Emmanuel Macron a annoncé mercredi 9 avril que la France pourrait reconnaître un État palestinien. La solution à deux États, israélien et palestinien, est la ligne directrice de la diplomatie française depuis plus de soixante-dix ans. Si le dossier palestinien a parfois été mis de côté, il n’a jamais vraiment quitté la scène française.
« On doit aller vers une reconnaissance [de l’État palestinien, NDLR] et donc dans les prochains mois, on ira », a déclaré le président français à son retour d’Égypte. Le 12 octobre 2023 déjà, peu de temps après l’attaque terroriste du Hamas et juste avant de se rendre en Israël, Emmanuel Macron avait tenu à rappeler la position historique de la France dans le conflit israélo-palestinien : « Des garanties indispensables pour la sécurité d’Israël » et « un État pour les Palestiniens ».
Cent quarante-sept pays des 193 États membres des Nations unies reconnaissent déjà l’État palestinien, dont douze membres de l’Union européenne sur 27. L’annonce de la France pourrait sembler intervenir tardivement quand on sait que l’Hexagone détient un rôle de pionnier dans le dossier palestinien.
Dès 1947, Paris vote en faveur du plan de partage de la Palestine adopté par l’ONU puis reconnaît l’État d’Israël quelques mois plus tard. Des liens se tissent entre les deux pays, la France allant même, en 1957, jusqu’à aider Israël à développer un réacteur nucléaire. C’est à cette époque que la centrale de Dimona, dans le désert du Néguev, voit le jour. Plongée dans des luttes indépendantistes de la part de son empire colonial, et particulièrement en Algérie, la France perçoit en Israël un allié face aux pays arabes en proie aux nationalismes. Et puis, le souvenir de la Shoah est omniprésent dans les consciences françaises. Lors de la crise de Suez en 1956, Paris et Londres se mettent du côté de Tel-Aviv pour envahir l’Égypte après la nationalisation du canal.
La politique arabe de la France à l’œuvre
Mais en 1958, le général de Gaulle, de retour au pouvoir, met un terme à la collaboration nucléaire avec Israël et entame la « politique arabe de la France », qui culmine en 1967 lors de la guerre des Six-Jours, lancée par Israël. De Gaulle avait prévenu que la France soutiendrait Tel-Aviv en cas d’agression, mais pas si ce dernier lançait les hostilités. Le général de Gaulle met alors en place un embargo sur les armes destinées à Israël.
Dans la foulée, la France vote la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU pour le retrait d’Israël des territoires nouvellement occupés. Pour le chef de l’État français, c’est « une occupation qui ne peut pas aller sans oppression, répression, expulsion. Il s’y manifeste contre Israël la résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme ». Le général de Gaulle qui ne s’arrête pas là, provoquant le courroux de Tel-Aviv. En novembre 1967, il déclare aussi en conférence de presse que le peuple juif est un « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ».
Le rapprochement de la France avec les pays arabes, et donc de la Palestine, se poursuit avec les présidents Pompidou, élu en 1969, qui maintient l’embargo sur les armes vers Israël, mais surtout sous le septennat de Giscard d’Estaing. En octobre 1974, Paris vote en faveur de la reconnaissance de l’OLP comme principal interlocuteur pour la Palestine au sein de l’ONU.
Sous Giscard d’Estaing encore, le chef de la diplomatie Jean Sauvarnargues est le premier membre d’un gouvernement occidental à rencontrer le chef de l’Organisation de libération de la Palestine, Yasser Arafat, à Beyrouth le 21 octobre 1974. « Le ministre a estimé que » tout règlement au Proche-Orient doit tenir compte du règlement palestinien. Toutes les parties intéressées s’en rendent compte. Le crédit et le rôle de M. Arafat peuvent orienter l’OLP vers une action de caractère politique tenant compte des réalités internationales « . Après avoir estimé qu’il fallait » arracher les Palestiniens à la violence et au désespoir « , le ministre a déclaré : » M. Arafat m’a fait une très bonne impression. Il m’a paru réaliste et modéré, mais certes conscient des droits que lui impose la situation M. Arafat a la stature d’un homme d’État » », peut-on lire dans Le Monde du 22 octobre 1974.
