Le témoignage poignant du ministre Essy Amara (Suite et fin)

 

Deux jours après, un magazine suisse publia un article sur l’affaire Bokassa et révéla que les photos qui avaient illustré ce magazine montrant les chambres froides du Palais de Berongo où cet anthropophage d’Empereur stockait les corps humains pour les manger, étaient en réalité des photos de la morgue de Bobigny, chef-lieu de l’Ile de France. Il n’y avait pas de chambre froide au Palais de Berengo Palais de Berengo, mais 5 gros frigidaires dans la grande cuisine du Palais. Il y avait eu en effet beaucoup de manipulations pour se débarrasser de Bokassa qui était très gênant depuis l’Affaire des diamants de Bokassa qui avait éclaboussé le mandat du Président Giscard D’Estaing.

Renversé le 21 septembre 1979 par un coup d’Etat alors qu’il était en visite officielle en Libye, l’Empereur Bokassa et sa suite atterrissent à Paris par un avion spécial. L’avion fut bloqué pendant une semaine à la base militaire de Villacoublay. L’Empereur et sa suite furent confinés dans leur avion, et tous  les jours. Une foule enragée venait  manifester contre cet assassin  d’enfants, cet ogre.

Nous étions au déjeuner avec le Président et des invités : tous nos yeux étaient rivés sur la télévision française qui transmettait en direct ce spectacle humiliant pour l’Afrique. En effet, le Président Giscard D’Estaing, depuis une semaine, avait multiplié des contacts auprès de plusieurs Chefs d’Etat Africains pour accueillir Bokassa dans leur pays sans succès. Il ne voulait pas de Bokassa en France où Empereur était propriétaire néanmoins du château d’Hardricourt, dans la région parisienne. La Présence d’un Bokassa à Paris nourrissant une haine viscérale contre Giscard D’Estaing, aurait été un désastre pour le Président Français lorsque l’on connait la propension de Bokassa à faire des déclarations fracassantes à travers les presses è scandale surtout. Le Petit fils du Président Houphouët-Boigny David Houphouët, fils de Guillaume Houphouët, interpella à haute voix, son grand père :

« Pépé, Tonton Bokassa est très gentil. Il jouait tous les Jours avec nous à Yamoussoukro. Comme on ne sait pas où  envoyer, pourquoi tu ne le fais pas venir en Côte d’ivoire. Il pourrait dormir dans ma chambre qui est vide en ce moment puisque mon frère Jérôme et moi allons rester à Paris ».

Tous les invités furent émus par la voix innocente de ce garçon de 5ans. Tous les regards des invites furent tournés vers le Président baissa a tête resta silencieux pendant près de 3 minutes puis dit « la vérité sort toujours de la bouche des enfants », puis regarda vers moi et dit : « Essy, lève-toi et appelle tout de suite Monsieur Journiac, Conseiller Afrique du Président Giscard d’Estaing pour lui dire que je suis disposé à accueillir Bokassa en Côte d’Ivoire .Il pourra venir à Abidjan  dés dans 3jours .je retourne à Abidjan dès demain pour justifier, devant nos responsables politiques et notre nation, les raisons de ma   décision d’accueillir en Côte d’ivoire celui dont personne ne veut plus ».

Je m’exécutai et appelai  le Conseiller René Journiac pour lui annoncer la décision du Président Houphouët-Boigny. Il poussa un cri de soulagement et me dit : « Il nous tire une grosse épine du pied. Je vais de ce pas informer le Président Giscard D’Estaing qui, j’en suis sûr, va appeler le Président Houphouët-Boigny pour le remercier »

En effet, depuis la Conférence France-Afrique de mai 1979, où le Président Houphouët-Boigny avait contrecarré sa volonté de condamner Bokassa, les deux hommes ne s’étaient plus parlé. Le Président Senghor avait également fait rapport à son homologue français de sa conversation musclée avec le Président Houphouët-Boigny.

Tout cela avait créé un sentiment délétère entre les Président Houphouët  Boigny et Giscard D’Estaing. Le président Français n’’avait pas osé demander son homologue Ivoirien d’accueillir Bokassa comme il l’avait fait à ses collègues Africains.je retiens que ce sont parfais de petits faits qui peuvent marquer l’histoire. L’arrivée de Bokassa en Côte d’Ivoire procédé de cette  nature. Le petit David fut l’étincelle qui déclencha en quelques minutes, le processus de la décision du président de l’accueillir en Côte d’Ivoire.

