L’éducation émotionnelle à la lumière du Coran et de la tradition prophétique

La santé émotionnelle contribue significativement au bien être d’un individu. Elle est le fruit d’une éducation qui favorise et permet une connaissance et une expression saine des émotions. A l’opposé, une éducation défaillante ne peut engendrer que des « analphabètes » émotionnels avec des souffrances psychiques et sociales plus ou moins aiguës. En témoigne le comportement actuel de notre communauté, tant bien sur le plan individuel, que collectif.

Les conséquences fâcheuses de cette émotion dévastatrice, qui, quand elle domine la raison et s’exprime ainsi, hors du champ des valeurs qui plaisent à Dieu et à Son prophète, se réduit fâcheusement à une liste qui déborde de haine, de fierté excessive, d’orgueil, d’extrémisme, de susceptibilité, de dépression, de peur, d’appartenance aveuglée, de violence… la liste est longue.

Cela explique le grand intérêt, malheureusement méconnu, que l’Islam porte à cette dimension importante et complexe qui entre autres, définit l’être humain, sa relation à son environnement ainsi que son devenir dans la vie dernière. « Vous n’entrerez pas au Paradis tant que vous ne croirez pas, et vous ne croirez pas tant que vous ne vous aimerez pas…», disait le Prophète Mohamed.

En effet, le Coran et la Sunna demeurent des sources inépuisables d’informations sur la réalité de la vie psychique, et notamment émotionnelle, de l’Homme. Gloire au très Haut qui dit : « Et que c’est Lui qui a fait rire et qui a fait pleurer » [1]. Et que Son Salut soit sur Son bien-aimé Mohamed qui a affirmé que : « Le fort n’est pas celui qui terrasse les gens dans la lutte, mais le fort est celui qui reste maître de lui-même dans la colère » [2].

Dans cet article, je tenterai de rassembler les pièces du puzzle de l’éducation émotionnelle avec cette ambition de pouvoir vous présenter, chers lecteurs et chères lectrices, le tableau joliment, parfaitement et harmonieusement peint sur ce thème par les paroles de Dieu et celles de Son Messager. Je ne vous promets point, la réussite quant à la réalisation de cette gigantesque entreprise, mais sachez que l’intention y est. Toutefois, rien qu’à l’idée que cet essai de compréhension puisse susciter chez vous, ne serait-ce qu’une petite curiosité qui vous pousserait à étudier davantage cette question. Je m’en réjouis d’avance.

Ainsi, me référant essentiellement à un Hadith prophétique très riche d’enseignement en ce qui concerne l’éducation émotionnelle, j’aborderai les points essentiels qui me semblent représenter les ingrédients pour une bonne santé émotionnelle. Ils sont les suivants : La reconnaissance et l’identification des émotions, l’expression des émotions, la maîtrise des émotions.

Interpelé par ses compagnons au sujet de ses larmes suite au décès de son fils Ibrahim, le prophète répondit « L’œil pleure, le cœur s’attriste, mais nous ne disons que ce qui satisfait notre Seigneur. Nous sommes certes tristes de devoir te quitter, ô Ibrahim ! » [3].

Qu’apprend-t-on précisément de ce Hadith ? Le prophète a d’abord reconnu et décrit avec des mots précis ce qu’il ressentait, au moment où il le ressentait, à savoir la tristesse. Ensuite, il l’a exprimée, et ce d’une manière aussi bien verbale que non verbale à travers ses larmes, tout en la partageant avec son entourage. Enfin, il a rappelé que son expression émotionnelle reste contenue dans le cadre de ce qui satisfait le Seigneur. Voilà donc un enseignement émotionnel précis, concis et complet que nous pouvons résumer ainsi : reconnaître et identifier son émotion, la ressentir et l’exprimer dans le cadre des valeurs de l’Islam.

La reconnaissance des émotions

En effet, nul ne peut prétendre au bien-être émotionnel sans pouvoir reconnaître et identifier son ressenti. Cela est possible quand l’individu est attentif à son état intérieur, qu’il est présent et conscient de ses émotions en même temps que leur apparition. A défaut, il sera incapable de repérer le message porté par celles-ci et par conséquent de le satisfaire adéquatement. Associé au silence [4], qui protège l’individu de toute réaction hâtive et irréfléchie, la remise en question favorise grandement cette présence à son ressenti. « Le sagace, c’est celui qui remet continuellement son égo en question, et prépare son devenir auprès de Dieu » [5]. Est-ce la colère que je ressens ? Ou plutôt une tristesse ? Une peur ? Ou encore d’autres émotions entremêlées, qui, lorsqu’elles sont trop longtemps refoulées, suscitent en moi une tension importante, que j’exprime à chaque fois par le biais d’une fureur déchaînée ?

Voilà un exemple de remise en question concernant son ressenti dominant qui permet une identification juste de ses émotions. Ne dit-on pas « à bonne question bonne réponse ».

