Le syndicat des imams tunisiens a appelé fin juin à boycotter le pèlerinage à la Mecque qui commencera le 19 août. En cause ? Son coût trop élevé fixé par l’Arabie saoudite et les attaques de la dynastie saoudienne au Yémen et en Syrie.
Fin juin, le secrétaire général du syndicat des imams tunisiens a interpellé le mufti de la République pour annuler le pèlerinage à La Mecque (ou hajj) de 2018. Invité dans une émission sur la radio Shems FM, Fadhel Achour a demandé à condamner l’événement annuel par une fatwa. Pourtant, le pèlerinage sur les lieux saints de la Mecque est l’un des piliers de l’islam, obligatoire, au moins une fois pour les musulmans qui en ont les moyens.
Premier motif invoqué, le prix « faramineux » du pèlerinage pour des Tunisiens qui subissent de plein fouet une crise économique. Cette année, l’Arabie saoudite a imposé aux pèlerins du pays une nouvelle taxe de 768 dinars, environ 200 €.
Second argument géopolitique cette fois : l’implication de la monarchie saoudienne dans deux conflits. « L’Arabie saoudite utilise l’argent du hajj dans l’agression contre des pays musulmans, comme la Syrie et le Yémen, ce qui est contraire à la loi islamique », a ainsi affirmé l’imam.
L’or blanc de l’Arabie saoudite
En 2017, 2 350 000 fidèles du monde entier se sont rendus sur les routes sacrées d’Arabie saoudite, une population en constante augmentation. Au total, les étrangers ont versé pour ce hajj 20 milliards de riyals saoudiens soit 4,75 milliards d’euros. Selon une étude de la chambre de commerce et d’industrie de la Mecque sortie en août 2015, un pèlerin non saoudien dépenserait environ 4 100 € pour accomplir ce rite.
L’omra, un pèlerinage plus petit qui peut avoir lieu à n’importe quel moment de l’année, génère des revenus encore plus importants. « D’ici à 2030, nous espérons accueillir tous les ans six millions de fidèles lors du grand pèlerinage et 30 millions lors de l’omra », avait déclaré en 2017 à l’AFP, Maher Jamal, le président de la Chambre de commerce et d’industrie de la Mecque.
Un pèlerinage correspond à une trentaine de Smics tunisiens
Pour les Tunisiens, cette année, le prix du voyage s’élève à 11 700 dinars, soit 3 852 €, l’équivalent d’une trentaine de smic s’indigne Fadhel Achour. En évoquant la crise économique dans laquelle est plongée la Tunisie, l’imam a indiqué que le syndicat préférerait dépenser cette somme « pour améliorer la situation du pays ».
Mais, l’appel des imams peine à trouver un écho favorable : 10 982 Tunisiens effectueront le hajj cette année contre 10 374 en 2017. Dans un communiqué publié le 1er juillet, le parti islamiste Ennahdha a condamné les propos du syndicat par une fatwa en affirmant : « Ce sont des appels isolés idéologiques (…), outre qu’ils perturbent les bonnes relations entre la Tunisie et l’Arabie saoudite ».À son tour, le ministère tunisien des affaires religieuses a répondu le 6 juillet que l’appel lancé pour annuler le rite du pèlerinage « n’émane pas de parties officielles et n’engage en rien le gouvernement tunisien ».
La gestion du hajj, reflet des conflits dans les pays du Golfe
Les imams tunisiens reprochent aussi à la monarchie des Al Saoud, de réinvestir les bénéfices perçus par le hajj et l’omra pour mener des guerres et l’agression « des pays musulmans comme la Syrie et le Yémen ».
« Les Saoudiens veulent maximiser les bénéfices sur les deux pèlerinages. Ils augmentent les frais du hajj, pour les transports par exemple. Ils veulent le privatiser comme l’omra », explique Leïla Seurat, auteur avec Jihan Safar d’un rapport publié en 2018 Hajj : étude du marché français et enquête de satisfaction des pèlerins.
Les pèlerinages à la Mecque cristallisent les tensions géopolitiques du Golfe. « L’année dernière, des pays musulmans avaient formé un observatoire pour défendre l’intérêt des pèlerins face à la monarchie wahhabite », ajoute Leïla Seurat. Appelée Al Hamarain Watch, cette campagne unit plusieurs états musulmans qui veulent gérer différemment les lieux saints de l’islam et éviter leur monopole par un seul pays.
Le 5 juin 2017, deux mois avant la saison du hajj, les relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et le Qatar avaient été rompues avec la fermeture des frontières aériennes, maritimes et terrestres saoudiennes. Doha avait accusé Riyad d’empêcher ses ressortissants de participer au grand pèlerinage avant leur réouverture.