LA STRATEGIE D’UN VISIONNAIRE : FEU CHEICK AÏMA BOIKARY FOFANA

 

Quand le Cheick Aïma débarque de l’Égypte après des études en théologie et commerce, il trouve une communauté musulmane aux prises avec plusieurs problématiques internes et externes.

Au plan externe, les survivances d’un passé colonial suspicieux à l’égard de l’islam et des musulmans persistent malgré l’indépendance acquise. L’islam est parfois considéré comme une religion des étrangers ou plus simplement une religion non ivoirienne. Les centres de formations sont considérés comme des centres d’embrigadement religieux. D’où, au lieu d’être sous le contrôle du Ministre de l’éducation nationale, ces centres sont directement sous la coupe du Ministre en charge de la sécurité et de l’intérieur.

L’organisation de l’un des piliers de l’islam, le Hadj est entièrement sous contrôle des fonctionnaires du Ministre de l’intérieur. Les fêtes musulmanes ne sont pas encore toutes considérées comme des fêtes officielles et donc bénéficient d’un régime de jours fériés.

Au plan interne, on ne sait pas qui est le chef incontesté de la communauté musulmane. Des querelles d’écoles minent la communauté à cause de certains groupes nouveau prônant le wahhabisme pur et dur dans une communauté dominée par un islam modéré et dont l’organisation est plus tôt horizontale. Ne devient pas imam qui veut ici. On nait imam dans certaines régions. Enfin l’islam apparaissait comme une religion de ‘‘vieux’’, d’analphabètes et des quartiers populaires. Les cadres restaient loin non seulement de la pratique régulière de l’islam, mais ils ne sentaient pas concernés par les préoccupations de leurs coreligionnaires.

Enfin, oustaz Fofana vient trouver ses devanciers arabisants dans un état pas envié et dans une précarité qui les pousse à faire tous les métiers sauf l’imamat et la prédication.

LA STRATÉGIE

Dans un tel environnement, et devant la complexité de la tâche qu’il s’est donnée, Fofana travaille sur les axes suivants:

  • Il règle son problème d’intégration professionnelle au sein d’une grande banque de la place, la société ivoirienne de banque (SIB).
  • Il ne cherche pas à être imam tout de suite. Ce qui l’intéresse au plus haut niveau, c’est la prédication.

Sa démarche de prédicateur n’est pas une démarche vers les masses  ou les quartiers populaires. Il choisit d’aller d’abord vers les étudiants, car ils étaient les seuls organisés au plan national. Parallèlement aux élèves et étudiants, il s’intéresse aux cadres et intellectuelles musulmans. Si chez les étudiants, le travail est passionnant et facile, par contre, chez les cadres son travail est apparu un peu plus compliqué. En particulier chez les hauts cadres du public, dont une grande partie était convaincu que le pouvoir regardait l’islam et les musulmans comme une source de problèmes potentiels. Fofana y met donc la pédale douce pour les rassurer et sur la nécessité d’avoir une conscience musulmane dans un état laïc, multiconfessionnel et démocratique.

 

RENCONTRE AVEC LA CMR

Cependant, la rencontre entre Fofana et la CMR (Communauté Musulmane de la Riviéra) va lui apporter l’énergie dont il a besoin pour se lancer vraiment dans la réforme de la société musulmane à partir des élites et des intellectuels musulmans. Ceux-ci aussi ont besoin de lui, pour les aider à apprendre et à pratiquer l’islam dans leurs quartiers huppés de Cocody qu’ils étaient contraints d’abandonner les nuits de ramadan et chaque vendredi pour les quartiers populaires éloignés. En 1987, sur trente-trois lieux à Cocody, il n’y avait qu’un seul lieu de culte musulman. Fofana lance alors l’idée de chercher partout à Cocody où lui-même habite, des lieux de culte. La CMR est chargée de piloter ce projet. En une dizaine d’année, les mosquées poussaient partout à Abidjan et dans les quartiers résidentiels. Ce travail colossal, il ne peut le faire seul. Tant et si bien qu’il forme avec Oustaz Tidiane Bah et Oustaz Mohamed Lamine Kaba, un trio de prédicateurs au four et au moulin. C’est le premier cercle. Un deuxième cercle est composé de cadres musulmans d’abord, et ensuite de jeunes prédicateurs parfaitement bilingues et formés dans les pays arabes, qui vont occuper au fur et à mesure les nouvelles mosquées réalisées dans les quartiers résidentiels : les sermons et les prédications sont en français. Cette pratique collective dans les quartiers résidentiels, va réveiller chez les cadres musulmans la nécessité de se mettre ensemble non seulement pour avoir des lieux de cultes décents, mais aussi ils se soucient de plus en plus de leur propre formation religieuse et de celle de leurs familles.

 

ORGANISATION NATIONALE DE LA COMMUNAUTÉ

Fofana perfectionniste à souhait, ne s’arrête pas là, car tous les intellectuels et musulmans n’habitent dans les quartiers résidentiels. Pour lui, il faut que la diffusion de cet islam moderne leur parvienne où qu’il soit. L’un des moyens sûrs pour atteindre cet objectif, ce sont des nouvelles structures organisationnelles nationales, les moyens de communications et les structures pérennes pour l’éducation musulmane à tous les niveaux. Une fois de plus, avec la CMR, son véritable « Think Tank », il incite à la création du Conseil National Islamique et du Conseil Supérieur des Imams. Ce premier serait chargé de l’organisation des mosquées, des structures et des cadres. Le deuxième, regroupant uniquement les imams serait chargé des affaires des imams et des affaires théologiques. Cet échafaudage stratégique a permis d’obtenir le premier groupe media musulman en Côte d’Ivoire, avec la Radio et la Télévision Al Bayane et Islam Info.  Au plan de la formation, le groupe scolaire Iqra et le groupe scolaire Hinneh l’Université Musulmane africaine ont vu le jour sous la coupe de la fondation Hinneh qui gère par ailleurs deux cliniques médicales.

Toute cette organisation n’avait pas encore d’impact sur l’organisation d’un pilier essentiel de l’islam à savoir le pèlerinage à la Mecque. Fofana n’avait pas voulu attaquer tout de suite de front ce sujet  du fait que les intérêts financiers en jeux étaient énormes. Surtout qu’une partie de l’enjeu se jouait en Arabie Saoudite où la Côte d’Ivoire n’avait aucun représentant diplomatique.

Une fois ce handicap levé, il fallait s’atteler à trouver d’une part, à l’intérieur de la communauté un terrain d’entente entre les organisateurs du hadj et d’autres part, avec les fonctionnaires de l’État qui voyaient dans le Hadj une grande opportunité politique et pécuniaire. Ce ne fut pas facile. Mais Oustaz Fofana et son groupe réussissent à d’abord mettre en place, le Comité National d’Organisation  du pèlerinage à la Mecque (CNOPM) et le bureau de l’organisation du pèlerinage à la Mecque avec un commissariat relativement autonome. Parallèlement le CNI et le COSIM ont pu obtenir des jours fériés tels que lendemain du « Maoulid », ainsi que la grande mosquée du Plateau et celle de la Riviéra Golf construites par les fonds publics.

Tous ces résultats obtenus grâce au leadership du Cheick Aïma et les structures comme le CNI et le COSIM ont été obtenues souvent avec beaucoup d’acrobaties et parfois, des douleurs. Mais le résultat est là. L’Islam et la communauté musulmane sont de plus en plus à leur place dans un pays multiconfessionnel et laïc. En un mot comme en cent on pourrait dire que le Cheick Fofana a accompli et bien accompli sa mission.