Journalisme et Fake news / Bamba Alex fait le diagnostic et propose une autorité de gestion et de veille

Le thème a été débattu à Yamoussoukro au cours du panel qui a ouvert le week-end des Ebony. Journalisme et fake news : défi ou défiance. Le journaliste consultant Bamba Alex a dévéloppé le thème dont nous proposons l’exposé intégral.

Le développement prodigieux, voire exponentiel, des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), ces dernières décennies, a vu apparaître de nouveaux métiers, de nouvelles pratiques, de nouvelles expressions, dénominations, de nouvelles habitudes et horizons d’attente, dans un monde se transformant progressivement en un « gros village » qui semble effacer ad vitam aeternam les frontières physiques, géographiques. Il suffit d’un « clic », d’un « zap » ou « zapping », pour se retrouver de Tipatipa à Jakarta, de Soubré à Sidney, de San Pedro à San Francisco et partout ailleurs sur le Globe terrestre pour faire le « buzz ».
Quand les TICs influencent le monde
Et nous disons bien « clic », « zapping », « buzz » etc. – curieuses terminologies faites d’un maillage ou d’un assemblage cocasse d’assonances, d’emprunts, de résonnances onomatopéiques, et que sais-je encore – ; et l’abécédaire est long et s’allonge, à mesure que les TICs battent la mesure, frôlent la démesure pour éviter l’usure. Les TICs s’étirent autant qu’elles attirent. Oui, sans aucun doute. Nous sommes sur la planète Terre. Nous sommes bien au XXIe siècle !
Pas un seul domaine de l’activité humaine ne semble échapper à cette révolution, qui, sous certains prismes, pourrait être appréhendée comme une involution. A tout le moins, une régression !
Qu’on se le tienne pour dit, le monde sera toujours sous l’emprise de Janus. Il sera toujours biface, bicéphale, partagé entre le bien et le mal.
Mais ce n’est pas une fatalité. Car l’être humain est doté de la faculté de juger, de discerner, de choisir entre ce qui est convenable et ce qui le serait moins. C’est comme cela depuis la nuit des temps. C’est manichéen certes, mais pas foncièrement irréversible.
Nous sommes donc dans un monde où les TICs affirment de plus en plus leur diktat de par leur omniprésence.

