[Mariage] Le Secret des couples qui durent et qui réussissent. Première partie: la famille

La famille a une place centrale en Islam. Une place qu’elle avait également à vrai dire dans toute société dans l’histoire de l’humanité, à de rares exceptions près qui ont fait date et qui ont été menées à leur perte… Le Coran nous cite par exemple à plusieurs reprises le peuple de Lot qui est sorti de la nature humaine et a fini par être châtié de la façon de la plus dure qui soit par le Créateur dans cette vie, en attendant une punition éternelle dans l’au-delà.

Mais comment une famille se constitue t’elle ? A l’origine de toute famille, un homme et une femme avec des parcours de vie et des parents différents, des caractères et des personnalités différentes, des natures différentes d’homme et de femme, avec parfois une culture, une origine sociale, une vision de la vie, et une connaissance et pratique de la religion (voire une religion tout court) différentes, décident de rejoindre leurs parcours individuels de vie pour construire la suite de ces parcours ensemble. C’est donc une décision tournée vers le futur, et basée dans notre foi, sur la conscience et la reconnaissance que notre bonheur futur, aussi bien dans cette vie que dans l’au-delà, fait partie du destin qu’Allah nous a prescrit alors que nous étions encore des foetus dans le ventre de nos mères.

Ce qui est important à retenir aussi, c’est que jamais en islam, cette décision n’équivaut à une rupture définitive avec notre passé. Ainsi nos parents, restent nos parents avant ou après le mariage (même si ils sont non musulmans) et il en va de même du reste de notre famille. L’islam nous enjoint le bon comportement envers nos parents avant tout, et le reste de nos familles également avant et après le mariage, et l’islam donne également une grande importance à l’histoire individuelle de chacun, y compris son héritage culturel (les compagnons du Prophète ﷺ se faisaient souvent appeler par leur nom et un adjectif référant à leur tribu ou peuple, ou en référence à leur père : Bilal al Habashi, Suhayb Al Roumi, Abou Ayyoub al Ansari, Omar Ibn Al Khattab, etc.)

Mais alors comment concilier pour un époux ou une épouse, son attachement à son passé, et son nouvel engagement pour un futur partagé? Cette question est centrale pour la réussite d’un couple mais trop peu de personnes la posent, ou en tout cas la posent à temps. Car en effet on retrouve souvent ce réflexe humain de revenir à son passé quand les choses vont mal dans son présent (ou sont perçues comme allant mal). Et on met donc en application le proverbe africain qui dit: « Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens. » Pourtant ce réflexe est destructeur dans un couple, car il amène à se poser la question de la légitimité de ses décisions et amène aussi à une comparaison dénuée de sens de ce qu’on aimait dans notre passé ou dans notre jeunesse, et ce que l’on aime dans sa vie actuelle.

Combien d’épouses ou époux arrivent ainsi après de longues années de mariage à remettre en cause leur bonheur actuel, y compris quand la vie a été riche en faveurs pendant de longues années (enfants, aisance matérielle, souvenirs heureux, etc.), pour se concentrer sur une comparison très biaisée de leur jeunesse idéalisée à leur présent caricaturé. Cette comparison, parfois silencieuse, est très risquée car elle amène à la conclusion parfois terrible que la chose la plus structurante qui a changé le parcours de notre vie entre cette jeunesse que l’on regrette et ce présent que l’on n’apprécie plus autant, c’est notre mariage. Et le coeur en vient donc à ne plus aimer ce mari ou cette femme qui est le synonyme de ce changement de parcours. Mais il ne faut pas faire porter à sa moitié une responsabilité plus lourde que celle qui lui est impartie. L’époux ou l’épouse n’est pas responsable de notre bonheur tout entier, il ou elle contribue seulement à la partie commune de notre bonheur sur Terre et la construction commune de notre bonheur dans l’au-delà.

Quel est l’élément le plus marquant qui différencie donc ces deux étapes que l’on compare dans notre tête quand les choses ne vont pas très bien dans notre coeur? La réalité c’est que c’est le passage du temps, cette ressource limitée qu’Allah nous a donné dans cette vie, et qui ne s’écoule que dans un sens par la loi divine immuable qu’IL a fixé. Avoir conscience de cela c’est comprendre que « Je ne peux pas revenir à hier parce que j’étais une autre personne ». Je ne peux pas récupérer le temps qui est passé entre ma jeunesse et aujourd’hui et l’investir différemment pour mon bonheur sur Terre dans l’au-delà. Même ces bons souvenirs dont on se nourrit souvent pour apaiser notre coeur, ou pour se rappeler nos joies passés, ne sont qu’un extrait d’une vie qui a depuis suivi son cours et de façon irréversible. On ne pourra plus jamais redevenir ce jeune ou cette jeune célibataire idéaliste, libre et ambitieux(se).

La conclusion est même plus dure que cela. Se rattacher à ses parents, ses ami(e)s ou ses frères et soeurs, quand on a une difficulté dans notre couple, c’est aussi en quelque sorte aller se rassurer que ces relations là ne bougeront pas dans le temps alors que le mari ou l’épouse est le fruit d’un choix qui peut être remis en cause. Pourtant cette compréhension est également fausse. Qui a choisi de nous faire naître dans une famille donnée? Le Créateur sans nul doute. Et qui a choisi de nous faire vivre ce mariage prédestiné qui peut parfois nous apporter des difficultés? C’est le Créateur aussi. Ces relations là, créées et destinées par le Créateur, ne peuvent plus être enlevées de notre parcours de vie une fois qu’elles y sont entrées. Et quand bien même le couple se sépare dans les cas les plus extrêmes, l’homme autant que la femme, resteront à jamais liés par ces quelques années qu’ils ont passées en couple et sur lesquelles ils seront jugées.