Quand   Notre Prophète nous prodigue ce conseil : « ne te mets pas en colère » [6], ne serait-il pas justement une invitation à rester en connexion avec son état intérieur et ainsi, à cesser de réagir automatiquement sous la colère, reniant systématiquement sa tristesse ou sa peur ? Cela reste une possibilité, même si la leçon prophétique apparente est évidemment de ne pas se laisser submerger par sa colère au moment où on l’exprime. « Celui qui maîtrise la colère tout en ayant la possibilité de lui laisser libre cours aura son cœur rempli de lumière au jour de la Résurrection » [7], dit le bien-aimé.

L’expression émotionnelle

Exprimer ses émotions est certes une manière de s’affirmer et de s’afficher avec véracité, ce qui garantit un sentiment d’harmonie et de bien-être aussi bien émotionnel que physique. Le prophète disait « la véracité procure la tranquillité tandis que le mensonge fais vivre dans l’appréhension ». A contrario, quand l’individu refoule ses émotions parce qu’il ne sait pas comment les exprimer, ou par crainte de déplaire et par conséquent d’être rejeté par autrui, il risque une accumulation de frustrations et la manifestation d’une pathologie émotionnelle dont la colère démesurée n’est qu’un bref exemple. Aussi, toute émotion est indicatrice et messagère d’un besoin que l’expression permet de satisfaire. Pour exemple, la colère porte le besoin d’être respecté, considéré et entendu. Dieu dit : « Et lorsque Moïse retourna à son peuple, fâché et attristé, il dit : « vous avez très mal agi pendant mon absence ! » [8]. Le prophète Moïse a clairement exprimé ici son mécontentement et formulé son besoin d’être entendu et considéré.

Ce qui est donc désirable, c’est une émotion appropriée et un sentiment proportionné aux circonstances et exprimé adéquatement. « Si l’un d’entre vous aime son frère alors qu’il le lui dise » [9] dit le bien-aimé. C’est dans ce contexte, à mon sens, que le musulman doit comprendre certains écrits coraniques qui, en apparence, se lisent comme un appel à refouler, éviter et  renier son ressenti. Relatant la demande du Prophète faite à son compagnon Abou Bakr dans la grotte de Thawr, le Très Haut dit « Quand ils étaient dans la grotte et qu’il disait à son compagnon : « ne t’attriste pas, car Dieu est avec nous » [10] ; De même, « Et n’aie pas peur et ne t’attriste pas : Nous te le rendrons et ferons de lui un Messager » [11], et « Nous lui dîmes n’aies pas peur, c’est toi qui auras le dessus » [12], s’adressant respectivement à Moïse et à sa mère. Ces paroles coraniques traitent des émotions éprouvées dans un contexte inapproprié. Autrement dit, il n’y avait aucune raison pour qu’Abou Bakr s’attriste, car Dieu Le Parfaitement Protecteur les accompagnait dans leur exode. De même, la tristesse et la peur de la mère du prophète Moïse de perdre celui-ci n’avait pas de raison d’être. Pourquoi direz-vous ? Parce que c’est Dieu, Le Très Haut, qui veillait sur lui. « Dieu ne suffit-il pas à Son adorateur (comme soutien) ? Et ils te font peur avec ce qui est en dehors de Lui » [13], dit le Seigneur.  Quant à Moïse, il avait peur d’échouer devant pharaon et ses magiciens. Dieu le rassura aussitôt en l’informant qu’il allait prendre le dessus sur eux.

Les extrêmes – les émotions trop intenses ou celles qui perdurent ainsi que le refoulement de celles-ci – compromettent l’équilibre et la santé psychique de l’homme. Ainsi, entre une extinction totale de celles-ci et une expression destructrice, l’Islam, loin des excès, prône une « expression émotionnelle épanouissante » [14], restant fidèle à sa philosophie du juste milieu. Dieu dit « Et aussi Nous avons fait de vous une communauté de justes pour que vous soyez témoins aux gens, comme le Messager sera témoin à vous » [15].

La maîtrise émotionnelle

L’Islam éduque effectivement l‘homme à une expression épanouissante de ses émotions, lui permettant non seulement d’affirmer et de communiquer ses besoins mais aussi de les satisfaire d’une manière qui plaît à Son Seigneur sans pour autant se laisser emporter par elles. Dieu dit : « Ne sois pas d’un abord difficile, et ne marche pas sur terre très content de toi-même, Dieu n’aime certainement pas tout être plein de suffisance et de vantardise » [16]. Et son Prophète clarifie davantage le cadre où l’expression de ses émotions doit être contenue et dite au moment même où il exprime sa tristesse : « Mais nous ne disons que ce qui satisfait à notre Seigneur ».