Approche définitionnelle

Les professions, qui comme la nôtre, le journalisme, sont totalement innervées par les TICs, se retrouvent dans une position de transversalité en même temps qu’il voit disparaître corps de métier. Le journalisme hérite, donc, de fait, de l’actif mais aussi du passif des TICs et de leurs mutations et pseudo-métamorphoses.
Le thème que nous abordons ici résulte de cet état de fait. « Journalisme et fake news : défi ou défiance »
La langue de Molière dusse-t-elle en souffrir, Shakespeare continue de conter fleurette à Marianne.
Là où les immortels de l’Académie française s’échinent à prêcher dans le désert en conseillant les termes « infox » ; « fausses nouvelles » ; « fausses informations » ; « informations fallacieuses » ; voire « canards » ; en lieu et place de l’anglicisme « fake news », la galaxie des internautes semble avoir fait son choix.
Il faut s’en convaincre résolument, Roméo et Juliette auront toujours de beaux jours devant eux.
Au-delà de l’aspect définitionnel, que je viens d’évoquer et de circonscrire succinctement, notre thème, tel que libellé, pose une ou des questions de fond qui justifient son intérêt et son opportunité pour nous, professionnels, femmes et hommes de médias certes, mais aussi pour tout individu.
« Défi ou défiance » ? Qu’est-ce à dire ? Ce n’est guère un simple jeu de mots, l’on en conviendra, même si ces deux lexèmes ont la même racine étymologique car découlant du même verbe : « défier » (« desfier » attesté vers 1100 qui signifie : « inviter à venir se mesurer contre un adversaire » ; et vers 1560 « ne pas craindre la lutte avec ; braver »). « Défier » est donc, entre autres, le fait de provoquer ou de braver.
Entre autres définitions, nous pourrions retenir du mot « défi » dans le contexte de la formulation du thème, la suivante, retenue par le cnrtl (Centre national de ressources textuelles et lexicales) : « Incitation à la réalisation d’une chose difficile ; réponse à une telle situation ».
Quant à la « défiance », tel que le mot est formulé ici, elle est synonyme à la fois de bravade et d’opposition.
Les auteurs de fake news ne font pas
du journalisme professionnel
Cela pose la question de la compréhension de notre thème ou du sujet, de savoir qui aurait intérêt à diffuser ou répandre des fake news (des informations mensongères) ? Une tâche vraiment ardue.
Je suis, par principe, convaincu de ce que le journalisme est un métier noble et une science. Je répugne à l’idée de croire qu’un journaliste en fonction pourrait se faire l’auteur de fake news. Il faut en chercher les coupables ailleurs.
Puisque je conçois le Journaliste professionnel comme respectueux des règles de la profession et du traitement de l’information, de l’éthique et de la déontologie.
Le journaliste professionnel sait mieux que quiconque l’impact que peut avoir l’information sur la société dans son ensemble. Il sait qu’ « une virgule peut tout faire basculer » pour emprunter à Sylvie Plante le titre qu’elle donne à un de ses articles.
Le journaliste professionnel sait que la recherche de l’équilibre de l’information, l’interrogation et la confrontation des sources sont les meilleurs remèdes contre la propagation des fausses informations, des infox.
Le journaliste professionnel sait que diffuser des infox, c’est faire de l’intox, s’est porter un coup de massue à la crédibilité non seulement du média mais aussi de soi-même. Le journaliste professionnel sait qu’une épée de Damoclès plane sur sa tête en cas de désinformation de sa cible et du public.
Mais je veux bien croire aussi, et il ne peut en être autrement, que le journaliste n’est pas infaillible. C’est un individu qui peut commettre des erreurs.
La population mondiale devrait atteindre 8,5 milliards d’individus en 2030 puis passer à 9,7 milliards en 2050 et 11,2 milliards vers 2100 selon les prévisions et les statistiques démographiques des Nations Unies. Du beau monde à tout le moins. Il suffit d’imaginer ce qu’une simple étincelle, une fake news, pourrait créer à l’échelle mondiale. Ce serait pire qu’un tsunami. Une troisième guerre mondiale ! D’où la nécessité de revenir, tout le temps et toujours, au fondamentaux de notre métier et avoir un sens poussé de la responsabilité.
De la nécessité de lutter contre les fake news
Et pour cause, les fake news sont un procédé nocif et malhonnête. C’est une pratique rébarbative d’individus sans morale et incapables de s’assumer et d’assumer leurs écrits. Ils portent des cagoules pour perpétrer leur basse besogne. C’est une espèce de vils individus qui portent des masques hideux. Ils font parfois chanter d’éventuelles et potentielles personnalités politiques, du monde des arts et de la culture, de l’économie, de la finance, du sport etc. Les auteurs des fake news ont le chic de jeter l’opprobre sur d’honnêtes citoyens ou sur la vie privée de certains d’entre eux dont ils ne devraient pas se mêler ou étaler à la face du monde.
Ils ont le cynisme de travestir les faits qui sont sacrés, pour le journaliste professionnel et tout citoyen de ce monde désireux d’avoir les vraies et bonnes informations.
C’est un exercice indigne et dévalorisant, tablant sur des préjugés, des allusions, des supposés, des insinuations nauséeuses et sans fondement vérificatif.
Pour moi, les fake news sont une atteinte à la dignité humaine. C’est une pratique attentatoire à la tranquillité morale. Il traduit bien la porosité des rapports entre les hommes et les instruments de communication qui existent. Travestir des faits, les grossir, les éventer est une antivaleur absolue et extrêmement dangereuse. Les auteurs de ces « chiffons » et autres fausses rumeurs sont des hypocondriaques qui sapent le moral des citoyens du monde.
