«Inefficace, irresponsable et carrément dangereuse» : l’Amérique menace la CPI et renvoie l’Afrique à ses contradictions

L’histoire des relations internationales, on le sait, n’est que le long récit d’un rapport de forces permanent. Si l’Amérique de Donald Trump se veut iconoclaste et privilégie ses intérêts au détriment de ceux de la communauté des nations, elle est allée un peu plus loin dans cette logique cette semaine en s’en prenant à la Cour pénale internationale (CPI).

C’est John Bolton, conseiller du président américain qui sonne la charge avec une série de déclarations incendiaires. «Nous utiliserons tous les moyens nécessaires pour protéger nos concitoyens et nos alliés de poursuites injustifiées de cette cour illégitime. Nous ne collaborerons pas avec la CPI, nous ne lui procurerons aucune assistance et nous n’y adhèrerons certainement pas. La CPI est déjà morte pour nous.» affirme-t-il.

« Nous ne collaborerons pas avec la CPI, nous ne lui procurerons aucune assistance et nous n’y adhèrerons certainement pas. La CPI est déjà morte pour nous.»

Les motifs de sa colère? La menace brandie par l’autorité palestinienne de saisir la Cour par rapport aux crimes de guerres commis par l’armée israélienne dans les territoires occupés.

Si les Américains ne sont pas signataires du traité de Rome qui fonde la CPI et ont même pris des mesures pour mettre à l’abri de l’institution leurs ressortissants en adoptant «l’American Service-Members’ Protection Act», ils veulent clairement aujourd’hui s’en faire les fossoyeurs. Et pour y parvenir, tous les arguments sont bons. «Plusieurs pays africains se sont récemment retirés ou ont menacés de se retirer de la Cour, évoquant la disproportion des mandats d’arrêts contre des Africains. Pour eux la CPI n’est qu’une énième entreprise néocoloniale européenne visant à limiter leurs droits à la souveraineté.» a affirmé John Bolton, appuyant là où ça fait mal.

En effet, la CPI s’est beaucoup illustrée sur le continent africain et s’est attirée le reproche de ne s’attaquer qu’aux plus faibles ou d’être un outil aux mains des puissants pour museler ceux des dirigeants du continent qu’ils avaient dans leur viseur. Et ce ne sont pas les révélation de Mediapart dans l’affaire Occampo qui apaiseront ces soupçons. Selon le pure-player français, l’ancien procureur de la CPI s’est reconverti dans le consulting et a servi de consultant juridique à Hassan Tatanaki, milliardaire libyen proche du maréchal Haftar, l’homme fort du pays. «La mission confiée à la société d’Ocampo, […] consiste à rédiger des plaintes devant la CPI contre les « ennemis » de son client. Mais aussi, grâce à son entregent, d’influencer des diplomates de l’ONU pour faire inscrire certains noms sur la liste des Libyens frappés de sanctions.» indique RFI qui reprend ici Mediapart.

 gbagbo

La Côte d’Ivoire n’ayant pas ratifié le statut de Rome au moment de l’arrestation du président Laurent Gbagbo

Quant au cas ivoirien, la Côte d’Ivoire n’ayant pas ratifié le statut de Rome au moment de l’arrestation du président Laurent Gbagbo, il faudra un tour de passe-passe entre diplomates français, nouveaux dirigeants ivoiriens et le sulfureux procureur pour que l’ancien président se retrouve à La Haye.

Il faudra un tour de passe-passe entre diplomates français, nouveaux dirigeants ivoiriens et le sulfureux procureur pour que l’ancien président se retrouve à La Haye.

Dernier argument apportant de l’eau au moulin des détracteurs africains de la cour, une décision comme l’acquittement de J-P Bemba, et surtout son timing. Que la cour le libère, juste à temps pour lui permettre d’aller participer au scrutin présidentiel en République démocratique du Congo, peut susciter des interrogations et des froncement de sourcils. La CPI ne serait donc pas si indépendante et autonome que ça?

 Jean Pierre Bemba

L’acquittement de Jean-Pierre Bemba peut susciter des interrogations

En essayant d’ouvrir une instruction sur les crimes de guerre potentiels de l’armée américaine en Afghanistan ou sur ceux de l’armée israélienne en Palestine, l’institution, et sa procureur générale, la gambienne Fatou Bensouda, se donnaient une occasion de démontrer leur impartialité et leur caractère mondial.

Mais face à la réaction de l’administration Trump, on se demande bien comment le processus pourra aller au bout. D’autant plus que le conseiller américain va plus loin en affirmant: «Nous allons interdire à ses juges et procureurs l’entrée aux Etats-Unis. Nous allons prendre des sanctions contre leurs avoirs dans le système financier américain et nous allons engager des poursuites contre eux dans notre système judiciaire, a-t-il promis. Nous ferons la même chose pour toute entreprise ou Etat qui assiste une enquête de la CPI sur les Etats-Unis, et nous prendrons note si des pays coopèrent avec les enquêtes de la CPI sur les Etats-Unis et leurs alliés.»

« Nous ferons la même chose pour toute entreprise ou Etat qui assiste une enquête de la CPI sur les Etats-Unis, et nous prendrons note si des pays coopèrent avec les enquêtes de la CPI sur les Etats-Unis et leurs alliés.»

Et si ces nouvelles enquêtes ne bougent pas, comme ce sera vraisemblablement le cas, ceux qui dénoncent une justice internationale à deux vitesses tiendront encore un argument de plus à brandir dans la croisade contre l’institution.

 Bensouda

L’Amérique de Trump menace Fatou Bensouda et son institution

Cependant, verra-t-on beaucoup plus d’Etats africains s’en retirer ? Le jeu des sphères d’influences est tel qu’un exode de masse des Africains du statut de Rome est peu probable. Par contre, on pourrait assister un peu partout à la non-exécution des mandats d’arrêts de la CPI sur le continent, comme on a pu le voir lors du voyage du soudanais Omar El-Bechir en Afrique du Sud.

Par contre, on pourrait assister un peu partout à la non-exécution des mandats d’arrêts de la CPI sur le continent, comme on a pu le voir lors du voyage du soudanais Omar El-Bechir en Afrique du Sud.

Quoi qu’il en soit, nos dirigeants sauront désormais à quoi s’en tenir quant à la «justice internationale», et comprendront peut-être qu’il n’est pas toujours sage de livrer à la Cour un adversaire ou un dirigeant devenu gênant. Déjà parce qu’il peut en revenir au plus mauvais moment, comme le démontre la jurisprudence Jean-Pierre Bemba, mais aussi parce qu’il peut venir à manquer quand on en a besoin pour construire la paix et la réconciliation, comme l’expérimente depuis 2011 la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara.

Ecofin Hebdo