Réunis dimanche à Niamey, les chefs d’État de l’Union africaine ont officiellement lancé la première phase opérationnelle de l’accord sur la Zone de libre-échange continentale (Zlec). Mais de nombreux aspects restent à négocier.
Nul ne sait si elle était prévue, mais l’intervention surprise de l’Érythrée a eu de quoi réjouir Mahamadou Issoufou, hôte du sommet des chefs d’État de l’Union africaine (UA). Peu avant 20 heures, ce dimanche 7 juillet, juste avant que le président du Niger ne prononce son discours de clôture, l’ambassadeur érythréen en Éthiopie, Semere Russom, a tenu à prendre la parole. « Nous sommes disposés à signer l’accord de libre-échange. L’UA enverra bientôt un groupe d’experts pour aborder la question avec nos ministères compétents », a-t-il annoncé.
Après la signature du Bénin et du Nigeria, dimanche matin, l’Érythrée est le seul pays du continent n’ayant pas signé l’accord portant création de la Zlec. Vingt-sept pays l’ont ratifié : on compte notamment le Burkina Faso, le Tchad, le Congo, la Côte d’Ivoire, Djibouti, la Guinée, le Gabon, le Ghana, la Gambie, le Kenya, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Rwanda, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud, le Togo, l’Ouganda ou le Zimbabwe. La République arabe sahraouie démocratique (RASD) et le Maroc ont annoncé ce dimanche qu’ils déposeraient les instruments de ratification dans les prochains jours.
La question du Sahara occidentale s’est d’ailleurs invitée au huis clos des chefs d’État et de gouvernement. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a tenu à prendre la parole pour préciser que la signature du royaume ne signifiait pas que celui-ci reconnaissait la RASD et acceptait sa présence au sein de l’organisation.
Cinq instruments opérationnels
À Niamey, les chefs d’État du continent ont officialisé le lancement de la première phase opérationnelle de l’accord. La création de cinq instruments opérationnels a été entérinée. Il s’agit des « règles d’origine », des « listes de concessions tarifaires dans le commerce des biens », du « mécanisme en ligne de surveillance et d’élimination des barrières non-tarifaires continentales », de « la plateforme panafricaine de paiements et de règlements numériques (Papss) » et de « l’Observatoire africain du commerce ».
La Zlec aura également son « conseil des ministres », composé des ministres africains du Commerce, chargé d’assurer la mise en oeuvre de l’accord. Il se réunira au moins deux fois par an.
Déjà décidé jeudi par les ministres des Affaires étrangères, le choix d’Accra pour accueillir le siège du secrétariat général de la Zlec a été entériné. Les diverses candidatures avaient été notées par un comité d’évaluation. La capitale du Ghana a devancé celle de l’eSwatini (ex-Swaziland). Selon nos sources, il a fallu de longues négociations pour que son souverain accepte ce choix.
Quid du budget et du financement ?
Malgré ce lancement très symbolique, la Zone de libre-échange, et ses différents instruments, ne sont pas encore une réalité. L’UA s’est fixée la date du 1er juillet 2020 pour qu’elle soit effective. Les négociations sur l’investissement, la concurrence et la propriété intellectuelle vont, elles, se prolonger jusqu’en décembre 2020. « Lors des huis clos, nous ne sommes pas rentrés dans les détails », confie un participant.
Les fonds proviendront du budget annuel de l’UA. Nous avons demandé à la commission de faire des propositions
Ainsi, la question du budget du secrétariat général et de son financement demeure en suspens, même si le Ghana a annoncé qu’il allait décaisser une première tranche de 10 millions de dollars. « Les fonds proviendront du budget annuel de l’UA. Nous avons demandé à la commission de faire des propositions », précise à JA Mahamadou Issoufou, le président du Niger. « Encore une fois, on met la charrue avant les bœufs. On crée une institution sans avoir réglé la question de son financement », estime le président d’une institution sous-régionale.
D’autres réformes nécessaires
Le calendrier de libéralisation se voudra flexible. Certains États se sont montrés réticents à éliminer tout de suite les droits de douane sur les produits représentant 90 % de ses lignes tarifaires. Un groupe de six pays (dont le Niger, le Malawi, Djibouti et la Tunisie) a ainsi obtenu de dédouaner seulement 85 % des produits pendant 15 ans avant de se mettre à niveau.
« Les pays insulaires ont également demandé qu’un fonds de compensation pour la perte des revenus douaniers soit mis en place », confie un participant.
Lors de leurs interventions, plusieurs chefs d’État ont mis en garde leurs pairs sur la nécessité d’accompagner la Zlec par d’autres réformes. De fait, la question du passeport unique africain et du projet de marché unique aérien n’ont pas connu d’avancées significatives. Le traité instituant la Communauté économique africaine sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d’établissement a été signé par 32 pays, lors du précédent sommet à Kigali, l’an dernier. Mais à l’heure actuelle, il a uniquement été ratifié par le Rwanda.
« Comment allons-nous commercer si nous ne pouvons pas traverser librement les frontières ? », interroge Minata Samate-Cessouma, la commissaire des Affaires politiques de l’UA.
Pour Nasser Bourita, le chef de la diplomatie marocaine, « la réussite de l’accord dépendra de ce que nous allons faire maintenant. Il faut un nouveau modèle de développement en Afrique. Les barrières tarifaires ne sont pas le seul problème. Il faut des infrastructures, de la connectivité et aider les entreprises africaines au risque que la Zlec soit contre-productive. Surtout, les espaces économiques régionaux doivent être renforcés ».
Le président congolais Félix Tshisekedi a de son côté reconnu qu’« il y a beaucoup d’objectifs à atteindre. Tout le monde semble disposé à avancer. Mais le vrai problème c’est d’abord la paix et la sécurité partout. C’est un objectif que l’Union africaine s’était fixé pour 2020, mais je crois que nous ne sommes pas très bien partis pour ça », a-t-il déclaré lundi, certifiant : « J’en fait une priorité. Il faut d’abord pacifier le continent, mettre hors d’état de nuire toutes ces bandes armées et mettre fin à tous ces conflits interethniques. Ce n’est qu’à partir de là que l’on pourra penser à cette zone de libre-échange ».
Jeuneafrique