Il est temps, sans doute, d’arrêter la montée des périls. Il est plus qu’opportun de sensibiliser contre les médisants, les propagateurs de contre-vérités, les manipulateurs des opinions ainsi que les objecteurs de conscience. Leur forfaiture vise souvent aussi des intérêts économiques, financiers et politiques. Il faut arrêter ce cynisme consistant à déverser des salissures gratuites juste pour nuire ou à tout le moins créer une psychose ou donner en pâture ou aux chiens des citoyens qui auraient eu tort de briller, d’être à leur avantage dans leur métier, d’être apprécié pour leur savoir-faire, leur brio, leur charisme.
Il faut, plus que jamais, stigmatiser le rôle néfaste des réseaux sociaux à travers lesquels n’importe qu’elle individu, parce qu’il n’aime pas x ou y, répand à son propos des contre-vérités, des injures, de fausses nouvelles ; parce qu’il n’y a pas de structure de contrôle. Il nous faut sensibiliser sur les bonnes pratiques sur les réseaux sociaux et bannir les fake news.
Ces chiffres qui interpellent
Futura-sciences révèle que « Dans le cadre des élections présidentielles en France en 2017, la firme de Mark Zuckerberg a fermé 30.000 comptes. De son côté, Twitter a identifié plus de 50.000 bots rattachés au gouvernement russe afin d’influencer les élections présidentielles américaines de 2016. »
Selon la plateforme Community manager d’Afrique, se basant sur une étude de HootSuite et We are Social :
« En début d’année 2021, on comptait 4,2 milliards d’utilisateurs actifs dans le monde et ça évolue depuis plusieurs années :
• 2,31 milliards en 2016
• 2,79 milliards en 2017
• 3,2 milliards en 2018
• 3,46 milliards en 2019
• 3,71 milliards en 2020
L’Afrique représente 6,6% des utilisateurs actifs des réseaux sociaux dans le monde, soit environ 277 200 000 sur le continent.
Le top 5 des régions africaines par taux de pénétration des réseaux sociaux se présente comme suit :
• Afrique du Nord : 45%
• Afrique Australe : 41%
• Afrique de l’Ouest : 16%
• Afrique de l’Est : 10%
• Afrique Centrale : 8%
Deux principaux pays sont les plus actifs en Afrique, concernant les réseaux sociaux : l’Afrique du Sud et l’Egypte :
Le pays de Nelson Mandela est le premier pays africain sur LinkedIn avec 8,3 millions de personnes, 19e au rang mondiale. L’Egypte domine sur quasiment le reste des réseaux sociaux les plus utilisés en Afrique :
Facebook: 45 millions
YouTube: 40,5 millions
Facebook Messenger: 33 millions
Snapchat : 10,7 millions. Le Nigéria vient en 2e position avec 6,65 millions
Twitter : 3,7 millions. »
La plateforme COMFORDEV révèle qu’ « en janvier 2021, la Côte d’Ivoire comptait 12,50 millions d’internautes. Ce nombre a connu une hausse de 306 mille cybernautes (+ 02,5%) entre 2020 et 2021. Le taux de pénétration d’Internet était de 46,8% en janvier 2021. Les utilisateurs de médias sociaux en Côte d’Ivoire correspondaient à 05,90 millions en janvier 2021. Ce nombre a augmenté de 1,0 million entre 2020 et 2021, soit un bond de plus de 20% ; 22,1% de la population totale pour être plus précis. Il y avait 37,16 millions de connexions mobiles en Côte d’Ivoire en janvier 2021. Ce nombre de connexions mobiles a fait un boum de 02,9 millions (+ 08,5%) entre janvier 2020 et janvier 2021. Ce qui équivalait à 139,1% de la population totale. »
Ces chiffres en hausse constante sont plus qu’encourageants. Mais ils ne doivent pas faire perdre de vue que cette croissance continue augmente dans le même temps les risques de déviances, de cybercriminalité et de fake news.
Créer un cadre juridique et une entité spécifiques
et appropriés en Côte d’Ivoire
Il est certes difficile, très difficile de localiser les faiseurs de fake news, de les traquer, mais il est encore plus dangereux de ne rien entreprendre pour les empêcher de s’adonner à leur sale besogne. Cela est d’autant plus vraie que les fake news sont de plus en plus considérées comme des armes de lutte pour déstabiliser les adversaires (politiques notamment) comme cela s’est vu récemment aux Etats-Unis ou en France en périodes électorale ainsi que nous venions de l’indiquer.
Cette entité spécifique s’avère absolument nécessaire à l’ère où le Monde, l’Afrique et partant notre pays la Côte d’Ivoire raffolent des réseaux sociaux et d’internet dans son ensemble.
Le site e-enfance indique que « Pour lutter contre le phénomène, la législation française a promulgué une loi « anti fake news ». Néanmoins, sa portée reste limitée puisqu’elle n’est applicable qu’en période pré-électorale pour concentrer les outils sur le vrai danger, c’est-à-dire les tentatives d’influencer les résultats d’élections. C’est déjà un grand pas. Et la Côte d’Ivoire gagnerait à calquer pareil modèle voire à aller encore plus loin dans la bataille contre le phénomène des informations trompeuses
Il faut tout un arsenal juridique et institutionnel pour endiguer cette pratique déshonorante et contenir le flux sans cesse croissant d’internautes et d’adeptes de réseaux sociaux tout en le faisant progresser et en veillant à en extirper les mauvais grains et l’ivraie.
Il nous faut donc œuvrer à la création d’une autorité de gestion et de veille stratégique pour endiguer et réduire la capacité de nuisance de tous les intrigants, esprits étriqués et malveillants qui pullulent que le Web et s’abonnent à publier et diffuser des fake news. Cet organe veillerait aussi à sensibiliser et à former les Ivoiriens utilisateurs d’Internet afin qu’ils ne se laissent plus (ou le moins possible) manipuler par les fausses nouvelles. Cette autorité serait indépendante, quoique rattachée à la Présidence de la République qui n’interfèrerait aucunement sur ses décisions, ses prérogatives. Elle fonctionnerait sur la base du respect d’une charte professionnelle et éthique dûment établie.

Me BAMBA Alex Souleymane
Agent d’Affaires Judiciaires
Juriste-Conseil
Expert Consultant en Stratégies et
Communication
Journaliste Professionnel Diplômé
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