WhatsApp, l’ami du petit déjeuner en Inde

Il y a encore quelques années, en Inde, les écrivains de rue offraient leur plume et leur inspiration aux amoureux illettrés ou tétanisés. Les « artistes WhatsApp » pourraient bientôt leur succéder. Grâce à la messagerie détenue par Facebook, et dont le pays est devenu le premier marché au monde, un nouveau métier est en train d’émerger : auteur de « good morning messages ». Dans ces missives grâce auxquelles on se souhaite une bonne journée, on peut voir des citations s’échappant de cafés fumants, de couchers de soleil, de vallées de fleurs ou de canaris, qui proclament « Tu fais sourire mon cœur. Bonjour » ou « Le respect est comme un investissement, quand on le donne aux autres il nous revient décuplé. Bonjour ».

Ainsi, la voix de Melody G Fanai est-elle célèbre dans tout le Mizoram, un petit Etat du nord-est de l’Inde, coincé entre le Bangladesh et la Birmanie. La jeune chanteuse a doublé des centaines de séries télévisées sud-coréennes très regardées dans la région mais, grâce à l’explosion de l’Internet mobile, elle enregistre désormais des messages personnels destinés à être envoyés sur WhatsApp. Les habitants font appel à ses talents pour déclamer ou chanter un message d’amour, de rupture, de condoléances ou d’excuses. « Je sanglote, j’implore, je m’emporte, confie la jeune chanteuse. J’ajoute de l’émotion aux mots. » Avec succès. A raison de quarante à cinquante demandes de messages vocaux par mois, facturés chacun entre 1 000 et 2 000 roupies (12-24 euros), Melody G Fanai fait chavirer les cœurs du Mizoram. Elle a même aménagé un studio d’enregistrement dans le sous-sol de sa maison. « A certains moments de l’existence, il est crucial d’avoir la bonne intonation, le ton juste, et pas seulement les bons mots », assure la doubleuse.

Les « good morning messages » ont un tel succès que le site Wishgoodmorning.com, qui a vu le jour en 2015, propose des milliers d’images. Seul problème, certains expéditeurs, aussi gentils que susceptibles, se vexent lorsqu’ils ne reçoivent pas de réponse. Parmi eux, de nombreux parents qui se sentent délaissés par leurs enfants, mais aussi le premier ministre indien, Narendra Modi, qui s’est plaint auprès des députés de son parti de ne recevoir que quatre ou cinq réponses à ses good morning messages.

Ces billets sont si nombreux à être échangés qu’ils saturent rapidement la mémoire des smartphones, transformant la journée de leurs destinataires en calvaire. En 2017, des chercheurs de Google ont découvert avec stupéfaction que les millions de good morning messages étaient responsables de la mémoire saturée de près d’un tiers des smartphones en Inde. Google a donc développé, pour le pays, une application permettant de reconnaître ces images et de les effacer afin de libérer de l’espace dans l’appareil.

Plus grave : avec ses quelque 250 millions d’utilisateurs indiens, WhatsApp sert également de relais à la propagation de fausses nouvelles. Rumeurs qui conduisent à des violences et, parfois, à des meurtres. A tel point que le gouvernement indien a menacé, en juillet, de poursuivre la plateforme, estimant qu’elle ne pouvait échapper à ses responsabilités. En réponse, la société est en train de tester un dispositif limitant à cinq le nombre de transferts par message. « Le respect est comme un investissement, quand on le donne aux autres il nous revient décuplé. Bonjour. »

LEMONDE.FR