CÔTE D’IVOIRE : MONOGAMIE, MAIS PAS TROP

Une seule épouse, c’est la loi. Pourtant, les unions traditionnelles multiples continuent d’être tolérées…

En 2010, lors de la campagne électorale pour la présidentielle, les Ivoiriens virent une femme du nom de Nady Bamba animer des meetings de soutien au candidat Laurent Gbagbo, qui était alors président de la République, en se présentant comme son épouse. Et pourtant, tout le monde connaissait Simone Ehivet Gbagbo, que l’on savait être l’épouse légale du chef de l’État depuis de longues années. Mais ni Laurent ni Simone ne protestèrent et personne n’accusa la dame Nady Bamba d’avoir usurpé la qualité d’épouse de Laurent. À vrai dire, aucun Ivoirien ne fut surpris, car tout le monde connaissait plus ou moins l’existence de Nady Bamba dans la vie de Gbagbo. Tout le monde savait qu’elle était sa seconde épouse.

En Côte d’Ivoire, les choses sont pourtant claires. La seule forme de mariage reconnue est la monogamie. En clair, on ne peut épouser devant la loi plus d’une femme. La seule concession qui a été faite aux régimes antérieurs par cette loi adoptée en 1964, soit quatre ans après l’indépendance du pays, fut de permettre à ceux qui étaient déjà mariés traditionnellement à plusieurs femmes de faire reconnaître ces mariages. Mais il n’était plus question d’ajouter une nouvelle femme à celle ou celles existant déjà sans avoir dissous ces unions. Cette loi marquait une rupture totale avec les coutumes du pays, toutes ethnies confondues, et avec les pays voisins dont plusieurs avaient opté pour la polygamie légalisée. De la même façon, la dot fut aussi abolie. Félix Houphouët- Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, expliqua ainsi la situation : « Lorsqu’il nous est apparu que la survivance de certaines traditions constituait un obstacle ou un frein à l’évolution harmonieuse de notre pays, nous n’avons pas hésité à imprimer les changements nécessaires. C’est ainsi qu’après une longue campagne d’explication entreprise par nos militants et nos responsables politiques et administratifs auprès des populations concernées, des textes essentiels ont vu le jour. Un Code civil rénové consacre la suppression de la polygamie et réforme la dot. Un état civil moderne est mis en place. »
 
La loi de la ville et celle du village 

La polygamie fut-elle vraiment supprimée ? Oui, si l’on veut, dans la mesure où il n’est pas possible de contracter légalement deux mariages avant que le premier n’ait été dissous. Mais pour le mariage comme pour de nombreux autres aspects de la vie quotidienne, la Côte d’Ivoire fonctionne selon deux modes : le mode moderne et le mode traditionnel. Ou, si l’on veut, selon deux lois, celle de la ville et celle du village. Nous avons d’un côté les Ivoiriens modernes qui se marient selon la loi moderne, à l’européenne si l’on peut dire, c’est-à-dire costume européen de grand prix pour l’homme et robe blanche de mariée avec longue traîne parfois achetée en France pour la femme, gâteau de plusieurs étages en fonction des bourses, limousine, dragées, etc. Et de l’autre, il y a ceux qui se marient selon les règles prescrites par leurs traditions et religions, et qui ne font aucun cas des lois modernes censées régir la république. Ainsi trouve-t-on dans plusieurs localités ivoiriennes des hommes mariés parfois à quatre femmes, parce que c’est ce que prescrit leur religion, l’islam en l’occurrence.

Entre les deux, il y a ceux qui font les deux. C’est-à-dire des personnes qui se marient selon la loi moderne, puis vont contracter un autre mariage selon la tradition ou la religion. C’est ce que Laurent Gbagbo, alors président de la Côte d’Ivoire et garant supposé du respect des lois de ce pays, avait fait. Tout le monde en Côte d’Ivoire connaissait le couple formé par Laurent et Simone Gbagbo, et leur combat pour accéder au pouvoir. Tout le monde savait aussi en Côte d’Ivoire qu’une fois au pouvoir, Laurent n’avait pas su résister aux tentations de la chair. Les Ivoiriens parlaient à voix haute des maîtresses réelles ou supposées du grand chef et de son entourage. Un membre de cet entourage qui entretenait des relations adultérines avec une chanteuse guinéenne déclara dans un journal qu’un homme bien constitué devait avoir une maîtresse. Personne ne lui donna tort. Il faut dire que le fait d’avoir une maîtresse, aussi appelée « second bureau », fait depuis longtemps partie des moeurs ivoiriennes. Un homme, en fonction de sa richesse, pouvait avoir autant de bureaux qu’il voulait. L’essentiel était de pouvoir les entretenir. C’est un phénomène que l’on rencontre partout dans le monde. Mais en Côte d’Ivoire la chose est si ancrée dans les moeurs que de nombreuses femmes acceptent sans trop se plaindre que leur mari entretienne une maîtresse. Tant qu’il remplit ses devoirs conjugaux.

Un jour, un journal raconta par le menu le mariage traditionnel contracté par Laurent Gbagbo et Nady Bamba, une femme musulmane originaire du nord de la Côte d’Ivoire. Il ne faut pas confondre maîtresse et seconde épouse. La seconde épouse, mariée selon la tradition ou la religion, est considérée comme une vraie épouse dans cette communauté, même si la loi ne reconnaît pas ce mariage. Elle est parfois plus respectée que l’épouse légale, si cette dernière n’a pas été épousée en parallèle selon la coutume ou la religion. Alors, depuis que le grand chef a montré que l’on pouvait être marié légalement et autrement, nombreux sont les musulmans ivoiriens qui prennent le prétexte de leur religion pour prendre une seconde épouse, voire plus. Les autres s’en tiennent à leurs traditions. Et il se trouve que toutes les traditions ivoiriennes reconnaissent la polygamie. « Qui est fou ? » comme on dit en Côte d’Ivoire.