Ethiopian Airlines: Comment survolé la crise ?

 

Grâce au fret et à son inventivité, le numéro un africain du secteur a enregistré des bénéfices malgré le Covid.

 

Ethiopian Airlines, qui fête ses 75 ans, figure avec Korean Air et Asiana parmi les trois seules compagnies au monde à avoir fait des bénéfices en 2020 (année fiscale arrêtée en juin). Le secteur a pourtant été très durement touché par les consé­quences de la pandémie, les pertes cumulées ont atteint 103 milliards d’euros, dont 1,6 milliard d’euros pour les compagnies du continent. Son PDG, Tewolde Gebremariam, indique que l’entreprise a « démon­tré de l’agilité, une prise de décision rapide et une résilience qui nous ont aidés » face à la chute du trafic de pas­sagers (- 69 % en Afrique par rapport à 2019).

Au pic de la crise, la compagnie a privilégié son activité de fret aérien : 25 avions passagers réamé­nagés ont rejoint la flotte existante de 12 avions cargos, selon Tewolde Gebremariam. Un secteur en expansion où la demande dépasse déjà de 9 % celle d’avant la crise. « Ayant même le Covid, Ethiopian Airlines avait pris la décision de développer cette activité. La pandémie a permis de capitaliser les investissements antérieurs », explique Raphaël Kuuchi, directeur consultant pour les affaires légales, industrielles et gouvernementales de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa). La compagnie a ainsi pu assurer le transport de matériel médical, et continue d’être un partenaire de choix pour l’OMS, les Nations unies et le géant chinois Alibaba dans la distribution mondiale de vaccins. « Depuis le début de mai, Ethiopian a transporté plus de 20 millions de doses dans plus de 20 pays. L’entreprise développe également une usine de fabrication de glace sèche afin de répondre au besoin d’environnement ultra-froid pour le stockage et le transport des vac­cins. Cela offrira des avantages à long terme pour le développement des chaînes de froid nationales et régionales dans des secteurs tels que l’horticulture, l’agro-industrie et la santé », explique Chiedza Madzima, chargée de recherche et de risque opérationnel, chez Fitch Solutions.

Opération triangulaire

Pour l’heure, « c’est son positionne­ment sur le couloir entre l’Asie et le continent africain, où elle possède la plus grande part de trafic, qui fait la force d’Ethiopian », ajoute Romuald Ngueyap, fondateur du site spécialisé NewsAero. En 2020, la compagnie transporté 54400 tonnes de marchandise vers ou depuis l’aéroport de Guangdong (Canton) en Chine Outre les équipements médicaux cela comprend de nombreux pro­duits industriels, électroniques, ainsi que des équipements informatiques. « C’est une opération triangulaire : l’Afrique, l’Europe, la Chine, puis à nouveau l’Afrique, qui mobilise près de 50 avions par semaine », explique Tewolde Gebremariam.

« La pandémie a même eu un effet positif pour les activités d’Ethio­pian, qui assure désormais des tran­sactions entre l’Amérique du Sud et l’Asie, et entre l’Asie et l’Europe. Cela leur a donné une image de par­tenaire sérieux », explique Raphaël Kuuchi. Des liaisons qui concernent aussi les États-Unis et le Mexique ou son positionnement entre l’Asie et l’Afrique fait sa force.

Ethiopian achemine les productions ; de Zara (Inditex). Selon son PDC- la compagnie a pu traverser la pire – année jamais connue par le secteur aérien, « sans licenciement ni baisse de salaire », et en continuant à assu­rer toutes ses obligations financière (prêts d’entretien, location d’aéronefs) sans le moindre soutien de l’État, son actionnaire à 100 %. Rassurée sur sa capacité à surmon­ter la crise, Ethiopian Airlines, à l’af­fût de nouvelles opportunités, s’est tournée vers les autres compagnies africaines. En octobre 2020, elle a proposé une assistance opération­nelle (pilotes, maintenance et avions) à South African Airlines (SAA) dans le cadre d’une joint-venture. Cette dernière a depuis reçu une subven­tion de l’État (641 millions de dollars) et serait sur le point de conclure un accord avec un investisseur.

Ethiopian a aussi des partici­pations au sein de diverses com­pagnies :Chadian Airlines (49 %), Zambia Airways (45 %), dont le redécollage a été reporté au moins jusqu’à la fin de 2021, Malawi Airlines (49%), qui risque la liquidation, et Ethiopian Mozambique Airlines (99 %), contrainte de suspendre ses vols. En Afrique de l’Ouest, la situa­tion d’Asky, qui opère depuis Lomé, apparaît moins compromise, même si l’entreprise s’est tournée vers Ethiopian et ses autres actionnaires (Ecobank, Boad, BIDC) pour deman­der une aide financière, selon les informations de JA.     .

« Des compagnies feront faillite, d’autres se relèveront difficilement,

La compagnie a traversé l’année 2020 « sans licenciement ni baisse de salaire », et en assurant toutes ses obligations.

Mais on observe aussi la création de start-up. Actuellement, le prix des avions est bas, et les aéroports, dont le trafic a baissé, ont pris des initiatives pour encourager les compagnies qui voudraient venir chez elles. C’est par exemple le cas au Nigeria », explique Romuald Ngueyap. Le centre de maintenance et l’académie d’aviation d’Ethiopian pourraient ainsi voir de nouveaux clients arriver, en plus de ceux qui devront reprendre du ser­vice après de longs mois au sol.

Ethiopian, qui annonçait, en 2018, avoir atteint les objectifs de son plan vision 2025 avec sept ans d’avance, s’est attelée à la diversification de ses revenus, ainsi qu’à la numérisation de ses processus. L’entreprise aurait investi plus de 40 millions de dollars entre 2015 et 2020 pour augmenter ses ventes en ligne, selon Mihretab Teklaye, son directeur de communi­cation marketing. Après avoir lancé son application mobile en 2018, la compagnie est aujourd’hui la pre­mière sur le continent à tester le passeport sanitaire lata.

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Concurrence égyptienne

Sur le continent, c’est depuis l’Égypte que pourrait venir un regain de concurrence. Egyptair a considéra­blement investi dans sa flotte, avec l’achat de 15 Airbus A320 en 2020, et signé en 2018, pour l’achat de 54 avions Boeing, un contrat s’éle­vant à 6 milliards de dollars. Si la compagnie égyptienne connaît elle aussi des difficultés financières, elle a obtenu en janvier un prêt de 130 millions de dollars de la part du Caire. Désireuse de se développer au niveau panafricain, elle vient de signer un accord avec Sudan Airways (assistance opérationnelle), ainsi qu’avec le Ghana pour la création d’une compagnie aérienne nationale. Reste à voir comment Ethiopian et Egyptair, toutes deux membres de la Star Alliance, vont gérer cette compé­tition alors qu’elles sont en principe appelées à coopérer.

 

Loza Seleshie

Jeune Afrique – N° 3101- Juin 2021, Page 156 – 157