Les enjeux de la visite du pape François au Maroc, 34 ans après celle de Jean-Paul II

Pressentie depuis la nomination d’une ambassadrice marocaine au Vatican, la visite du souverain pontife, les 30 et 31 mars prochains, a été confirmée mardi par le Saint-Siège. Jeune Afrique passe en revue les grands enjeux de ce déplacement.

« La visite commencera samedi 30 mars vers 12h à Rabat, où se déroulera l’importante rencontre entre le Saint-Père et le Commandeur des croyants. Elle sera peut-être suivie d’un passage à l’Institut Mohammed VI de formations des imams, avant de se poursuivre le dimanche à Casablanca, où se tiendra probablement une rencontre interreligieuse à imaginer et à construire, comme une grand-messe avec toute la communauté chrétienne au Maroc », confie à Jeune Afrique le père Daniel Nourissat, membre de l’Église catholique du Maroc.

« Beaucoup vont certainement se mobiliser pour faire de cette visite une vraie « visitation », comme on dit dans l’Évangile. C’est-à-dire une rencontre qui nous change et nous relance dans la volonté de travailler à un monde plus fraternel, avec tous les thèmes si chers au pape François « , poursuit l’homme de foi.

Les relations entre le Maroc et le Vatican se sont largement améliorées ces dernières années

L’annonce de la visite du pape François au Maroc est confirmée : l’évêque de Rome doit venir dans le royaume les 30 et 31 mars. Les rumeurs se multipliaient depuis un certain temps. Le 20 août, le roi Mohammed VI a nommé un ambassadeur au Vatican, en la personne de Raja Naji Mekkaoui, une femme, juriste de formation et alem (théologien musulman). Tout un symbole, qui était venu confirmer les rumeurs d’une visite papale prochaine.

Les relations entre le Maroc et le Vatican se sont largement améliorées ces dernières années, après un froid causé par les déclarations sur l’islam du précédent souverain pontife, Benoît XVI, qui avaient entraîné en 2006 un rappel de l’ambassadeur marocain. La visite ne sera pourtant pas la première : Jean-Paul II avait effectué une visite remarquée dans le royaume en août 1985, suite à une visite de Hassan II à Rome en 1980.

Afrique et monde musulman : le pape en terrain connu

Argentin, le pape François a déjà posé ses valises au Kenya, en Ouganda, et surtout en Centrafrique, mais il a aussi voyagé dans le monde musulman, en rencontrant par exemple dès 2014 le président turc Recep Tayyip Erdogan. La période était à l’union contre le terrorisme. Erdogan avait ensuite été reçu par le pape, lundi 5 février 2018 à Rome. Une visite historique. Au cœur des discussions : la question de Jérusalem, reconnue capitale d’Israël par Washington début décembre. Depuis, la Turquie ne décolère pas et le pape François conteste également cette décision.

Devant les cris d’alarme et les violences à l’encontre des chrétiens d’Orient, le pape s’est aussi rendu en Égypte en 2017, dans la foulée d’attentats contre la minorité copte du pays. François a aussi inauguré en compagnie de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, l’ambassade de Palestine près le Saint-Siège.

Le pape avait prévu de se rendre en Algérie, mais son calendrier ne lui permet pas

Le pape avait également prévu de se rendre en Algérie le 8 décembre, afin d’assister à la béatification des moines de Tibhirine, assassinés en 1996 durant la guerre civile. Cependant, le ministre algérien des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, a précisé depuis que le « calendrier » du Pape François ne lui permettait pas d’effectuer ce déplacement.

La migration, un thème cher à l’Église

Au cours de son voyage marocain, il y a fort à parier que le pape évoquera le sort des migrants, un thème qui lui est cher. Entre juin et juillet dernier, depuis le Vatican ou lors de déplacements, François a insisté sur le besoin d’actions de la communauté internationale « pour garantir la sécurité, le respect des droits et la dignité de tous ». Il s’est également prononcé contre le renvoi des migrants en Libye.

Au Maroc, l’église catholique connaît une nouvelle vie. Le diocèse de Rabat a un nouvel archevêque depuis mars 2018, lorsque l’Espagnol Cristóbal López Romero a remplacé le Français Vincent Landel. Dans une interview accordée en octobre à une agence de presse catholique de sa congrégation, l’ANS, l’archevêque de Rabat ne mâchait pas ses mots : « Les choix des gouvernements (européens) révèlent une attitude d’égoïsme », disait-il à propos des politiques migratoires.

Le sujet était aussi, en septembre dernier, au centre de la dernière conférence des évêques de la région d’Afrique du Nord. À l’en croire, l’archevêque continue de maintenir une action catholique soutenue envers les migrants : « L’Église s’occupe des migrants avec de nombreuses initiatives. Au Maroc, nous avons alloué 1,5 million d’euros et établi un programme pluriannuel, ‘Kantara’, qui assiste des milliers de migrants. »

L’épineuse question des convertis marocains

Si l’Église marocaine revit, c’est qu’elle s’est « africanisée », expliquait encore l’archevêque à l’agence de presse espagnole EFE . Selon lui, il y aurait plus de 30 000 fidèles catholiques au Maroc, venant d’une centaine de pays, notamment ouest-africains. Une trentaine de prêtres sont en activité à Tanger, Rabat ou Casablanca, afin de répondre aux besoins de cette communauté grandissante.

En parallèle, ce coup de jeune de l’Église marocaine se perçoit à travers des expériences originales, comme l’institut Al Mowafaqa, à Rabat, lieu de formation œcuménique pour catholiques et protestants, tourné vers le dialogue avec l’islam.

Des personnes converties au christianisme ont fait part de leur envie de vivre leur foi sans se cacher

La question sensible reste celle de l’attitude des autorités marocaines face à leurs ressortissants musulmans qui se convertissent au catholicisme, et l’Église catholique essaie d’éviter toute activité prosélyte. Mais ces dernières années, profitant d’un climat d’ouverture relevé par différents observateurs, des personnes converties au christianisme ont fait part de leur envie de vivre leur foi sans se cacher.

Un certain flou juridique entoure la question, même si de temps à autre se produisent des arrestations pour pratique d’une religion autre que l’islam. Dans le magazine marocain d’histoire Zamane, Abdelouhab Maalmi, ancien ambassadeur du Maroc au Vatican, rapportait ces mots de l’archevêque Vincent Landel, alors qu’il était encore en poste : « Au Maroc, nous avons la liberté de culte dans un contexte de non-liberté religieuse ».

Le Conseil pontifical déjà actif au Maroc

En mai 2017, le cardinal Jean-Louis Tauran, préfet du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, décédé durant l’été 2018, rencontrait à Rabat le secrétaire perpétuel de l’Académie du royaume du Maroc, Abdeljalil Lahjomri, comme le rapportait le quotidien chrétien français La Croix. Ensemble, ils signaient une déclaration reconnaissant notamment la distinction entre les domaines spirituel et temporel.

Le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux a aussi travaillé récemment avec la commission du dialogue d’Al-Azhar au Caire, pour coordonner ses efforts dans « la lutte contre le fanatisme, l’extrémisme et la violence au nom de la religion ». Miguel Ángel Ayuso Guixot, prélat et aujourd’hui plus haute autorité à la tête du Conseil, bon connaisseur des mondes arabe et musulman, pourrait ainsi être du voyage.

JEUNE AFRIQUE