Quelques mois à peine s’étaient écoulés depuis la révocation de l’embargo lorsque le Prophète (saw) fut surpris par l’ultime maladie de son oncle Abû Tâlib. Se rendant à son chevet, il trouva auprès de lui Abû Jahl et les notables de Quraysh qui étaient venus l’entretenir au sujet de son neveu et lui demander de les préserver de ce dernier afin qu’ils le laissent en paix à leur tour, et qu’il ne se mêle pas de leur religion à charge pour eux de ne pas se mêler de la sienne. Le Prophète (saw) leur répondit : « En vérité, il suffit d’une seule parole que vous me donniez et vous présideriez au destin des Arabes et seriez suivis par les autres nations. » Abû Jahl lui dit : « Eh bien, nous te donnerions non pas une mais dix paroles. » Le Prophète (saw) dit : « Vous attestez qu’il n’y a de divinité qu’Allâh et vous abandonnez le culte des idoles que vous adorez en dehors de Lui.
» L’auditoire s’exclama : « Veux-tu, Muhammad, réduire les divinités à un dieu unique ? En voilà une idée ! » Puis se tournant les uns vers les autres, ils constatèrent : « Vous n’obtiendrez rien de cet homme, partez donc et conservez la religion de vos parents jusqu’à ce qu’Allâh tranche entre vous et lui. » Sur ce, ils s’en allèrent et Abû Tâlib dit au Prophète (saw) : « Par Allâh, mon neveu, tu ne leur as rien demandé de déraisonnable que je sache. » Voyant que son oncle était au chapitre de l’agonie, le Messager de Dieu (saw) convia son oncle à embrasser l’islam et lui demanda de dire la profession de foi. Abû Tâlib décéda après avoir été un appui indéfectible, un protecteur et un parent affectueux pour le Prophète (saw). Peu de temps après, la Dame Khadîjah décéda à son tour ; cette grande dame au sujet de laquelle Jibrîl annonça un jour au Prophète (saw) : « Ô Messager d’Allâh, Khadîjah est sur le point de t’apporter un récipient contenant de la nourriture. Lorsqu’elle arrivera, transmets lui le Salut de la part de Son Seigneur et de ma part et annonce lui la bonne nouvelle d’une maison en bambou dans le paradis à l’abri du moindre bruit et de la moindre fatigue. » (Boukary) Ainsi mourut la tendre épouse qui, par la force de sa foi, par sa délicatesse, et par son immense amour,
consolait le Prophète (saw) lors des épreuves, dissipait sa douleur et sa tristesse, et le soutenait de sa personne et de sa fortune. La tristesse était double pour la perte de ces deux soutiens affectueux. Ces deux pertes douloureuses affectèrent le Prophète (saw) énormément. Après le décès de son oncle et de son épouse, la persécution que les gens de Quraysh infligeaient au Prophète (saw) s’intensifia. Excédé, le Prophète se rendit incognito à la ville de Tâ’if espérant recueillir l’adhésion de la tribu de Thaqîf et leur soutien. Mais ces derniers poussèrent leurs vauriens à l’insulter et à le railler. Le Prophète leur échappa et trouva refuge dans un jardin. Peiné, il s’assit à l’ombre d’un arbre. Puis il leva les yeux vers le ciel et implora : « Ô Allâh, je me plains à Toi de la faiblesse de mon pouvoir, de la petitesse de ma ruse, du peu de considération que les gens me réservent. Ô Toi Qui es le plus Miséricordieux des miséricordieux, Tu es le Seigneur des faibles et Tu es Mon Seigneur. À qui me confies-tu ? À des gens distants qui me réservent un piètre accueil ? Ou bien à des ennemis à qui tu as donné la mainmise sur moi ? Si cela n’est pas signe de Ton courroux contre moi, alors peu me chaut. Néanmoins, Ton bienfait est certes plus à même de m’envelopper. Je cherche refuge dans la Lumière de Ta Face qui a éclairé les ténèbres et redressé le destin de ce bas-monde et de l’audelà contre le fait d’être l’objet de Ton courroux, ou de susciter Ta colère.
Je te présente mes excuses jusqu’à ce que Tu sois Satisfait. Il n’y a certes aucune force ni aucune puissance en dehors de Toi. » Certaines personnes prises de compassion envers le Prophète (saw) lui envoyèrent quelques grappes de raisins avec leur esclave chrétien appelé `Addâs. Le Prophète (saw) prit le raisin et dit : « Au Nom d’Allâh », puis en mangea. `Addâs s’exclama : « Personne dans ces contrées ne dit comme toi ! » Le Prophète (saw) l’interrogea sur son pays d’origine et sur sa religion. Lorsqu’il apprit qu’il était chrétien et était originaire de Ninive, il s’enquit : « Es-tu du village du saint homme Jonas le fils de Matthieu ? » `Addâs lui demanda avec étonnement : « Comment connais-tu Jonas le fils de Matthieu ? » Il répondit : « Il est mon frère. Il était un prophète et je suis un prophète. » `Addâs se jeta sur lui embrassant sa tête, ses mains et ses pieds… Le Prophète (saw) retourna à la Mecque la tristesse dans le coeur après avoir demandé à Thaqîf de taire son passage chez eux afin que les Quraysh ne le raillent pas davantage. Mais les Quraysh eurent vent de l’affaire et redoublèrent de violence et de raillerie à son égard. Le Prophète (saw) commença alors à faire des propositions aux différentes tribus qui se rendaient en pèlerinage à la Mecque. Il les invitait à croire en Dieu exclusivement et les informait qu’il était un prophète investi d’une mission. Il leur parlait de l’islam, de ses préceptes qui faisaient la promotion de la vertu et de ce qui attendait les hommes après la mort en matière de résurrection et de jugement, débouchant ultimement sur le paradis ou sur l’enfer.
Il ne se contenta pas de les rencontrer à la Mecque, il alla même à leur rencontre sur leurs terres. Il se rendit ainsi chez les tribus de Kindah, Kalb, Banû Hanîfah et Banû `Âmir Ibn Sa`sa`ah, en vain. Son oncle `Abd Al-`Uzzâ Ibn `Abd Al-Muttalib — Abû Lahab — le suivait partout où il allait et incitait les gens à ne pas l’écouter accusant son neveu d’être un poète, ou d’être un sorcier, entre autres accusations, ce qui ne faisait qu’ajouter à la peine du Prophète (saw). Le Prophète (saw) était peiné par les torts que lui infligeaient ses proches, du rejet de son Message, du dédain et de la dérision que lui réservaient ceux qu’il appelait pourtant au salut et à la réussite dans les deux Demeures, feignant d’oublier qu’il ne leur réclamait aucun salaire pour lui-même, ni argent, ni prestige, ni pouvoir. À cela s’ajoutait la profonde affliction due à la perte de l’amour et de l’affection de sa défunte épouse ainsi que la perte de la protection de son défunt oncle qui l’avait élevé, pris en charge et entouré de tous les soins. Un soir, alors qu’il dormait (saw) seul dans la mosquée, survint le miracle du Voyage Nocturne et de l’Ascension (Al-Isrâ’ et AlMi`râj). Par cet événement, Dieu voulut l’informer de son rang élevé dans l’Assemblée Suprême (Al-Mala’ Al-A`lâ). Ainsi, si les gens sur terre le démentirent et ne l’honorèrent point comme il se doit, les gens du ciel eux connaissaient sa juste valeur.