Entretien avec le géant de l’engrais marocain

« Le futur d’OCP s’inscrit dans un développement vert »

Pour Jeune Afrique, le président- directeur général du géant marocain des engrais dessine la feuille de route de son groupe pour les dix années à venir.

Ses prises de parole dans les médias étant rarissimes et le dernier entre­tien accordé à Jeune Afrique remon­tant à 2010, cette longue interview de Mostafa Terrab fait figure d’évé­nement. À 65 ans, le patron d’OCP, géant mondial des engrais, est une personnalité reconnue au niveau international. Adoubé par Hassan II au début des années 1990, quand il rejoint le cabinet royal, il demeure également un grand commis de l’État intimement attaché au rayonnement du royaume. Sous sa direction depuis 2006, OCP (6,1 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020) s’est totalement transformé et poursuit aujourd’hui sa mue, diversifiant ses activités, modernisant ses infrastructures et sa gouvernance, investissant dans la recherche et le développement. C’est à l’aube d’une nouvelle étape, alors que ses équipes préparent la présentation, d’ici à la fin de l’année, du plan 2021-2030 du groupe, que le PDG prend la parole. S’il revient sur la résilience du groupe face à la pan­démie de Covid-19 et met en avant ses atouts dans un contexte de concur­rence accrue sur le marché mondial, le dirigeant originaire de Fès esquisse aussi les contours du prochain virage qui veut prendre OCP.

Un virage vert porté par les capacités d’innovation développées au sein de l’Université Mohammed-Vl (propriété du groupe OCP) qui doit permettre de construire une industrie plus respectueuse de l’environnement autour de la décarbonation et de la préservation de l’eau.

Jeune Afrique : Comment va OCP après une année marquée par une pandémie médite dont on ne voit pas encore la fin ? Votre chiffre d’affaires, en hausse de 4 % en 2020, semble indiquer que votre groupe a su gérer cette période pleine d’incertitude.

Mostafa Terrab : En effet, le monde fait face à une épidémie inédite dans un contexte mondial marqué par l’ouverture et la circulation des personnes et des biens presque sans entraves. Au moment où les autorités nationales ont décrété l’urgence sanitaire et pris des mesures préventives pour faire face aux effets de la pandémie, le groupe s’est organisé pour assurer la résilience de ses opérations. Il a mis ses personnels non indispensables à la production en télétravail et créé dans le même temps un Business Résilience Center (BRC). La mobilisation exemplaire de l’ensemble des collaborateurs et l’engagement responsable de nos sous-traitants ont permis d’assurer la bonne marche de la production et de la chaîne logistique. La progression de notre chiffre d’affaires dans un contexte de bas de cycle, marqué également par la plainte déposée par notre concurrent américain, est remarquable.  Nous nous sommes rapidement adaptés à un marché global où nos activités sont naturellement liées au secteur alimentaire. Par ailleurs nous nous sommes attachés à réduire nos coûts de production. Je saisis l’occasion pour rendre hommage : à l’ensemble des collaborateurs d OCP pour cet engagement remarquable       .

Pourtant, le prix des engrais n’était pas spécialement haut. Vous avez compensés en gagnant de nouveaux marchés.

 Nous sommes un acteur mondial avec des clients sur les cinq continents et nous sommes également un acteur intégré sur l’ensemble de la chaîne de valeur des phosphates, je prends deux exemples. Le premier l’Inde, qui est notre client traditionnel sur la roche et l’acide. Ce grand pays a connu, comme ailleurs, des mesures de lockdown ayant affecté sa production de fertilisants. Nous avons rapi­dement réagi en approvisionnant nos clients indiens en fertilisants, et ils en ont fait profiter l’agriculture et les fermiers dans un contexte de mousson exceptionnellement favo­rable. Le seconde exemple, l’Éthiopie, est un partenaire de premier plan en Afrique. Nous travaillons à satis­faire la demande de ce pays, dont la consommation d’engrais croît conti­nuellement pour assurer sa sécurité alimentaire et soutenir ses exporta­tions en produits agricoles.

 

Mostafa Terrab, président-directeur général du Groupe OCP depuis 2006

 

Notre record de production a validé nos investissements contracycliques.

Sur la question des prix bas que vous évoquiez, l’année 2020 a éga­lement été celle où notre plan d’in­vestissement initial, consistant à tripler notre capacité de production a joué à plein et nous a permis de réaliser un record de production validant ainsi nos investissements contracycliques.

