Louise Mushikiwabo : Six choses à savoir sur la nouvelle patronne de l’OIF

Après l’Egyptien Boutros-Boutros Ghali et le Sénégalais Abdou Diouf, la Rwandaise Louise Mushikiwabo est devenue sans surprise ce vendredi 12 octobre 2018 la troisième africaine à prendre la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Mais qui est cette diplomate de poigne qui, après avoir surpris par sa candidature, a finalement nourri le consensus ? Tour d’horizon en six points.

A 57 ans, Louise Mushikiwabo devient la troisième africaine secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), après l’Egyptien Boutros-Boutros Ghali et la Sénégalais Abdou Diouf. Elle succède alors à la canadienne Michaelle Jean, malheureuse candidate à sa propre succession à la tête cette institution qui a pour but, à la base, de promouvoir la langue française dans le monde. Jusque-là très influente ministre des Affaires étrangères du Rwanda, la candidature de Louise Mushikiwabo a surpris au départ avant d’arracher le consensus de l’UA, de la France et même du Canada. Et celle qui incarne désormais le nouveau visage de la Francophonie est une femme au parcours atypique.

1- Elle a étudié l’anglais au Rwanda et le français aux USA

La nouvelle secrétaire générale de la Francophonie a étudié l’anglais entre 1981 et 1984 à l’Université du Rwanda, à l’époque où le français était la principale langue nationale du pays. Après avoir enseigné pendant quelques années la langue de Shakespeare aux élèves du secondaire, elle s’envole pour les Etats-Unis avec son mari américain. Au pays de l’Oncle Sam, elle passe avec succès une maîtrise en Langues et interprétation, avec une spécialisation en français à l’Université du Delaware, où elle retournera quelques rares fois en tant qu’alumni, pour des conférences.

2- Ex-lobbyiste

Son diplôme en poche, elle s’installe à Washington et pendant près de 20 ans, la jeune femme d’alors travaille en tant qu’interprète pour des organisations de lobbying et de relations publiques dont les identités ne sont pas révélées. « Mon université était à mi-chemin entre New York et Washington. J’ai choisi d’aller à Washington parce que je voulais avoir de l’expérience dans le domaine du lobbying et des relations publiques », a-t-elle déclaré dans une interview à Amina en 2014.

Après le milieu des années 2000, la Banque africaine de développement (BAD) la déniche et lui confie la direction des communications du Groupe. Au bout de quelques temps, elle débarque à Tunis pour officier depuis le siège de l’institution. En 2008, le président Paul Kagame la rappelle à Kigali et la nomme ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement.

Kagame Mushikiwabo

3- Issue d’une famille qui aura marqué l’histoire du Rwanda

Par ailleurs, Louise Mushikiwabo vient d’une famille historiquement impliquée dans l’évolution du Rwanda. Son frère aîné, Lando Ndasingwa, homme d’affaires et politicien, a été le seul ministre tutsi du dernier gouvernement Habyarimana, à la tête du portefeuille du Travail et des Affaires sociales. Il a été l’une des premières victimes -lui, sa femme canadienne, ses deux enfants et sa mère- du génocide de 1994, tous tués le 7 avril. Cette douloureuse histoire est à l’origine de « Rwanda means the universe », un ouvrage semi-autobiographique de 367 pages publié le 4 avril 2006. Co-écrit avec le journaliste américain Jack Kramer, elle y raconte comment une grande partie de sa famille et de la nation ont péri lors de ce génocide. Portée par son désir de contribuer à la reconstruction des vies dans son pays natal, elle a cofondé Rwanda Children Found, une ONG qui finance et accompagne la scolarisation des orphelins du génocide.

Près d’une quarantaine d’années plus tôt, c’est son oncle Alexis Kagame qui s’inscrivait dans les annales du Rwanda. Philosophe, essayiste et historien, il a grandement contribué à l’historiographie du pays, grâce à ses travaux de conservation et de transcription du patrimoine oral royal d’avant l’époque coloniale. Ce qui a notamment facilité l’étude de l’histoire du Rwanda jusqu’à ce jour.

4- Figure de la diplomatie rwandaise depuis 10 ans

Lorsqu’elle quitte le ministère de l’Information pour enfiler le costume de la diplomatie rwandaise le 1er décembre 2009 en qualité de ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo a déjà bien assimilé la philosophie du leadership du président Paul Kagame. Tête pensante de la stratégie déployée par le Rwanda à l’international ces dernières années, elle est reconnue pour avoir travaillé à bâtir -aux yeux du reste du monde- l’image de son pays, lequel peut se vanter d’avoir réussi, moins de 30 ans après le génocide, un positionnement stratégique régional et mondial, que l’on ne lui aurait jamais soupçonné.

Kagame Mushikiwabo

5- L’une des femmes africaines les plus puissantes

Depuis plusieurs années, Louise Mushikiwabo apparaît dans tous les classements des femmes les plus puissantes d’Afrique. Avec sa nomination à la tête de l’OIF, elle rentre d’office dans la liste des femmes les plus puissantes au monde. Elle qui, avant cette « victoire », loupait en 2010 le secrétariat générale adjoint des Nations Unies en charge d’ONU-Femmes face à l’ex-présidente du Chili, Michelle Bachelet. Depuis plusieurs années par ailleurs, Mushikiwabo est membre du conseil consultatif du Munich Security Conference, la conférence annuelle sur la politique de sécurité internationale qui se tient en Allemagne.

6- Fervente défenseure de l’Afrique

La nouvelle patronne de la Francophonie est également connue pour avoir un discours sans langue de bois face aux instances internationales. L’histoire retiendra notamment comment elle s’est illustrée en 2013 lorsque l’Union africaine (UA) était en proie à des querelles intestines, au moment où ses partenaires internationaux cherchaient déjà à renforcer la coopération économique. « L’Afrique du 21e siècle doit être maîtresse de son destin et cela doit être plus qu’un slogan. Une voix unique africaine au service des Africains s’impose […] et cette unité doit résister à toute forme de pression », a-t-elle déclaré le 8 décembre à Alger lors d’une rencontre du conseil de sécurité de l’Union africaine (UA), appelant ses pairs à une prise de conscience des enjeux pour le développement du Continent.

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Vers le retour d’un ambassadeur de France à Kigali ?

Si sa candidature à la tête de l’OIF a surpris avant de nourrir le consensus, les différentes analyses laissent penser que Paris, en la soutenant, cherche à reconquérir le pouvoir rwandais. D’autant qu’en ce moment, l’offensive économique française veut davantage mettre le cap sur l’Afrique de l’Est où le seul pays où les entreprises hexagonales arrivent à bien pénétrer pour l’instant reste le Kenya. Or, au regard de l’actuel positionnement géostratégique du Rwanda dans la sous-région Est du Continent, le pays de Paul Kagame apparaît comme un « must be there » pour les investisseurs.

Depuis 2015, le poste de l’Ambassadeur de France au Rwanda est vacant. Et il ne serait pas étonnant que le rapprochement entre Paris et Kigali -dont la nomination de Louise Mushikiwabo à l’OIF semble être l’un des premiers fruits- débouche également sur la désignation d’un ambassadeur dans la capitale rwandaise. Interrogée à ce sujet par Le Monde, elle répond : « ça dépendra de La France. […] Mes obligations se situeront dans le cadre de la Francophonie. Mais si je suis consultée en tant que secrétaire générale de l’OIF, alors je donnerai mon point de vue ».

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