Migration: Il faut combattre les réseaux des passeurs où qu’ils soient

 

Interview/ Issiaka Konaté (directeur générale des ivoiriens de l’extérieur)

‘’Il faut combattre les réseaux des passeurs où qu’ils soient’’

Premier responsable de la direction chargée des ivoiriens de l’extérieur, Issiaka Konaté, dans cet entretien, analyse le phénomène migratoire, avant d’en tirer les leçons. Pour lui, l’Etat et ses partenaires dont l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations) mettent tout en place pour créer les conditions d’un retour volontaire, sécurisé et humanitaires des migrants irréguliers.

             

Le Patriote : M. le Directeur, quelle est la situation des Ivoiriens de la diaspora avec la pandémie de Covid-19 ?

 Issiaka Konaté : La pandémie a affecté toutes les diasporas et tous tes pays au monde. Que ce soit dans les pays d’origines ou dans les pays d‘ac­cueil. Personne n’a été épargné et personne ne prévoyait ce niveau de pandémie. D’un pays à un autre, la détresse des personnes qui étaient dans des emplois fragiles est percep­tible. Plusieurs corps de métier ont été touchés par la pandémie et dans tous les pays. II n’y a pas une particularité ivoirienne. Nous sommes tous con­cernés avec des fortunes diverses

LP : Avez-vous des contacts avec les ressortissants ivoiriens hors du pays en vue d’une assistance dans cette période ?

IK : En plus d’avoir facilité le retour ce plus de 3000 Ivoiriens retenus dans les pays du fait de la Covid-19 (soit par des vois spéciaux, soit par vois groupés). L’Etat a exceptionnellement répondu a de nombreuses sollicita­tions de notre diaspora. Ainsi ce sont plus de û000 personnes qui ont béné­ficié de la solidarité du gouvernement dans plus de 40 pays à travers monde

LP : Quel est l’état de l’immi­gration irrégulière en Côte d’ivoire ?

 IK : La Côte d’ivoire n’est pas une particularité dans ce phénomène quoiqu’on puisse en dire. Les migra­tions concernent moins de 4% de la population mondiale et 80% des migrations se font de façon régulière. Le continent africain ne vient qu’en 4ème position des mouvements migratoires mondiaux. Mieux, en Afrique de l’ouest et de l’Est, plus de 92% des mouvements migratoires sont à l’intérieur de leurs espaces communautaires. Pour exemple, 83% des personnes immigrées dans la région ouest-africaine viennent d’un pays de l’Afrique de l’Ouest. En clair, il faut bien le comprendre aussi, les Africains sortent peu de leur conti­nent. Ça, c’est un fait. Il faut partir du factuel pour traiter les problèmes, car le mauvais diagnostic conduit, aux mauvais soins ou à des soins inadap­tés. Quand on a fini de dire ça, on peut dire que la Côte d’ivoire est à la fois un pays d’accueil, un pays de transit et enfin un pays de départ. Les Ivoiriens voyagent, certains régulière­ment et d’autres irrégulièrement. Nous attirons l’attention des popula­tions afin que les décisions die migra­tion soient volontaires et que les mou­vements migratoires se fassent con­formément aux lois des pays de départ, des pays de transit et des pays d’accueil C’est l’idéal. Nous attirons également l’attention sur les risques liés aux activités des réseaux criminels qui vendent des illusions aux jeunes et les conduisent vers des mirages soldés par des pertes en vies humaines. Soldés par des pertes en vies humaines Ces réseaux doivent être combattus ou qu’ils soient et même dans les pays d’accueil et de transit. Ce que je note aussi, c’est qu’il y a une baisse générale des mouvements migratoires irréguliers et conséquemment de ceux en prove­nance de l’Afrique subsaharienne. Il y a d autres débats dans lesquels je ne souhaite pas entrer car la migration est trop complexe et certainement trop riche pour être ramenée qu’à la migration irrégulière. Il faut crimi­naliser peut-être la migration irrégulière avec ses relais qui sont les passeurs et non la migration en elle- même Qui est un droit fondamental, reconnu par la Déclaration Uni­verselle des Droits de l’Homme de 1948.

 

LP : Peut-on avoir le nombre des Ivoiriens qui partent illé­galement vers les pays dits El dorado ? A quel volume se situe l’immigration dans notre pays ?