Quels sont vos objectifs pour cette année ? Faites-vous du développement de vos ventes d’engrais en Asie et en Amérique du Sud une priorité ? Souhaitez- vous encore augmenter le poids des ventes d’engrais dans votre chiffre d’affaires (et diminuer celle de la roche) ?

D’abord, le groupe OCP est un acteur intégré sur l’ensemble de la chaîne des fertilisants, de la roche de phosphate aux engrais en passant par l’acide phosphorique, un produit intermédiaire servant à la fabrication d’engrais et à d’autres uti­lisations alimentaires ou techniques. L’intégration confère une flexibilité qui permet de s’adapter à la variété de la demande mondiale. Par ailleurs, nos ventes s’équilibrent sur les quatre continents, l’Océanie étant intégrée à notre réseau commer­cial Asie. Forts des orientations de Sa Majesté le roi, nous travaillons à valo­riser cette ressource stratégique pour la vie qu’est le phosphore, de manière responsable et au bénéfice de toute l’humanité. Notre stratégie s’adapte à la demande de nos clients et s’inscrit dans la chaîne de la sécurité alimentaire mondiale.

Mi-2020, votre concurrent américain Mosaic a porté plainte aux États-Unis contre vous pour et ont décidé, en mars dernier, d’imposer à vos exportations des droits compensateurs hauteur de 19,97 %. Dans l’attente de cette décision, vous aviez suspendu vos ventes aux États-Unis. Allez- vous reprendre vos exportations ?

Permettez-moi d’abord de cor­riger: il ne s’agissait pas d’une plainte pour dumping, distorsion anticoncurrentielle qui consiste à vendre moins cher que le coût de pro­duction et susceptible d’être sanction­née pénalement ! Le reproche portant sur le régime d’exploitation des res­sources minières ne concernait pas les pratiques commerciales.

Notre volonté est de servir les fermiers américains. Nous évaluons toutes les options pour les approvisionner au mieux.

Je ne commenterai pas ici la décision des autorités américaines. En revanche, dès l’annonce des décisions frappant de droits de douane nos produits, nous avons réaffirmé notre intention de continuer à servir les fermiers américains. Nous évaluons toutes les options possibles pour approvisionner au mieux tout le marché nord-américain.

Cette surtaxe a été motivée par le fait qu’OCP a accès gratuitement au sous-sol marocain, ce qui fait très fortement baisser vos coûts de production. Comprenez-vous cet argument ?

je vous ai signalé que je tiendrais de commenter les décisions des autorités administratives américaines. Pour répondre à vos questions et vous éclairer, je Précise que nous sommes une entreprise ? publique détenue très majoritairement par l’État. Nous avons remplacé la taxe de monopole – en cours du temps où OCP était institué établissement public – par une politique de dividendes qui permet aux sociétés anonymes de rémunérer leurs actionnaires. OCP est soumis par ailleurs au régime commun en matière de taxation et de prélèvement d’impôts. En la circonstance, ce qu’OCP remonte à l’État actionnaire ou comme agent contribuable est sans commune mesure avec ce qui prévalait avant.

Cette année 2020 a été marquée en interne par des efforts supplémentaires d’économie, et vous annoncez vouloir continuer dans cette voie. OCP n’était pas assez strict sur la gestion de ses dépenses jusqu’à présent ?

Depuis plus de douze ans, nous travaillons en permanence sur ce que l’on appelle le cost leadership. C’est un effort continu. Notre action vise constamment l’adaptation de nos moyens aux buts que nous nous fixons. Qualité de nos produits et qualité environnementale, satisfaction des clients, excellence opérationnelle sont des objectifs au cœur de nos stratégies, elles-mêmes en continuelle adaptation. En conséquence, la bataille que nous menons pour la compétitivité par l’innovation et la maîtrise des coûts est une bataille de tous les instants.

Bien que détenu à 95 % par l’État marocain, OCP a obtenu le statut de société autonome. Pourtant, dans un certain nombre de cas, on a le sentiment que votre groupe participe aux politiques publiques. Cette année, vos donations pour lutter contre le Covid-19 ont été très important05 (339 millions de dollars). Est-ce le rôle d’OCP d’accorder son appui à l’État ?

D’abord, je le mentionnais tout à l’heure, OCP est passé du statut d’établissement public à celui de société anonyme, avec tous les stan­dards de gouvernance : conseil d’ad­ministration et comités émanant de celui-ci. S’agissant du don Covid, laissez-moi vous dire combien nous avons été fiers, comme nombre de sociétés – y compris privées – et autres personnes physiques, de participer à cet élan national. Vous n’imaginez pas un instant que les entreprises privées, grosses contributrices à l’effort de solidarité natio­nale, l’aient fait sur injonction !  Notre action ne nous a été dictée par personne. J’ajoute d’ailleurs que nombre de nos collaborateurs y ont spontanément et librement contri­bué également.

