler que ce geste a une haute portée symbolique et ne saurait se limiter à une gestuelle mécanique. En effet, par cet acte de solidarité, le fidèle doit se rappeler la condition de l’orphelin et faire preuve de compassion et de largesse à l’égard de toute personne dans le besoin. Il est également recommandé de se montrer généreux à l’endroit de sa famille : « Quiconque se montrera généreux à l’endroit de sa progéniture, Allah lui rendra la pareille toute l’année. » C’est ce qui est à l’origine du célèbre dîner partagé en abondance avec la famille et les parents à cette occasion. Que ce soit autour d’un copieux repas, Achoura, au-delà de son aspect religieux, est une occasion privilégiée pour des retrouvailles familiales et demeure un moment festif propice au resserrement des liens et à un regain de solidarité. Par tradition, Achoura est aussi propice à l’acquittement de la zakat, cette aumône légale destinée à assister les plus démunis.

Les bienfaits d’Achoura

l’importance de cette fête peut s’illustrer à travers ce qu’en dit la Tradition musulmane elle-même :

« Allah le Très-Haut a prescrit aux enfants d’Israël le jeûne d’un jour dans l’année : le jour de ‘As-hura (10ème jour de Muharram). Jeûnez-le et montrez-vous généreux envers votre famille ; quiconque se montrera généreux à l’endroit de sa progéniture, Allah se montrera généreux à son endroit toute l’année. C’est en effet le jour où Allah a accordé le pardon à Adam, élevé Idris à une haute dignité, sauvé Noé (Nûh) en le sortant de sa pirogue, sauvé Abraham (Ibrâhîm) du Feu, révéla la Thora à Moïse (Mûssa), fait sortir Joseph (Yûssuf) de la prison, redonné à Jacob (Ya’qûb) la vue, sauvé Job (Ayyub), fait sortir Jonas (Yûnuss) des entrailles du poisson, fait traverser la mer aux enfants d’Israël, pardonné à David ses péchés, donné la royauté à Salomon (Suleymane), pardonné à Muhammad tous ses péchés passés et à venir. C’est également le premier jour de la Création ; la première fois où la pluie est tombée est un jour de Achoura, de même la première fois où la miséricorde divine est descendue sur Terre. Quiconque y aura observé le jeûne, c’est comme s’il avait accompli un jeûne éternel et c’est le jeûne des Prophètes. Quiconque aura vivifié par ses dévotions la nuit de l’Achoura, c’est comme s’il avait adoré Allah l’équivalent des habitants des sept cieux. Quiconque y aura accompli une prière de quatre rakats en récitant à chaque rakat une fois la sourate Al Fatiha et 50 fois la sourate Al Ikhlâss, Allah lui pardonnera 50 années de péchés. Quiconque aura donné à boire le jour de Achoura, il sera considéré comme n’ayant jamais renvoyé un nécessiteux. Quiconque se sera lavé et purifié le jour de Achoura ne tombera pas malade durant l’année sauf la maladie de la mort. Quiconque aura caressé la tête d’un orphelin ou aura accompli une bonne action à son endroit, c’est comme s’il avait accompli de bonnes actions à l’endroit de tous les orphelins du monde. Quiconque aura rendu visite à un malade, c’est comme s’il avait rendu visite à tous les malades du monde. C’est le jour où Allah a créé le Trône, la Tablette et le Qalam. C’est le jour où l’archange Gabriel a été créé, le jour de l’Ascension de Jésus (‘Îssâ) et ce sera le jour de la Fin du monde. » (al-Bukhari) Ainsi Achoura, en islam, constitue aussi un jour anniversaire des plus grands événements marquants dans la genèse – au sens de création de l’Univers – et dans l’histoire de l’humanité.