C’est d’autant plus important à préciser dans le cas de couples avec enfants. L’homme et la femme partagent alors une relation tournée vers l’avenir, même si leur couple se sépare: celle de père et mère d’enfants qui portent en eux, dans leur code génétique, le fruit d’une fusion de deux parcours de vie par le miracle du mariage. Ainsi nos enfants portent 50% du patrimoine génétique de notre époux ou de notre épouse, et seulement 25% du patrimoine génétique de notre père ou de notre mère…

Pour revenir donc à cette notion de secret des couples qui durent, il convient de revenir à cette notion de temps qui s’écoule. L’homme et la femme qui veulent réussir leur vie de couple, doivent accepter de laisser le temps s’écouler, et ne jamais vouloir rompre cet écoulement régulier des secondes, des minutes, des heures, des jours et des années de nos vies. Vouloir aller plus vite que le temps à un certain moment, c’est vouloir à un moment aller seul car comme le dit le proverbe « Seul on va plus vite, Ensemble on va plus loin ». Vouloir aller contre le temps, c’est vouloir à un moment rattraper ce passé qui est loin derrière et que l’on ne pourra plus jamais retrouver. « Le passé est un phare et non un port »  on doit se retourner de temps en temps pour savoir d’où l’on vient et reconnaître la distance que l’on a parcouru, mais vouloir retourner à notre port de départ en plein milieu de notre expédition en mer, c’est accepter de revenir les mains vides et peut-être ne retrouver que des vestiges d’un passé idéalisé.

Comprendre que ce temps est parmi ce qu’il y a de plus précieux dans notre vie, c’est comprendre aussi que dans un couple la gestion de ce temps à deux est un des secrets du bonheur partagé. L’islam nous donne de multiples routines pour gérer individuellement notre temps: les routines quotidiennes des cinq prières ou des invocations du matin et du soir, les routines hebdomadaires de la prière du vendredi, les routines annuelles du ramadan ou de la zakat al maal… De la même manière, les couples qui réussissent mettent très tôt dans leur couple des routines pour ne pas céder parfois à la tentation de vouloir changer trop de choses d’un coup, mais au contraire régler le tempo de leurs vie sur ce temps qui s’écoule. Ces routines peuvent parfois être très simples, comme un baiser le matin en se réveillant, un petit déjeuner préparé parfaitement selon les goûts de son (sa) partenaire, ou une promenade hebdomadaire à deux. Parfois ce sont des routines plus engageantes, comme des soirées à deux chaque mois ou des sorties à deux chaque mois planifiées à l’avance dans l’agenda de chacun.

Sans forcément autant de romantisme, l’exemple des générations précédentes est aussi très riche de ces routines qui expliquent en partie la stabilité des familles dans le passé. Les familles d’agriculteurs, cadencées par le temps naturel des saisons et des récoltes, ont une vie rythmées sur des obligations temporelles qui ne peuvent être remises en cause. Et ils attendent parfois dans la plus grande difficulté, les récoltes annuelles ou semi-annuelles pour profiter d’un peu d’opulence dans une vie de privations. Plus récemment, les générations de nos parents avaient cette gestion du temps exemplaire, rythmée par ces voyages annuels au pays pour voir la famille et tout le reste de l’année, par un travail assidu et de nécessaires économies. Dans les villages, les étés sont ces rendez-vous annuels ou chacun se retrouve, par exemple pour les mariages, et on patiente donc pendant les longs mois d’hiver en attendant ces étés qui effacent toutes les difficultés. Mais aujourd’hui ces exemples semblent si loin. Dans le monde de l’instantanéité, on a perdu notre rapport au temps, on veut tout tout de suite, on ne se projette plus sur ces cycles annuels, mensuels, hebdomadaires voire journaliers qui nous aident à éviter cette tentation de vouloir tout arrêter à un certain moment pour prendre un autre chemin. Et on décide donc à de nombreuses occasions de faire des choses « exceptionnelles » (comme ces voyages devenus si routiniers vers les destinations « paradisiaques… ») pour avoir la sensation que l’on « brise la routine ». 

Pourtant il n’y a pas besoin de briser les routines pour vivre heureux, bien au contraire. Le secret est de partager des bonnes routines et les apprécier tout en préparant ensemble de lointains succès, comme le succès de nos enfants qui ne s’obtient pas en quelques jours ou quelques mois… Notre nature d’homme et de femme nous attire spontanément dans certaines de ces routines de façon quotidienne, notamment dans la succession des jours et des nuits, des repas ou même des rapports intimes. Notre nature de musulman et musulmane nous conditionne pour d’autres routines citées précédemment que l’on peut faire seul ou à deux. Il reste alors toute une série de routines bienheureuses que l’homme et la femme qui cherchent à réussir ensemble se doivent de respecter au quotidien… (à suivre).

Ajib.