Double formation du Cheickh Aïma Boikary FOFANA en Égypte : sciences religieuses et sciences économiques

Pour poursuivre ses études islamiques et par goût de l’aventure « Misr, l’Égypte, c’était le rêve de tous les arabisants, comme Paris pour les francophones ! »
– Aboubacar Fofana partit au Caire au départ du Ghana, où il avait pu bénéficier d’une bourse de l’ambassade d’Égypte, en déclinant une bourse de l’Arabie saoudite. C’était en 1963,
Fofana avait 20 ans. Avant de partir, son père lui dit une phrase dont la résonance le tint à l’abri de l’écueil des doutes : « C’est sur toi que nous comptons pour être sauvés ». Cette phrase du père résumait le sens de la mission qu’il allait progressivement faire sien, après un temps d’immersion séculière dans la société urbaine cairote.
À l’Institut al-Azhar, Fofana fut placé en classe de 3e pour améliorer son arabe. Il étudia aussi la théologie, mais sa déception fut que les professeurs en la matière étaient les plus insipides et les moins captivants (on ne sait pas si la situation reflétait la récente nationalisation de l’université al-Azhar par le régime Nasser) (Zeghal, 1996). Sa bourse s’élevait à 5 000 francs CFA par mois ; il vivait modestement en cité universitaire. Au bout de trois ans, il réussit le concours d’entrée au lycée d’État Hussein, où il obtint son baccalauréat.Fofana s’inscrivit ensuite en licence de sciences économiques à la faculté de commerce de l’université du Caire (Jǎma‘at al-Qǎhirah), dont l’image publique – plus moderne, profane, occidentale – contrastait forte- ment avec celle d’al-Azhar. Ce changement d’orientation était un choix délibéré. Dans la perspective du retour au pays, Fofana voulait montrer, par son exemple, qu’il n’était pas contradictoire d’être à la fois savant en théologie et en sciences séculières. Il ambitionnait aussi de servir non seulement sa communauté de foi mais encore son pays dans son entre- prise de développement. Il lui tenait surtout profondément à cœur de de- venir autonome financièrement, autant par souci de ne pas être un poids pour les autres et d’aider sa famille que pour préserver sa liberté envers et contre tout appât à la cooptation. Même les plus farouches critiques de Fofana le créditent pour avoir su préserver son intégrité, tant financière qu’intellectuelle.

Parallèlement à ses études, Aboubacar Fofana s’engagea dans le militantisme syndical. Il fut président de la section égyptienne de l’Union nationale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (UNEECI), association laïque au titre de laquelle il rentra plusieurs fois à Abidjan. Dans le contexte de ces activités et pour mieux préparer sa réinsertion socio- professionnelle au pays, il eut l’initiative de s’inscrire en cours de français au Centre culturel français du Caire. Fofana animait aussi une association d’étudiants subsahariens de l’université du Caire. Une année, réclamant de meilleures conditions matérielles d’études, ces étudiants déclenchèrent une grève qui paralysa le campus. La police s’abstint d’intervenir et le calme revint. Plus tard cependant, avec l’intention d’expulser les meneurs du pays, elle opéra une rafle à laquelle Fofana échappa de justesse pour avoir déménagé la veille du campus en ville. Avec le recul, Fofana jugeait l’action de son association plutôt présomptueuse… L’époque était au romantisme révolutionnaire et le tempérament du jeune Fofana immanquablement fougueux et passionné.

À côté de ses études commerciales et de ses activités syndicales, Fofana mûrit ses connaissances et son engagement religieux. Avide de savoir, il se forma pour l’essentiel en autodidacte, achetant journaux et livres avec une prédilection pour les écrits traitant de la question de l’islam dans le monde contemporain, inaugurant ainsi une tendance qu’il suivit toute sa vie. Ainsi découvrit-il, entre autres auteurs, les Égyptiens Hasan al-Banna, Mohammed Abduh, Sayyid Qutb et le cheikh Yusuf al- Qaradawi, l’Algérien Malek Bennabi, le Syrien Said Hawwa et les Indiens Abu Ala Mawdudi et Cheikh Abu al-Hassan an-Nadawi. Si Fofana n’a jamais écrit, il n’a cessé d’être un lecteur assidu, comme nombre de « nouveaux intellectuels » musulmans.

Fofana précise n’avoir pas eu de contact personnel avec le mouve- ment des Frères musulmans, alors dans la clandestinité, par précaution face au risque d’expulsion. Mais outre qu’il fut nourri par certaines de leurs idées, il assista à l’occasion à certains de leurs prêches et fut positivement impressionné par leur style rénové et dynamique de prédication16. Avec le temps, Fofana se rapprocha d’un petit cercle d’amis africains qu’unissait leur profond attachement à l’islam. Ces amis étaient pour la plupart Sénégalais. En faisait partie cheikh Karamba. Ensemble, ils prêtèrent serment de rentrer chacun dans leur pays respectif pour faire avancer la cause de l’islam. C’est ainsi que Fofana renonça à une bourse pour continuer ses études au Canada et rentra définitivement à Abidjan en 1972, diplôme en poche, après neuf ans de séjour égyptien.