Dans le cadre de notre enquête sur la conversion en islam, la Psychologue Kpan Prsica Djénéba, épouse Touré a donné son avis quant au changement dans la vie d’un individu.
Comment est définie la conversion selon la psychologie ?
La conversion religieuse est à la fois le processus et l’aboutissement, d’une pérégrination, d’un cheminement personnel (intime) pour aboutir à l’adoption de nouvelles croyances, de nouveaux rituels, de nouvelles pratiques. C’est le fait de changer en ayant à l’idée que l’ancienne situation est mauvaise et que la nouvelle est bien meilleure. Elle engendre une transformation du système de valeurs.
Quels sont les différents types de conversions qu’on pourrait citer ?
Les auteurs dénombrent différents types de conversions que sont ; la défection qui est le fait de quitter sa religion sans forcément adopter une nouvelle religion, la transition de tradition, c’est le fait de changer de religion. Nous avons également l’affiliation qui se résume au fait qu’un individu adhère à une religion alors qu’il n’en avait aucune. On peut parler aussi de la transition institutionnelle, c’est le fait de changer de communauté religieuse au sein d’une même religion, (chez les musulmans, quitter le chiisme pour adhérer au sunnisme). Et finalement nous avons l’intensification qui consiste à donner à un moment de sa vie de l’importance à sa religion alors qu’on la négligeait auparavant (mauvais pratiquant). Cela intervient souvent lors de faits marquants comme le mariage, le décès d’un parent, le baptême d’un enfant, où l’on a le soutien total de sa communauté (le converti interne).
Comment se fait le changement de religion chez une personne ?
Comme tout changement psychologique, le processus de la conversion se fait suivant des étapes que Lewis Rambo (1993) estime à sept. Et ces sept étapes sont le contexte propice à un changement, la crise, la quête, la rencontre, l’interaction, l’engagement, les conséquences. Le premier processus qui est le contexte, concerne toutes les situations qui peuvent influencer une personne dans son choix de conversion. On peut citer l’exemple des évènements traumatisants comme le 11 septembre ou Charly hebdo qui ont poussé beaucoup d’occidentaux à s’informer sur l’Islam et à se convertir pour certains. Ensuite vient la crise qui est la principale force qui fournit l’opportunité du changement.
Elle peut se caractériser par des questionnements sur le sens de notre existence sur terre, sur la mort, la vie, etc. Suit alors, la quête qui est le besoin d’accomplissement, de réalisation chez l’individu qui le pousse à rechercher la connaissance sur la religion choisie. L’étape suivante est la rencontre. Les convertis cherchent souvent à rencontrer des érudits, (Imams) ou des personnes converties qui sont passées par le même cheminement qu’eux et qui sont aguerries en la matière. Après la rencontre, nous avons l’interaction, le converti va établir des relations avec les membres de la nouvelle communauté pour apprendre les façons de faire, de penser, les rituels, en somme, les habitudes de la nouvelle famille religieuse afin de s’y adapter. Et l’une des étapes importantes de la conversion est l’engagement qui exprime l’aboutissement du processus de conversion. Il est concrétisé généralement par un rituel d’initiation à travers le baptême pour les chrétiens protestant ou la récitation de la profession de foi (la Chahada) pour les musulmans.
Ce rituel marque la séparation d’avec l’ancienne vie. La dernière étape est enfin les conséquences de cet engagement parce que la conversion transforme de manière systématique la vie de l’individu. De la tenue vestimentaire à l’alimentation en passant par l’attitude (la façon de penser, d’agir et d’aimer certaines choses). Ainsi, un chrétien devenu musulman ne boira plus l’alcool et ne mangera plus de porc. Que les conséquences soient positives ou négatives, la conversion doit être entretenu, protégée et accompagnée pour éviter que le nouvel entrant fasse défection.
Pourquoi une personne décide-t-elle de changer de religion ?
Cette question, fait référence à la transition de tradition qui consiste à l’abandon de sa religion pour une nouvelle. Et des Psychologues comme Lofland et Skonovod (1981) donnent plusieurs motifs d’une conversion religieuse. Nous avons la conversion intellectuelle, c’est le résultat d’un effort volontaire pour se faire sa propre opinion sans influence externe sur la religion qu’on a choisie. La conversion mystique, dépasse l’entendement et provient d’une expérience émotionnelle de la présence de l’être suprême qui entraîne à la conversion. La conversion expérimentale, ici l’individu se convertit en essayant d’appliquer les rites et pratiques de la religion à laquelle on l’invite (c’est le cas d’un individu qui a des amis musulmans qui l’invitent souvent à la prière, aux fêtes, à jeûner et qui finit par pratiquer).
