Affaire Khashoggi: Erdogan parle d’un «crime politique» et «planifié»

Trois semaines jour pour jour après la mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le président turc Recep Tayyip Erdogan a prononcé ce mardi 23 octobre une déclaration très attendue, sa première depuis que Riyad a enfin reconnu la mort du journaliste en prétextant une bagarre qui aurait mal tourné.

Pendant une vingtaine de minutes, en reprenant méthodiquement toute la chronologie des faits, le président turc a fait la démonstration que la mort de Jamal Khashoggi était un crime prémédité, « planifié » plusieurs jours avant. Un « crime sauvage », un « crime politique », a-t-il même dit.

Recep Tayyip Erdogan a longuement décrit les allées et venues entre Riyad et Istanbul des 15 Saoudiens accusés d’avoir assassiné le journaliste, parmi lesquels, a-t-il confirmé, figuraient des agents de sécurité et du renseignement saoudien, et même un spécialiste de médecine légale.

Recep Tayyip Erdogan a ensuite estimé que les autorités saoudiennes avaient fait un « pas important » en reconnaissant la mort de Jamal Khashoggi, mais il les a appelées à répondre à toutes les questions qui restaient en suspens. Parmi elles : « De qui ces 15 Saoudiens ont-ils reçu l’ordre de tuer Jamal Khashoggi ? » Ou encore : « Pourquoi, si sa mort est accidentelle, n’a-t-on pas encore retrouvé le corps de Jamal Khashoggi ? »

En clair le président turc n’est pas allé jusqu’à pointer un doigt accusateur vers le régime saoudien, mais il a adressé à Riyad toutes les questions embarrassantes qui suffisent à mettre en doute de manière implacable la version officielle des faits. Une façon de continuer à temporiser et de dire aux Saoudiens : la balle est dans votre camp.

L’administration saoudienne a fait un pas important en admettant le meurtre. Maintenant nous attendons qu’ils désignent les responsables, du haut au bas de l’échelle, que ces responsable soient traduits devant la justice et qu’ils reçoivent le châtiment qu’ils méritent. Il y a des signes forts qui montrent que cet incident n’était pas fortuit, mais plutôt le résultat d’une opération planifiée. Il y a 15 personnes impliquées dans cette affaire. Pourquoi ont-elles été rassemblées ? Qui leur a donné instruction de se réunir à Istanbul ? Pourquoi le consulat saoudien n’a-t-il pas été ouvert le jour même, mais plusieurs jours plus tard ? Un meurtre a été commis, c’est évident. Cela l’a été depuis le début. Pourquoi tant d’incohérences ? Et maintenant que chacun admet qu’un meurtre a été commis, où est le corps ? Pourquoi n’avons-nous aucune trace du corps ?

Une voiture fouillée

En parallèle, les enquêteurs turcs poursuivent leurs investigations. Ce mardi, ils ont fouillé une voiture du consulat saoudien garée dans un parking situé à une vingtaine de kilomètres du centre d’Istanbul, en présence de responsables saoudiens. Selon la chaîne de télévision publique TRT, les policiers y ont découvert trois valises, un ordinateur portable et des vêtements. Après avoir saisi le véhicule, ils y effectuent des tests d’ADN.

Les autorités turques sont quant à elle toujours officiellement à la recherche du corps de Jamal Khashoggi. La police et le parquet d’Istanbul ont démenti les allégations selon lesquels il aurait été retrouvé démembré dans le jardin du consul saoudien.

Washington «va exiger des réponses» après les affirmations d’Erdogan

Gina Haspel, la directrice de la CIA, était en ce début de semaine à Istanbul, et dès son retour à Washington, elle fera un état des lieux précis à Donald Trump et à son équipe. Mais le vice-président Mike Pence n’a pas attendu pour endosser les conclusions présentées par la Turquie, qualifiant le meurtre de Jamal Khassoggi, de « brutal » et « prémédité », rapporte notre correspondant à New York, Grégoire Pourtier.

Mike Pence a annoncé ce mardi que les Etats-Unis exigeraient des réponses de l’Arabie saoudite après les affirmations du chef de l’Etat turc Recep Tayyip Erdogan sur le caractère prémédité du meurtre du journaliste saoudien.

« Le monde entier nous regarde. Les Américains veulent des réponses et nous allons exiger que ces réponses interviennent rapidement », a averti Mike Pence, lors d’une rencontre organisée par le Washington Post, le journal américain où collaborait Jamal Khashoggi. « Ce meurtre brutal d’un journaliste, d’un homme innocent, d’un dissident ne sera pas laissé sans une réponse américaine, et je l’espère, sans une réponse internationale », a-t-il ajouté. La veille, le président américain Donald Trump avait déjà fait part de son mécontentement face aux explications de Riyad.

Historique et cruciale, la relation stratégique entre les deux pays pourrait-elle être remise en cause ? La réaction des Etats-Unis devra se fonder, selon Mike Pence, « sur les valeurs du peuple américain et sur ses intérêts nationaux fondamentaux ».

Dans un entretien à USA Today, Donald Trump a lui pris ses distances avec le prince héritier Mohammed ben Salman, minimisant son importance alors qu’il l’avait accueilli en grande pompe à la Maison Blanche en mars dernier. « Je serai très en colère s’il était impliqué », a concédé le président américain.

«L’une des pires opérations de dissimulation de l’histoire» (Trump)

Le président américain Donald Trump a estimé mardi que le meurtre du Jamal Khashoggi dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul avait donné lieu à « l’une des pires opérations de dissimulation de l’histoire ».

« Ils avaient un très mauvais projet à l’origine, il a été très mal exécuté et l’opération de dissimulation a été l’une des pires de l’histoire des opérations de dissimulation », a déclaré Donald Trump depuis le Bureau ovale.

De son côté, le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, a précisé que plusieurs responsables saoudiens impliqués dans la disparition de Jamal Khashoggi avaient été identifiés et verraient leurs visas d’entrée sur le territoire américain révoqués.

« Ces sanctions ne seront pas la seule réponse des Etats-Unis dans cette affaire », a ajouté le chef de la diplomatie américaine. « Les Etats-Unis ne tolèrent pas ce genre d’agissements brutaux pour faire taire Mr. Khashoggi, un journaliste, en recourant à la violence ».

En Arabie saoudite, sous pression internationale, le prince héritier Mohammed ben Salman, ainsi que le roi Salman ont rencontré ce mardi à Riyad deux membres de la famille de Khashoggi, dont l’un de ses fils, Salah, a annoncé l’agence officielle SPA.

RFI