IK : Il m’est difficile de répondre à cette question de façon précise pour plusieurs raisons. D’abord, nous sommes dans une zone de libre cir­culation conformément aux proto­coles de la CEDEAO. Les populations peuvent bouger sans contraintes et sans entraves dans cet espace com­munautaire, Ensuite, il est difficile de déterminer la nationalité des voyageurs en l’absence de docu­ments et enfin le voyage irrégulier est complexe, secret pour en déterminer facilement la taille. Mais des mouve­ments irréguliers existent et notre pays à l’instar des autres pays est aussi concerné par les départs irréguliers. Je n’entre pas dans les débats de chiffres, car je répète que le phénomène est très complexe. Je vois régulièrement des chiffres de part et d’autre de personnes qui déclarent être de “nationalité ivoirienne ou d’autres nationalités’’. Je vous laisse le soin de voir avec les organisations comme l’OIM. Mais je répète, per­sonne ne peut avancer dos chiffres de façon précise et encore moins déter­miner la nationalité des migrants en l’absence de documents d’identité valables ou fiables. C’est un travail complexe qui prend du temps.

 

LP : Quelle est la localité la plus touchée par la question de l’immigration irrégulière ?

 IK : Je vous invite à lire l’élude de l’OIM, je partage ces données avec vous, je suis opposé à la stigmatisa­tion des zones, car c’est surtout l’ac­tivité des réseaux de passeurs qui détermine des zones de départ. Plusieurs grandes villes ou agglomérations sont concernées par les départs. Je vous invite à lire l’étude de l’OIM.

LP : Peut-on affirmer que la Côte d’ivoire est une plate tournante de l’immigration illé­gale ?

IK : La Côte d’Ivoire n’est pas une plaque tournante de la migration irrégulière. Notre pays accueille plus de 24% de population d’origine étrangère et elle n’exporte pas plus de migrants qu’elle en accueille. C’est un fait, Le pays est dynamique économiquement et attire beaucoup de personnes dont certains peuvent vouloir rechercher une santé finan­cière pour poursuivre leur aventure migratoire. La Côte d’ivoire a un triple statut et constitue une alternative peur l’Europe aux yeux de beaucoup de personnes. Elle n’est aucunement une plaque tournante de la migration Irrégulière.

 

LP : Depuis leur retour au pays, certains migrants se plaignent de la non-assistance de l’Etat Ivoirien. Ils s’estiment abandonnés une fois achevée la prise en charge de 3 jours après l’aéroport Que répon­dez-vous ?

 IK : Je rappelle que nous n’avons organisé que des retours volontaires, sans aucune contrainte. Cette mesure a permis de préserver la vie, l’intégrité physique de plus de 8500 personnes qui se retrouvaient désem­parées et demandaient à revenir au pays. Ces retours se font à travers l’Etat ou à ses projets avec les pays d’accueil ou par l’organisation Inter­nationale pour les migrations. Ces appuis se font conformément au plan de retour et de réintégration qui a fixé un montant minimum à recevoir systématiquement un hébergement d’urgence bien que ces personnes reviennent dans leur pays, auprès de leurs familles. De plus, l’assistance à la réintégration ne constitue pas qu’une dimension économique. Plusieurs assistances spécifiques sont fournies dès l’arrivée comme une assistance médicale, psychosociale, hébergement d’urgence sur plusieurs mois pour les personnes vulnérables (mineurs non accompagnés, victimes de traite, personnes âgées ou malades…), médiations familiales, etc. Il faut aussi savoir qu’aucun pays en Afrique de l’Ouest ne paye les appuis reçus ici en Côte d’ivoire. Il faut faire attention de ne pas créer un appel d’air en privilégiant un jeune de retour et en l’opposant à celui qui serait resté ici. Lors de mes rencon­tres avec les jeunes ici dans notre pays, plusieurs d’entre eux m’ont dit qu’ils trouvent injustes les appuis reçus par ceux qui sont de retour en Côte d’ivoire. Moi je dis juste que ce que l’Etat a fait, est inestimable. Sauver des vies et ensuite offrir une seconde opportunité ou une seconde chance, et cela est loin d’être un droit. Faut-il comprendre qu’un migrant de retour aurait des droits supérieurs à un jeune Ivoirien lambda qui est tou­jours resté ici et oui n’est jamais allé en situation de migration ? Moi je suis opposé à une hiérarchisation de la souffrance ! Quelle en serai l’unité de mesure de classification des souffrances entre ceux qui sont ici ? l’Etat a ramené ces personnes ici en leur sauvant la vie et plus de 8500 personnes sont concernées. Des programmes de réinsertion existent, mais il ne faut sous aucun prétexte se mettre sous cette posture. Ensuite pour la réintégration, des programmes sont conçus et leur succès ou échecs peuvent tenir de plusieurs facteurs dont le niveau individuel, la volonté, le choix du secteur, etc…

 

LP : Qu’en est-il des projets communautaires ?