La conversion affective provient de la relation amoureuse qui s’établit entre le futur converti et un membre de la religion à laquelle il va adhérer (se convertir par amour). Par exemple se convertir pour réaliser son mariage. La conversion revivaliste a lieu par l’invitation d’un prédicateur dans une foule. Elle s’entoure de beaucoup d’émotions (lors de campagne d’évangélisation, ou, à l’époque des saints, pendant les débats inter-religieux). Et la conversion coercitive, elle s’obtient par la force, comme la conversion des africains par les missionnaires européens, ou celle effectuée par les almoravides en Afrique du nord.
Pourquoi certains convertis finissent par abandonner la nouvelle religion adoptée ?
Par manque d’encadrement, surtout au niveau de la communauté musulmane. Dans les autres confessions, les convertis sont pris en charge jusqu’à ce que l’on soit sûr de son adhésion totale avant de permettre la conversion. Le converti bénéficie d’une formation spirituelle (le catéchisme) qui lui permet de s’imprégner entièrement de sa nouvelle religion.
Au niveau des musulmans, la conversion est spontanée et sans aucune condition hormis la profession de foi. La sincérité du converti est entre lui et son seigneur. Les mosquées sont bien contentes d’accueillir des convertis, mais les abandonnent à leur sort après.
Aussi, peut-on constater des défections de certains convertis sous la pression des amis et de la famille. Ils sont parfois chassés par leurs parents qui les prennent encore en charge s’ils sont jeunes. Faute de soutien à tous les niveaux (sanitaire, alimentaire, scolaire, vestimentaire, au niveau du logement, psychosocial, etc.), ils finissent par retourner à leur ancienne religion. D’autres se radicalisent parce que convertis par des groupes radicaux et sont prêts à tout pour prouver leur adhésion totale à la nouvelle religion. C’est le cas en France où, des jeunes aussi bien français que d’origine étrangère en quête d’identité et pour se venger d’une société à laquelle ils ont du mal à s’intégrer, se convertissent à l’Islam et rejoignent des groupes extrémistes.
D’autres encore se convertissent juste pour des intérêts personnels. Par exemple, les personnes qui se convertissent juste pour le mariage, se rétractent juste après parce qu’ils ont atteint leurs objectifs. Ces personnes, le plus souvent des hommes, sont bien souvent contraints par les parents de se convertir avant d’épouser leurs filles, qui, elles-mêmes ne pratiquent pas vraiment la religion. Elles sont le plus souvent en complicité avec le conjoint qu’elles encouragent parce qu’elles veulent se marier.
En tant que psychologue, quels conseils pouvez-vous donner à la communauté musulmane pour qu’elle puisse faciliter l’intégration et le maintien d’une personne qui adhère à l’islam ?
La communauté musulmane devra songer à créer dans chaque grande mosquée une cellule de soutien aux convertis avec des mentors aguerris. Ce soutien devra être holistique parce qu’il devra prendre en compte tous les besoins du converti. Soutien psychologique parce que tout changement à ses moments de mélancolie, d’affection et d’incompréhension. Il faudrait une prise en charge alimentaire, vestimentaire et surtout un cadre d’hébergement vu que ces personnes sont chassées par leurs familles.
Les personnes scolarisées devront pouvoir continuer leurs études grâce au soutien des musulmans. Il ne faudrait pas oublier également, l’encadrement religieux, parce que la première étape de toute démarche spirituelle doit être la documentation. Il faudrait aussi un volet social pour que le converti puisse renouer avec sa famille de sang avec laquelle il ne doit pas rompre.
Souvent, on constate également un changement de nom de la personne qui rentre dans sa nouvelle religion, est-ce important ?
Il n’est nullement obligatoire de changer de nom en Islam. Cependant, cela est recommandé surtout lorsque le nom est lié à des fétiches ou une signification non convenable en Islam. On peut porter le nom des Prophètes ou de personnes ayant marqué positivement l’Islam, soit pour leur ressembler ou leur rendre hommage.
Votre mot de fin à l’endroit de nos lecteurs ?
Notre mot de fin va à l’endroit des convertis à qui nous formulons quelques conseils. Je leur demande de pratiquer l’Islam selon leurs possibilités et aller à leurs rythmes car c’est progressivement qu’ils pourront atteindre la piété. Une chose importante est qu’il leur faut garder les liens de parenté et avoir toujours le respect pour eux. Trouvez-vous un mentor ayant une bonne maîtrise de la religion qui vous accompagnera dans votre nouvelle vie. Je termine en leur disant de mettre tous leur espoir en Dieu. Être musulman rime avec les épreuves. Car Dieu dit que vous ne direz pas que vous êtes des croyants sans qu’Il ne vous éprouve. L’épreuve permet au musulman de mesurer son degré de foi et d’être plus proche de Dieu.
SIRA