L’année suivante, en 1975, l’OLP ouvre dans la capitale française un Bureau d’information et de liaison. C’est une première en Europe. « Le fond du problème est de considérer qu’il ne peut y avoir de paix durable au Proche-Orient que si la question palestinienne fait l’objet d’un juste règlement, affirme Valéry Giscard d’Estaing (…) À partir du moment où la communauté internationale reconnaît l’existence d’un peuple palestinien, ce peuple doit pouvoir disposer d’une patrie. »
En 1980, le comité économique de la Communauté économique européenne, dont fait partie la France, reconnait par la Déclaration de Venise le droit des Palestiniens à l’autonomie gouvernementale et le droit à l’OLP à participer aux initiatives de paix. Un choix vivement dénoncé par Israël.
« Le dialogue suppose que chaque partie puisse aller au bout de son droit »
Quand François Mitterrand prend les commandes de la France en 1981, la politique arabe de la France ne s’interrompt pas, bien au contraire, au grand dam de la communauté juive française qui voyait dans le socialiste un fervent défenseur d’Israël. Premier président à se rendre en Israël, il rappelle devant la Knesset, en 1982, la position de la France depuis trente-cinq ans, celle d’une solution à deux États, et ajoute : « Le dialogue suppose que chaque partie puisse aller au bout de son droit, ce qui pour les Palestiniens peut, le moment venu, signifier un État. »
C’est toujours sous Mitterrand que la France participe à l’évacuation de Yasser Arafat de Beyrouth en 1982 : le chef de l’OLP et ses troupes sont alors encerclés par l’armée israélienne. « C’est escorté de deux bâtiments français, d’un américain et d’un grec que M. Yasser Arafat a quitté Beyrouth, lundi 30 août, à bord d’un bateau de plaisance grec qui le conduira à Athènes (…) M. Arafat, coiffé d’un keffieh blanc et noir, était arrivé à l’entrée du port de Beyrouth peu avant 11 heures, à bord de la limousine blindée de M. Wazzan, peut-on lire dans les archives de l’époque. Il était précédé d’une jeep de légionnaires du 2e REP et suivi de deux automitrailleuses de la force française d’interposition. Lors de sa visite d’adieu au premier ministre libanais, M. Arafat avait d’ailleurs rendu hommage à la France, » qui ne s’est pas seulement engagée à faciliter l’évacuation, mais s’est associée à tout le processus de désengagement » de l’OLP de la capitale libanaise. » Je suis reconnaissant à François Mitterrand de son action durant toute cette période car il est resté un homme de parole « , avait ajouté M. Arafat. À l’entrée du port, occupé par les » marines » américains, des tireurs d’élite français et libanais avaient pris position et surveillaient les immeubles afin d’éviter tout incident. » En fin d’année suivante, Paris participe de nouveau activement à évacuer Yasser Arafat, cette fois-ci encerclé à Tripoli, dans le nord du Liban, par l’armée syrienne côté terre et l’armée israélienne côté mer.
Le chef de l’OLP sera reçu par le président français lors de sa première visite en France en 1989 malgré les protestations des institutions juives françaises. Pour le président socialiste, les intérêts de la France passent avant ceux d’une communauté.
Lors d’un entretien, François Mitterrand persuade Yasser Arafat d’affirmer, en français, que la charte de l’OLP qui affirme que la « lutte armée est la seule voie pour la libération de la Palestine » est « caduque ». Cette séquence historique ouvre la voie aux accords d’Oslo et à la reconnaissance mutuelle de 1993 (reconnaissance mutuelle sur laquelle Israël est revenu en juillet 2024, la Knesset votant une résolution qui rejette le principe même d’un État palestinien, le considérant comme une menace existentielle).