 IK : Nous avons aussi un souci de partage des profits et des devoirs. Afin de prendre en compte les besoins des communautés d’origine et de ne pas créer un système parallèle dans lequel les migrants de retour seraient favorisés par rapport à des membres de la communauté, plusieurs projets communautaires ont été mis en place. Nous pouvons néanmoins noter une indisponibilité voire réticence de cer­tains bénéficiaires à participer à ces projets collectifs et communautaires en préférant des assistances individu­elles. Cela serait dû selon les retours que nous avons d’un côté, à la per­ception du manque de légitimité des membres de la communauté de bénéficier des activités de réintégra­tion de la part des bénéficiaires du fait qu’ils n’aient pas connu les difficultés de leur parcours migratoire, mais aussi à un manque de confiance entre les bénéficiaires au niveau de la ges­tion des ressources financières et de la réalisation des tâches quotidiennes liées au fonctionnement des projets communautaires. C’est encore très complexe.

LP : On a vu des migrants de retour qui ont du mal à s’adapter aux politiques de réintégration ou d’insertion. Comment expliquez-vous cela ?

 IK : D’une part, il y a les attentes des migrants de retour. Les migrants de retour apparaissent relativement sat­isfaits de l’assistance reçue, mais ils en veulent plus et prétendent à plus. Nonobstant les séances d’information qui sont en cours avant et après le retour sur l’assistance possible, leurs attentes sont extrêmement élevées, ce qui peut impacter négativement leur satisfaction et leur participation dans le processus d’aide à la réinté­gration. Cet état d’esprit, de vouloir tout, tout de suite, pourrait en partie expliquer la volonté de ces personnes de migrer : elles sont parvenues à accumuler un pécule notoire avant leur migration (les investissements réalisés pour financer le voyage sont souvent supérieurs à la valeur moné­taire de l’aide à la réintégration), mais elles en voulaient plus et plus vite et la migration semblait la solution. D’autre part, « l’échec » de leur parcours migratoire, crée une sorte de honte d’être rentré ou d’être revenu sans amélioration de leur condition, voire souvent même en l’empirant, et le regard qui est pose sur eux par leurs proches, la société peut contribuer à tour volonté de très vite démontrer qu’ils sont parvenus à faire quelque chose de leur vie. Cela fait que cer­tains migrants sont souvent réticent à participer à dos activités de forma­tion professionnelle ou de gestion qui peuvent prendra plusieurs semaines. Cela, sous prétexte de connaître le métier qu’ils veulent exercer alors qu’un de leurs plus grands défis est de faire vivre ces activités une fois l’assistance reçue. Enfin, le délai du processus de l’assistance à la réinté­gration est souvent considéré comme trop long par les bénéficiaires (capac­ité à collecter les documents légaux et processus de traitement) et devient un facteur de frustrations chez cer­tains bénéficiaires. Mais, il est incon­tournable pour mettre en place une assistance correcte et surtout trans­parente. C’est d’ailleurs pour ces raisons et d’autres encore que j’ai tou­jours encouragé que les projets ne prennent pas uniquement en compte des jeunes de retour, mais tous les jeunes et d’inclure à la fois des projets communautaires ou à impacts com­munautaires. Malgré la bonne volonté des acteurs dans le domaine de la réintégration, ce processus est loin d’être une panacée à tous les maux. J’entends ce qui se dit, mais je suis admiratif des efforts faits dans la réin­tégration, qui du reste est et demeure très complexe.

 

LP : Peut-on avoir des sta­tiques de migrants de retour insérés ou appuyés par l’Etat ivoirien ?

 IK : Seulement pour les personnes assistées dans le cadre du projet pour la protection et réintégration des migrants : en mai 2021 plus de 3500 personnes avaient finalisé leur processus de réintégration.

 

 Réalisée par Fousseny Touré

LE PATRIOTE n°6467 du mercredi 28 Juillet 2021, Page 6