La Côte d’ivoire et ses richesse culturelle et ethnique.

 

La culture, dans son sens large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent : une société et un groupe social. Elle englobe, outre les : arts et les lettres, les modes : de vie, les droits fondamentaux : de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances (L’UNESCO, dans sa déclaration de Mexico sur les politiques culturelles de 1982). La « Déclaration universelle de L’UNESCO sur la diversité culturelle » (2001) promeut et : protège la diversité culturelle comme héritage humain. Elle y est célébrée comme l’une des plus grandes richesses de l’humanité. Sa préservation apparaît ainsi comme un enjeu majeur du XXIe siècle, car de même que la beauté d’un tapis tient à la diversité de ses couleurs, la diversité des civilisations humaines fait la beauté et la richesse du monde.

A l’issue du partage de l’Afrique entre les puissances coloniales européennes pendant la conférence de Berlin (15 novembre 1884 – 26 février 1885), des frontières artificielles ne correspondant en rien aux réalités socio-culturelles du continent virent le jour. De peur de provoquer des conflits interétatiques, les Etats nouvellement indépendants décidèrent du respect des frontières tracées par les puissances colonisatrices.

La conférence constitutive de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) (Addis-Abeba, le 25 mai 1963), entérina l’intégrité territoriale, l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, consacrant ainsi l’écartèlement des communautés culturelles entre plusieurs Etats africains souverains. Désormais les Manding se partagent le territoire du Mali, du Burkina Faso, de la Côte d’ivoire, du Ghana, de la Guinée Conakry, du Libéria, de la Sierra Leone, de la : Guinée Bissau, du Sénégal et de la Gambie; les Akan se dispersent au Togo, au Ghana et en Côte d’ivoire; les Gour habitent le Burkina Faso, le Mali, le Ghana et la Côte d’ivoire; les Krou sont au Libéria, en Sierra Leone, au Burkina-Faso et en Côte d’ivoire. (Cf. Bamba 2013 :58, 59.).

En conséquence, l’Etat africain postcolonial est une mosaïque de peuples, des peuples dont certains s’ignoraient culturellement ou entretenaient des relations conflictuelles, contraints de vivre sur le même territoire et de rejeter leur culture respective en vue de créer de nouvelles nations.

La Côte d’ivoire se caractérise conséquemment par une grande richesse culturelle nourrie par une extraordinaire diversité ethnique et religieuse. Quatre grands groupes sociolinguistiques (Akans, Mandés, Voltaïques, Krous), subdivisés en une soixantaine d’ethnies dont des musulmans, des catholiques, des protestants et d’animistes ainsi que d’autres mouvements spirituels, syncrétiques ou non, tels que Harrisme, Papa Nouveau, Assemblée de Dieu, rosicruciens, eckistes, coexistent au sein de cet État-nation en construction, hérité de la colonisation française. Le pays est subdivisé en 31 régions qui ne présentent pas d’homogénéité ethnique, quoique dans la plupart des régions il existe une ethnie majoritaire avec laquelle les autres ethnies ont plus ou moins d’affinités.

Identité culturelle des différents peuples habitant le territoire ivoirien aujourd’hui, est le fruit de métissages et de transferts culturels, issus d’une longue histoire de mobilité et de cohabitation dont les différents groupes ethniques ignorent souvent. Par exemple les Akoué sont un métissage de Baoulé et de Gouro. Des liens culturels prononcés existent entre les Kodê, les Yohourè, les Ayahou, d’une part, et les Gouro et Baoulé, d’autre part, avec comme peuples tampon les Wuan desquels ils apprirent la sculpture du masque. Ces peuples sont tous issus du brassage entre les Baoulé et les Gouro. Quant aux Dida, ils sont le ciment entre les Akan (Avikam, Alladjan, Abizi) et les Krou (Bété, Néyo, Godié). Les Abidji et les Adjoukrou ont eu des traits culturels et de rites sociaux semblables à ceux des Krou, ainsi que ceux de leurs autres frères Akan. Les Malinké, les Sénoufo et les Baoulé sont en osmose avec les Djimini et les Tagouana. Des sous-groupes Akan, comme les Anoh ou même les Agni et les Abrons présentent des éléments de convergence avec les Malinké. Kong et Bondoukou sont d’ailleurs les symboles parlants de ces liens. Les Dan, les Toura, les Wuan convergent vers les Sénoufo et les Malinké, en partageant des espaces sociaux de convivialité avec eux. Avec leurs cousins Gouro, ils ont transmis une dimension de la culture du masque aux Baoulé, à travers des danses sacrées comme le Goli et le Glahou» (Cf. Emmanuel Yao N’Goran 2013 : 234). Les alliances interethniques ou parenté à plaisanterie (en Côte d’ivoire = «Toukpè», au Mali= sinankunya) sont une des manifestations les plus répandues de ces transferts culturels inter-ivoiriens. Ces pactes de non-agression signés entre les ancêtres des différents groupes ethniques de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest évitaient aux communautés de faire usage de la violence; ils préconisaient des règlements pacifiques à tous les différends. Ces alliances sont entre autres celles

–        des Sénoufo avec les Yacouba, Koyaka, Lobi, Gouro, Mahouka, Koulango;

–        des Attié avec les Dida, M’Batto, Kroumen, Bakwé ;

–        des Baoulé avec les Ando et Agni,

–        des Gouro avec les Peulh, Yacouba, Sénoufo, Tagwana, Djamala, Djimini.

L’instrumentalisation du fait culturel a été à l’origine de pogroms et de conflits multiformes (guerres et crises ethniques, religieuses, exacerbation des communautarismes, etc.) maintes fois à différents endroits de la planète donnant ainsi l’impression que la diversité ethno-cultuelle est une «malédiction». L’éducation à l’altérité constitue donc un défi pour les systèmes éducatifs et les élites politiques. Les spécialistes de l’interculturel doivent sensibiliser à l’instauration d’une société d’égalité de droit, à l’acceptation du pluralisme culturel comme une réalité des sociétés contemporaines et à l’établissement de relations interethniques harmonieuses. La défense de la diversité des expressions culturelles doit prendre une part de plus en plus importante au sein de la politique internationale des Etats à une époque où les cultures ne sont plus limitées par les contraintes traditionnelles de temps et d’espace.

L’Acte constitutif de l’UNESCO proclame que « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Dans une société multiethnique comme la Côte d’ivoire, apprendre à mieux se connaître en se découvrant au-delà des préjugés, des stéréotypes, des considérations ethnocentristes et des modes de pensée essentialistes, est garant de « vivre ensemble », facteur de paix perpétuelle et ferment de développement durable. Une meilleure connaissance des phénomènes de métissages et de transferts culturels inter-ivoiriens aiguise la conscience nationale, fortifie la cohésion sociale et fertilise le sentiment d’appartenance nationale. On peut donc retenir avec Alexis Dieth : « Nous devons, en Côte d’ivoire, être capables de nous penser en citoyens régionalement et culturellement situés. Notre définition ethnique de soi doit être conçue comme variation multiple d’un thème unique : celui d’une citoyenneté enracinée dans la multiplicité de ses mémoires culturelles.»

 

PAR LE PR LACINA YEO

Source : Fraternité Matin – N° 16758 du lundi 02 novembre 2020 page 18