« This is not a method. This is provocation ! »
Jacques Chirac prend les rênes du pouvoir à la suite de François Mitterrand en 1995. Il devient un symbole dans le monde arabe après son altercation avec les services de sécurité israéliens lors de sa visite dans la vieille ville de Jérusalem en 1996. « Qu’est-ce qu’il y a encore comme problème ? Je commence à en avoir assez ! What do you want ? Me to go back to my plane and go back to France, is that what you want ? Then let them go. Let them do. No that’s… no, no danger, no problem. This is not a method. This is provocation ! That is provocation. Please you stop now », clame-t-il alors que quelques mois auparavant, il était applaudi par Israël pour avoir reconnu la responsabilité de l’État français dans la rafle du Vel’-d’Hiv. Le président Chirac est aussi très proche de Yasser Arafat qui sera accueilli dans l’Hexagone pour y être soigné en octobre 2004. À sa mort, un hommage solennel, digne d’un chef d’État, lui sera rendu en France
À partir de 2005, la France devient moins allante sur le dossier palestinien, pourtant en proie à un nouveau cycle de violences. De nombreuses polémiques sur l’antisémitisme dans l’Hexagone sont initiées depuis Tel-Aviv et Washington, et alors qu’Israël se retire de la bande de Gaza, Chirac accueille le Premier ministre israélien Ariel Sharon à Paris.
Mais la rupture dans la politique arabe de la France intervient surtout à partir de Nicolas Sarkozy, élu en 2007. Sous son quinquennat, le dossier israélo-palestinien piétine plus que jamais, même si ce dernier rappelle la nécessité d’une paix et que Paris vote pour l’entrée de la Palestine à l’Unesco en 2011 et pour qu’elle soit reconnue comme observateur non-membre de l’ONU en 2012. Quand François Hollande devient candidat à l’Élysée, il affirme dans son programme vouloir la reconnaissance de la Palestine. Il n’en sera rien. Pourtant, en novembre 2013, il plaide lors d’une visite au Proche-Orient pour la solution de « deux États pour deux peuples », l’arrêt de la construction dans les Territoires occupés et pour un partage de Jérusalem comme capitale des deux États. En décembre 2014, alors que l’été précédent une manifestation de solidarité avec les Palestiniens de la bande de Gaza est interdite à Paris, l’Assemblée nationale adopte une résolution non contraignante invitant « le gouvernement à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit ».
Et en janvier 2017, face à un gouvernement Netanyahu de plus en plus féroce vis-à-vis des Palestiniens, Paris accueille une Initiative française pour la paix au Proche-Orient au cours de laquelle la France prend acte d’une « solution à deux États en grave danger ». Un geste louable qui ne produit pas d’effets concrets. « La diplomatie française peut difficilement s’imposer dans le dossier israélo-palestinien : elle est en perte de vitesse globale au Moyen-Orient », analyse alors le chercheur Nicolas Dot-Pouillard.
Une possible dynamique d’entraînement ?
Quant à Emmanuel Macron, arrivé au pouvoir en 2017 en se déclarant du gaullo-mitterrandisme, il ne modifie en rien la tendance, d’autant que même avant le 7-Octobre, critiquer Israël fait craindre une accusation d’antisémitisme. Il se met à dos une partie des diplomates du Quai d’Orsay pour sa politique ouvertement alignée sur Tel-Aviv. En novembre 2023, une dizaine de diplomates adressent à l’Élysée une note commune dans laquelle ils regrettent le virage pro-israélien du chef de l’État depuis le 7 octobre. Ils affirment que « [leur] position en faveur d’Israël au début de la crise est incomprise au Moyen-Orient et qu’elle est en rupture avec [leur] position traditionnellement équilibrée entre Israéliens et Palestiniens ».
Il faudra au président Macron, malgré les condamnations de l’ONU, de la CPI et de la CIJ, dix-huit mois de guerre dans la bande de Gaza et plus de 50 000 morts pour qu’il déclare officiellement ce 9 avril envisager de reconnaître l’État de Palestine. L’Autorité palestinienne a salué l’annonce du président français. Une reconnaissance par la France « serait un pas dans la bonne direction, conforme à la défense des droits du peuple palestinien et à la solution à deux États », a déclaré à l’AFP Varsen Aghabekian Shahin, ministre d’État palestinienne aux Affaires étrangères.
La reconnaissance par la France de l’État de Palestine serait historique. Elle serait le premier pays membre du G7, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, à le faire, ce qui pourrait provoquer une dynamique d’entraînement de la part des autres pays de l’Union européenne. L’UE étant le premier partenaire commercial d’Israël, si cette dernière se base sur le principe du droit international et donc de la solution à deux États, elle pourrait alors peser de tout son poids pour parvenir à ce que prône la diplomatie française depuis 1947.