Cacao : la Côte d’Ivoire et le Ghana passent à l’attaque

Les deux principaux producteurs de cacao du monde ont décidé ensemble d’un prix de vente minimum de leurs fèves. À Abidjan, cette semaine, ils négocient avec les acteurs de la filière. Focus sur les questions essentielles sur la table.

Un nouveau cartel du cacao serait-il en train d’émerger en Afrique de l’Ouest ? Ce mercredi 3 juillet, la Côte d’Ivoire et le Ghana, qui assurent près des deux tiers de la production mondiale d’or brun, ont un rendez-vous crucial avec les acteurs de la filière à Abidjan. Ensemble, ils doivent étudier les modalités d’application d’un prix plancher du cacao fixé à 2 600 dollars (2 300 euros) la tonne. Un seuil en deçà duquel les deux plus gros fournisseurs de la planète refusent désormais de vendre leurs fèves de cacao. Ils en ont fait l’annonce le 12 juin, après deux jours de réunion à Accra avec des négociants et des fabricants. Pour peser dans les négociations, ils ont aussi décidé de suspendre « jusqu’à nouvel ordre » les ventes de cacao pour la campagne 2020-2021, qui commencera dans un peu plus d’un an. C’est donc une tentative des deux pays voisins de fixer leurs propres règles – qualifiée d’« historique » par le président du Cocobod (Ghana Cocoa Board) Joseph Boahen Aidoo – qui doit se concrétiser lors de cette deuxième rencontre.

Pourquoi un prix minimum garanti aux producteurs ?

Pour justifier la mise en place d’un prix de vente minimum, le Cocobod et le Conseil Café Cacao (CCC) ivoirien ont invoqué les faibles gains de leurs cultivateurs. Ceux-ci ne perçoivent qu’entre 4 et 6 % des 100 milliards de dollars générés annuellement par le marché international du cacao, tandis que la plus grosse part du gâteau revient aux distributeurs, à l’autre bout de la chaîne. « Il y a un problème structurel que l’on retrouve dans d’autres produits de base tels que le café ou le coton. Tous les acteurs de la chaîne y gagnent sauf les petits producteurs », résume Michel Arrion, directeur exécutif de l’Organisation internationale du cacao (ICCO), selon qui le fait de fixer un prix minimum « va dans le bon sens ». Depuis que l’Organisation fait les comptes (1972), le marché du cacao est marqué par une « légère surproduction structurelle qui ne cesse de peser sur les prix et les pousser à la baisse : ils ont été divisés par quatre depuis 1975. Revoir les prix à la hausse n’est donc pas une aberration économique, et c’est aussi une question d’accès à de meilleures conditions de vie et d’équité pour les producteurs », rappelle-t-il.

2 600 dollars par tonne est-il un prix juste ?

Si le prix plancher de 2 600 dollars n’est guère plus élevé que ceux du marché ces derniers jours – en dents de scie, le cours du cacao a oscillé entre 2 150 et 2 550 dollars la tonne en 6 mois avec un plus haut après l’annonce du 12 juin –, il a le mérite de protéger les producteurs en cas de baisse des cours. Pour mémoire, la récolte record de la campagne 2016-2017 en Côte d’Ivoire (2 millions de tonnes de fèves) avait fait chuter le prix d’achat au producteur de 35 %. Il s’agit donc d’une progression, même si « les revenus des cacaoculteurs auraient pu être augmentés davantage », selon Michel Arrion, plutôt partisan d’un seuil de 3 000 dollars la tonne (2 650 euros). Quant aux répercussions concrètes pour un planteur dans l’hypothèse d’un prix d’achat du cacao à 2 600 dollars la tonne, l’économiste du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) François Ruf fait le calcul à Abidjan : « Il est question d’un prix au producteur de l’ordre de 70 % du prix CAF, ou prix à l’export, ce qui se traduit par un prix au kilo aux alentours de 1 000 francs CFA, contre 750 aujourd’hui. » Soit une hausse de plus de 30 %, en théorie.

Pourquoi l’annonce du 12 juin a-t-elle été qualifiée d’« historique » ?

« Historique », c’est le terme employé par le directeur général du « Ghana cocoa Board » Joseph Boahen Aidoo. Mais il renvoie surtout au réchauffement des relations entre les deux voisins. « C’est en effet historique de voir la Côte d’Ivoire et le Ghana discuter, aboutir à une annonce commune, tenter de l’inscrire dans leurs politiques commerciales, et enfin affronter le marché international ensemble. Jusqu’à présent, ils s’en tenaient à une sorte de conversation de salon superficielle, sur fond de méfiance, voire de jalousie. Longtemps premier producteur mondial de cacao, le Ghana n’a jamais vraiment accepté de se faire doubler par son voisin », relate François Ruf. C’était en 1977, en plein « Miracle ivoirien ». Et le cacao n’a pas été le seul motif de discorde entre Abidjan et Accra. Dès l’indépendance, les relations entre Houphouët-Boigny, partisan d’une coopération avec l’ancien colonisateur, et le plus radical Kwame Nkrumah sont houleuses. Plus tard, ce sont les accusations mutuelles d’héberger des opposants politiques qui fusent, tandis qu’en 2013, un litige sur le tracé des frontières maritimes, sur fond de découverte de pétrole au Ghana, les oppose. Un climat qui ne favorise pas vraiment l’élaboration d’une politique commune de prix garantis aux producteurs de cacao… mais fait aussi perdre de l’argent aux États. « Les différentiels de prix étaient tels ces 20 dernières années que les volumes de fèves dans les circuits de contrebande entre la Côte d’Ivoire et le Ghana ont atteint des sommets, parfois jusqu’à 200 000 tonnes par an », précise l’économiste du Cirad installé en Côte d’Ivoire.

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