OCP exploite la mine de Boukraa, au Sahara. Le regain de tension avec le Polisario depuis novembre 2020 vous inquiète-t-il ?

Comme chef d’entreprise, je ne me ferai pas entraîner par des ten­sions voulues par les adversaires de l’intégrité territoriale nationale. Ce que je pourrais vous dire est que nous exploitons les ressources phos­phatées de Boukraa en bon père de famille. Nous avons apporté régulièrement des fonds propres pour assu­rer la continuité de l’exploitation de la mine, des infrastructures de traite­ment et de la logistique. Nous avons accompagné la montée en nombre et en compétence de nos collaborateurs issus de nos provinces du Sud et, lorsque Phosboucraa est bénéficiaire, nous ne remontons jamais un dirham de dividende. Tous les profits sont réinvestis localement. Nous sommes engagés dans un programme d’inves­tissement colossal de plus de 2 mil­liards de dollars : port, traitement du phosphate, transformation en engrais, accompagnement de ces investissements en capacité de pro­duction et en capital humain. Nous avons créé une technopole abritant également l’Université Mohamed- Vl-Polytechnique [UM6P], avec des capacités de recherche et dévelop­pement dans les disciplines des éner­gies renouvelables et de l’agriculture en milieu aride et salin.

Le Polisario s’est souvent servi de l’inscription du Sahara sur la liste des territoires non autonomes des Nations unies pour faire saisir des navires. Est-ce toujours le cas ?

Les autorités politiques maro­caines prennent en charge la défense des intérêts légitimes et supérieurs de la nation sous l’autorité suprême de Sa Majesté le roi. Toute la nation est derrière le souverain. Quant au rapt des navires, l’expérience sud-afri­caine a montré, s’il en avait été besoin, combien est vain ce type de piraterie.

Les États-Unis viennent de recon­naître la marocanité du Sahara. Cette évolution se remarque- t-elle ailleurs ?

Une très grande majorité des pays reconnaît la pertinence et la crédibi­lité du plan d’autonomie sous sou­veraineté marocaine. Évidemment, la reconnaissance américaine est un pas décisif, et, comme vous l’avez certainement relevé, beaucoup de pays ont ouvert des représentations consulaires dans nos provinces du Sud.

En novembre, OCP a accueilli Nadia Fassi Fehri en tant que responsable de la transformation numérique et membre de votre conseil d’administration. Votre groupe a-t-il besoin de féminiser ses équipes ?

Notre groupe est fier d’avoir accueilli Mme Nadia Fassi Fehri, dont les compétences sont largement reconnues dans le marché des talents au Maroc. Cette dame et bon nombre de talents ont rejoint le groupe, aussi bien au niveau du corporate que de l’UM6P pour renforcer nos capacités managériales et de transformation. Mme Fassi Fehri est investie en qua­lité de chief transformation officier et n’est pas membre du conseil d’ad­ministration. La parité est érigée comme levier de performance au sein du groupe, et beaucoup de nos collaboratrices comptent parmi le top management. Savez-vous que bon nombre de femmes travaillent dans la production, longtemps un domaine réservé aux hommes, comme cheffes de production, aussi bien au niveau minier que dans la transformation industrielle, voire comme conduc­trice de gros engins. Notez par ail­leurs que les femmes constituent désormais la moitié de nos recrute­ments d’ingénieurs. Tout le Maroc est engagé dans cette voie, qui fait par­ticiper les femmes à la création des richesses dans notre pays. Elles sont très souvent très méritantes.

Ces derniers mois, votre état- major a été largement remanié, ce qui n’est pas la première fois. Quel est l’objectif de ces changements ? Des remanie­ments réguliers sont-ils néces­saires dans un groupe comme OCP ?

Comme partout ailleurs dans les grandes firmes, nous adaptons notre organisation aux impératifs straté­giques du moment et nous donnons leur chance aux jeunes talents en veillant à mobiliser, en permanence, l’intelligence collective du groupe dans son entièreté.

Fin mars, OCP a réalisé sa première vente d’engrais (vers l’Éthiopie) via la blockchain. Le groupe va-t-il généraliser l’usage de cette technologie ?

Permettez-moi de corriger. Nous n’avons pas réalisé de vente

par la technologie que vous mentionnez. Les ventes en Éthiopie résultent d’un appel d’offres qui date d’octobre 2020. En cette période de pandémie où certaines chaînes logistiques sont perturbées, nous avons eu recours à une plateforme de tierce confiance pour l’échange de documents sécurisés et nécessaires aux supports de paiement et à la réduction des temps de traitement des transactions commerciales.

