Le 11 février 2019, la révolution iranienne a eu 40 ans. Un âge de maturité qui a permis au régime iranien de montrer la profondeur de son enracinement au sein de toutes les couches sociales, politiques et économiques du pays. Comment comprendre cet évènement majeur qui a changé le visage du Moyen-Orient et du monde musulman et dont les conséquences n’ont pas fini de se faire ressentir ? Avant la révolution, l’Iran est une monarchie où règne les Pahlavi, appelé Shah. Mohammed Reza Pahlavi qui a succédé à son père lance à partir de 1963, un vaste programme de modernisation du pays. Premièrement, il va, pour ce faire, s’engager dans une politique de sécularisation de la civile, notamment, l’enseignement et la Justice, en s’inspirant de son voisin turc Atatürk, alors en pleine reforme séculaire dans son pays. Première erreur, car c’était oublier que l’Iran est un pays traditionnaliste et très religieux, où l’avis du clergé des oulamas a un poids très important. Deuxièmement, il entreprend une reforme agraire et de modernisation de l’agriculture. Deuxième erreur, car tous les paysans ne reçoivent pas les terres escomptées et les résultats économiques de cette modernisation sont mitigés voire négatifs.
C’est une élite qui profite au détriment de la majorité. Troisièmement, le Shah s’attaque aux bazaris, les grands commerçants du bazar dont le poids économique est stratégique et qui sont les alliés traditionnels du clergé des oulamas. Il veut imposer les supermarchés occidentaux pour briser le monopole des bazaris qu’ils accusent d’être à l’origine de l’inflation. Dans le même temps, l’Iran est envahi par les entreprises et une forte immigration occidentales à l’occasion du boom pétrolier. Troisième erreur, le Shah est alors vu comme un allié des occidentaux, surtout des USA, contre les intérêts nationaux. Une chose qui heurte le nationalisme à fleur de peau des Iraniens. Quatrièmement, le pouvoir monarchique du Shah est violent et répressif, privant les Iraniens de liberté de parole et politique. Les organisations des droits de l’homme, notamment Amnesty International et La Croix Rouge, ne manqueront pas de dénoncer et de condamner les violations et atteintes aux droits de l’homme du régime du Shah, dont les méthodes musclées de la SAVK, la police politique, sont dénoncées.
Cinquièmement, tout ceci intervient dans un contexte de désillusion et de désenchantement des peuples musulmans face aux échecs des politiques de développement socio-économique et de démocratisation dans leurs pays respectifs et la désillusion ayant suivant la défaite face à Israël. Tous ces ingrédients vont créer un mécontentement général de la population et offrir des alibis aux opposants pour organiser la riposte. Parmi ceux-ci, on note des groupes marxistes et la Confédération des étudiants. Mais très vite, ceux-ci vont être dépassés par l’opposition du clergé des oulamas, dont le chef charismatique est l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny. Sur ce sujet, il faut souligner l’œuvre majeure d’Ali Shariati, qui séduit l’intelligentsia iranienne, en théorisant le chiisme comme une révolution permanente contre toute forme d’oppression, monarchique, féodale et impérialiste. Mais c’est Khomeiny qui va s’imposer, car il s’adresse directement au clergé et à la population. Il n’aura de cesse de dénoncer le régime répressif et séculariste du Shah.
Il propose un projet de société où l’islam devrait être au premier rang de la vie publique. Il sera contraint à l’exil de 1964 à 1979, successivement, en Turquie, en Iraq et en France. Pendant que le mécontentement interne grandit et que le Shah est fragilisé par un cancer, Khomeiny continue de diffuser ses idées et de gagner en prestige aux yeux de la population. Avec l’arrivée en 1976 de Jimmy Carter à la Maison Blanche, les voix s’élèvent de plus en plus aux USA pour dénoncer le régime du Shah. En novembre1977, il décide d’effectuer un voyage officiel aux USA pour prendre attache avec les nouveaux dirigeants américains. C’est alors que des milliers d’étudiants iraniens viendront de partout en autobus pour protester contre le Shah. Les forces de l’ordre vont alors gazer les manifestants. A la télévision, on voit le Shah à côté de son épouse, pleurant, incapable de prononcer son discours. Un mythe vient de s’écrouler.
En décembre 1977, le président Jimmy Carter décide de faire la fête de la Saint-Sylvestre à Téhéran. La presse commet l’imprudence de montrer une photo du Shah trinquant le champagne avec son hôte. C’est le choc total au sein de la population. Des jours après, un éditorial passe Khomeyni au vitriol en le traitant de traître et d’agent à la solde de l’Occident. C’est la goutte d’eau qui déborder le vase. Cet évènement va alors déclencher une série de révoltes qui vont obliger le Shah à quitter l’Iran, en laissant son trône aux mains d’un premier ministre. Mais les Iraniens en veulent plus. Ainsi, le 1er février 2019, l’Ayatollah Khomeiny rentre d’exil accueillis par des dizaines de milliers d’Iraniens. Dix jours plus tard, le 11 février 1979, il proclame la république islamique d’Iran.
NURUDINE OYEWOLE [email protected] Expertconsultant en communication