Dans ce même dessein, l’Islam offre différentes voies de régulation et de maîtrise émotionnelle au fil de ses enseignements. Outre l’incitation à rester présent et conscient de son état intérieur, l’Islam conseille également de contrer et de contester les pensées qui déclenchent et nourrissent les émotions négatives. Il invite à entendre la voix de la raison. « Le Croyant fort est meilleur et plus aimé par Dieu que le Croyant faible […]. Et si un malheur t’atteint ne dis pas : si j’avais fait ceci, il y aurait eu ceci et cela. Mais dis plutôt : Dieu a décrété et Il fait ce qu’Il a voulu. Car « si » ouvre la voie à l’œuvre de Satan » [17]. En référence donc à ce Hadith, une des qualités du croyant fort serait la capacité à maîtriser ses pensées et par conséquent ses émotions et ses comportements. « Le fort n’est pas celui qui terrasse les gens dans la lutte, mais le fort est celui qui reste maître de lui-même dans ses moments de colère » [18]. Pourquoi la colère précisément ? Parce que « de toutes les dispositions d’esprit négatives auxquelles les gens s’efforcent d’échapper, la fureur semble être la plus rebelle » [19]. Rien donc, aussi bien mal que bien, n’est en mesure d’ébranler l’attitude du croyant fort et sa volonté de plaire à Dieu. Le Très Haut dit au sujet de ce type d’adorateurs « Et concourez au pardon de votre Seigneur, et à un Paradis large comme les cieux et la terre, préparé pour les pieux, qui dépensent dans l’aisance et dans l’adversité, qui dominent leur rage et pardonnent à autrui – car Dieu aime ceux dont l’agir est bel » [20].

Suivant les conseils du bien-aimé, le croyant fort stoppe la montée de toute émotion négative en s’éloignant de tout mauvais soupçon, « Eloignez-vous du mauvais soupçon, car le mauvais soupçon est bien le plus mensonger des propos » [21], et en se donnant aussitôt l’information apaisante telle la parole divine « Nul malheur n’atteint la terre ni vos personnes, qui ne soit enregistré dans un Livre avant que Nous l’ayons créée ; et cela est certes facile à Dieu. Afin que vous ne vous tourmentiez pas au sujet de ce qui vous a échappé, ni n’exultiez pour ce qu’Il vous a donné. Et Dieu n’aime point présomptueux plein de gloriole » (V.22 ; 23/ S.57) ou encore en trouvant une excuse qui justifierait l’agissement de son frère (ou de sa sœur). Cette façon de penser qui focalise l’attention sur les aspects positifs de la réalité, influence positivement ses émotions et son comportement. Elle fait barrage aux émotions négatives intenses telles que le désespoir, la rage ou l’effroi susceptibles de compromettre aussi bien sa foi que sa santé psychique et physique.

Toutefois, dans le cas par exemple d’une véritable fureur, il est difficile d’interrompre le flot de ses pensées noires qui l’alimentent et l’amplifient. Ainsi, et sachant que l’individu devient à ce moment-là incapable de penser normalement, le bien aimé nous “prescrit”  une distraction physique comme “calmant”, celle de s’asseoir,  de s’allonger ou de faire ses ablutions. Le cerveau étant incapable de penser à plusieurs choses et le cœur à ressentir plusieurs émotions en même temps, ce détournement de l’attention du cerveau par un exercice physique reste un moyen efficace pour interrompre le train de pensées agressives. Le très Haut dit « Dieu n’a pas placé deux cœurs dans la poitrine de l’Homme […] » [22].

En conclusion, si nous souhaitons résumer la santé émotionnelle prônée et favorisée par le Coran et la Sunna, nous dirons : il s’agit de cette capacité à reconnaître, exprimer et partager ses émotions avec justesse. Le chemin le plus court qui y mène reste celui du cœur. Ce morceau de chair qui, comme le rappelle notre Prophète, s’il est sain, assainit tout le corps, mais s’il est corrompu, corrompt tout le corps. Un chemin qui n’aura pour terminal que le Paradis ou l’Enfer, que Dieu nous en préserve ! Voilà une petite histoire très à propos :

Un samouraï belliqueux somma un maître zen de lui expliquer ce qu’étaient le paradis et l’enfer. Le maître lui répondit avec mépris :

« Tu n’es qu’un rustre, je n’ai pas de temps à perdre avec des gens de ton espèce ».

Se sentant insulté, le samouraï devint furieux et, tirant son épée, cria :

« Je pourrais te tuer pour ton impertinence. »

« Voilà ce qu’est l’enfer », répliqua le moine calmement. 

Surpris par la vérité de ces paroles, le samouraï se calma, rengaina son épée, salua le maître et le remercia de l’avoir éclairé.

« Et voilà le paradis », ajouta celui-ci. [23].

Notes:

[1] V.43/ S.53

[2] Rapporté par Al-Bukhârî

[3] Rapporté par Al-Bukhârî

[4] « Que Celui qui Croit en Dieu et au Jour dernier qu’il dise du bien ou qu’il se taise. »

[5] Rapporté par Athirmidhi

[6] Rapporté par Al-boukhârî

[7] Rapporté par At-tabarani

[8] S7/150

[9] Rapporté par Ahmed et Abou Daoud

[10] V.40/ S.9

[11] V.7/ S.28

[12] V.68/ S.20

[13] V.36/ S. 39

[14] J’emprunte cette expression à la psychologue Québécoise Gaëtane La Plante.

[15] V.143/ S.2

[16] V.18/ S.31

[17] Rapporté par Muslim

[18] Rapporté par Boukhârî.

[19] Daniel GOLEMAN, L’intelligence émotionnelle, p.95.

[20] V.133/ S.3

[21] Rapporté par Muslim

[22] V.4/ S.33

[23] Selon un vieux conte japonais.

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