Le principe de la blockchain est à la base de la création de crypto-monnaies, dont la plus connue est le bitcoin. Ces devises d’un nouveau genre, dont la gestion échappe aux banques centrales, vous intéressent-elles ?

Comme je l’ai indiqué, en accord avec notre client, nous avons eu recours à la technologie en question pour sécuriser et accélérer le paiement. Nos recettes à l’export sont réalisées en dollars et en euros exclusivement.

Depuis plusieurs années, OCP s’est diversifié dans les secteurs de l’analyse de données, de l’agriculture, de l’énergie… Chaque fois, vous cherchez à être à la pointe de la connaissance. Quel est l’objectif de cette politique ? Ne pas rater l’innovation qui révolutionnera le secteur des engrais ?

Deux choses sont à distinguer. D’un côté, l’accumulation de la connaissance, la formation des talents et de recherche-développement. Toutes ces missions sont dévolues à l’UM6P. De l’autre, le transfert des savoir-faire accumulés et l’intégration des innovations au niveau d’OCP. À ce titre, le digital et l’analyse des données, les innovations en matière de recherche agricole, l’eau et l’énergie sont nécessaires pour la production, l’optimisation de la supply Chain, le service aux clients. Enfin, la décarbonisation et la mobilisation de ressources en eau non conventionnelles (recyclage et dessalement) sont des leviers pour le développement durable. Le groupe a mis en place, depuis plus de deux ans, une plateforme sustainability qui intègre les principaux objectifs de développement durable adoptés par la communauté internationale, y compris l’action à l’égard des communautés.

Vous entendez aussi être un acteur de l’hôtellerie. En 2020, vous avez mobilisé 1 milliard de dirhams et de nouveau

320 millions cette année. On est très loin de vos cœurs de métier…

 Savez-vous que nous avons nos propres infrastructures hôtelières et des parcs importants de logements résidentiels, de villégiatures et aujourd’hui estudiantins ? Gérer ce parc convenablement, être arrimé à des établissements de prestige, former des cadres pour ce secteur, par l’intermédiaire de l’UM6P et de ses partenaires internationaux reconnus… Tout cela permet de générer des synergies et de nous placer avec notre partenaire, le fonds Hassan II pour le développement, au service d’un secteur stratégique pour notre pays. C’est ce qui explique notre engagement.

En2022, l’Union européenne va faire évoluer sa réglementation en abaissant le taux de cadmium admis dans les engrais, en raison de la toxicité de cette substance. Cette dernière est d’avantage présente dans votre production que dans celle de vos concurrents. Quel va être l’impact de cette décision sur votre exportation vers l’UE (20% du total en 2020) ?

Aujourd’hui, et bien avant 2002, nous respectons les normes européennes en matière de taux de cadmium (60 ppm), alors que tous les scientifiques spécialistes de la question affirment que les taux de cette substance dans le sol sont bien supé­rieurs aux teneurs présentes dans les engrais. Vous le saurez bientôt, tous les engrais OCP seront conformes, et au-delà, aux réglementations les plus strictes en la matière. Nos plans de développement en cours, notre transformation à l’œuvre et nos futurs investissements sont inscrits dans un développement vert par le recours intensif aux énergies renouvelables, à la mobilisation des ressources aqua­tiques non conventionnelles, au recy­clage des rejets et aux circuits courts. Dès aujourd’hui, l’énergie utilisée dans nos usines de transformation de Safi et de Jorf Lasfar est propre grâce à la valorisation des vapeurs d’eau dégagées. De même, toute l’énergie mobilisée pour la mine de Boukraa est d’origine éolienne. Le Slurry pipe­line, utilisé pour le transport des phosphates de Khouribga vers Jorf, nous permet d’économiser 3 millions de m3 d’eau, de réduire notre empreinte carbone de près de 1 million de tonnes équivalent CO2 et d’optimiser nos coûts logistiques de transport !

Plus généralement que pensez-vous des experts de plus en plus nombreux qui appellent à limiter l’usage des engrais pour des raisons écologiques et sanitaires ? Faut-il revoir à la baisse les quantités utilisées dans les pays qui pratiquent une agriculture intensive ?

Depuis plus de quatre ans, nous diversifions notre portefeuille engrais et nous menons des recherches et des essais agronomiques pour l’usage des engrais pour le bon sol, la bonne culture et à la bonne dose.  Cependant, il ne faudrait pas oublier que le phosphore, élément essentiel à la vie, est un élément organique et non synthétique. J’ajoute : pour des raisons de santé humaine, seuls les engrais peuvent apporter nutriments essentiels aux plantes, comme le zinc, qui, selon les experts, permet également de neutraliser le cadmium. La customisation de nos produits au plus près des besoins des fermiers, des sols et des cultures y participe efficacement. Ainsi, la fertilisation respectueuse de l’envi­ronnement des sols est nécessaire à la sécurité alimentaire, à la lutte contre la déforestation et à la santé des sols. Bien utilisée, elle peut éga­lement contribuer à la séquestration du carbone.

À l’inverse, en Afrique, l’usage des engrais est encore très limité. Cela évolue-t-il néanmoins ?

Vous savez que le continent a le potentiel de nourrir toute la pla­nète. L’essentiel des terres en état d’être arables se trouve en Afrique. Le continent doublera sa popu­lation d’ici à 2050. C’est la raison pour laquelle, notre engagement en Afrique n’est pas celui d’un four­nisseur d’engrais mais celui d’un partenaire pour le développement des politiques publiques en matière d’agronomie, de développement rural et, le cas échéant, industriel- C est le sens de notre engagement industriel dans des pays comme l’Ethiopie et le Nigeria, qui, à eux deux, rassemblent le tiers de la population africaine. Notre université est également engagée dans cette voie et, à ce titre, se présente comme une université de formation de talents africains.

Il y a un peu plus de six mois, vous avez nommé Mohamed Anouar Jamali à la tête d’OCP Africa. Vous n’étiez pas satisfait des résultats sur cette zone ?

Mohamed Anouar Jamali est quelqu’un qui connaît bien le continent et qui a mené un excellent travail pour l’UM6P en matière de coopération africaine. Il a succédé à Karim Lotfi Senhadji, qui a été appelé apprendre l’importante responsabilité des finances du groupe.

Comment faut-il interpréter la diminution, ces dernières années, des exportations d’OCP vers l’Afrique, passées de 27 % en 2017 à 21% en2020 ?

Vous semblez oublier que notre stratégie Afrique n’a pas dix ans. En 2013, nous plafonnions à 50000 tonnes d’exportations par an vers l’Afrique et, aujourd’hui, nos volumes tournent autour de 3 millions de t par an. Si vous jugez les performances par les seuls volumes, vous n’aurez pas le bon indicateur de la performance. Dans certains pays, dont le Nigeria, nous avons investi dans des unités de blending [mélanges] où la customisation des produits se fait localement pour l’adapter aux besoins des sols et des cultures. Je signale à cet effet que la fondation OCP s’était engagée dans la réalisation de la carte de fertilité des sols dans certains pays africains pour, précisément, être capable d’effectuer cette customisation.

Quelle est la stratégie d’OCP en Afrique ? Est-ce que votre approche, couplant essor commercial et appui aux projets de développement, fait ses preuves ?

Je pense avoir donné tous les éléments qui permettent un éclairage utile à propos de notre approche sur le continent. Elle procède d’une conviction : l’Afrique a les moyens de prendre en charge son destin. Nous tentons humblement d’y contribuer.

En mars, vous avez signé un accord avec le Nigeria pour y construire une usine de fabrication d’engrais à plus de 1,3 milliard de dollars. Plusieurs groupes, dont Dangote, y ont aussi des projets importants. Comment comptez-vous vous imposer sur cet immense marché ? Ce projet aura-t-il aussi une portée régionale ?

Cet accord signé au Maroc fait suite à la décision prise lors de la visite de Sa Majesté le roi Mohamed VI au Nigeria, en décembre 2016. Il réunit les ressources phosphatées du Maroc et les ressources gazières du Nigeria au service de l’agriculture nigériane et du voisinage immédiat de ce grand pays.

Allez-vous multiplier les usines en Afrique ? Cela ne risque-t-il pas de se faire au détriment du Maroc ?

Au contraire ! Une entreprise qui se veut mondiale multiplie les opportunités de croissance chaque fois que l’intérêt bien compris des parties concernées est évident. La proximité permet en outre d’adapter nos produits aux besoins des fermiers pour réduire le coût des intrants. II convient de ne pas oublier non plus que cette croissance permise par les investissements nécessaires au plus près des marchés valorise davantage le phosphore, mis ainsi au service de tous ! C’est ce qui explique largement notre approche.

 

Propos recueillis par Estelle Maussion et Julien Clémençot

Jeune Afrique- N° 3101- Juin 2021, Page 144-153