Je savais que le Président était frustré de la tournure que prenait cette affaire de l’avion de Bokassa mobilisé sur le parking de l’aéroport à Paris. Il disait que c’était la première fois dans l’histoire qu’il voyait qu’un Chef d’Etat déchu ne trouvait pas un lieu d’asile. Il a fallu que ce soit un ancien Chef d’Etat Africain qui illustre ce cas de figure. Il réfléchissait à des solutions probablement car, pour lui, le spectacle de Bokassa confiné dans un avion était une humiliation pour l’Afrique. Son petit-fils lui a montré la voie lorsqu’il dit : « La vérité sort toujours de la bouche des enfants ».

Giscard D’Estaing, effectivement, appela, 10 minutes plus tard, le Président Houphouët- Boigny pour le remercier de sa décision d’accueillir Bokassa.

Ce fut ainsi le dégel de la glace entre les deux Présidents et la Africaines, Joumiac, vint à Genève pour remercier le Président Houphouët-Boigny de la part de son Président pour le rôle dans le dénouement de cette affaire. Le Président Houphouët-Boigny effectua une visite privée à Paris et fut reçu à l’Elysée par le Président Giscard D’Estaing.

Le passé est le passé et l’amitié avait repris le dessus après les incompréhensions du passé. Je sais que le Président Giscard et son épouse avaient dîné avec Le Président Houphouët-Boigny et son épouse en leur résidence, rue Masseran à Paris.

Selon le Président Houphouët  Boigny, le Président Giscard D’Estaing reconnut .e portrait de son aïeul dans le salon et se demanda comment le Président avait pu se procurer ce tableau dont il avait entendu parier mais ne savait pas s’il était dans un musée ou chez un collaborateur.

De cette aventure, j’avais relevé deux traits du caractère du Président Houphouët-Boigny:

  • Sa capacité à dire la vérité aux grands lorsqu’il s’agissait de défendre une cause juste.
  • Sa capacité à assumer une situation lorsque tout le monde recule du fait des critiques extérieures.

Bokassa avait été reçu par de nombreux de ses collègues lorsqu’il était au pouvoir et tout le monde lui tourne le dos pour ne pas se voir associé à l’image d’un despote.

Ce fut le cas pour Ojukou au Biafra, Il avait été reconnu par de nombreux Etats. Dès la chute du Biafra, il chercha l’exil chez les pays anglophones et tous lui ont fermé leur porte. Houphouët-Boigny accepta, sans sourciller, de l’accueillir en Côte d’ivoire.

Les principes et valeurs avaient un sens pour le Président Houphouët Boigny. Nous devons nous inspirer toujours de ses exemples face aux épreuves de la vie,

Aimé Césaire nous dit que : « Le plus court chemin vers l’avenir passe par le passé ». Plus que jamais, les Houphouétistes ont besoin d’emprunter les sillons du Président Houphouët-Boigny pour nous sortir des difficultés que nous connaissons à présent.

Le Président Giscard nous a quittés aujourd’hui et toute la presse internationale s’accorde pour louer son intelligence, sa vision et les immenses réformes qu’il avait réalisées pour moderniser la France dans multiples domaines. Sa vision prospective sur l’Europe en tandem avec son collègue, le Chancelier Heimut Schimdt d’Allemagne, il avait eu à affronter deux chocs pétroliers oui avaient bouleversé toute l’économie  mondiale créant ainsi une inflation et un chômage sans précédent dans les économies occidentales.

Il est considéré en Europe va comme l’un des plus brillants esprits Européens de sa génération. Le Parlement Européen va lui consacrer une cérémonie d’hommage pour sa contribution à ta construction de l’Europe

Comme dit le poète : « La mûri rend magnifique » tout comme l’adage africain qui reconnaît que « C’est à la mort de la grenouille que l’on découvre toute la dimension et la grandeur de sa taille ».

Le Président Henri Konan  Bédié, dans son message des condoléances au Président Français révèle     que « la France a perdu un homme de conviction et la Côte d’ivoire, un grand ami».

Le dernier séjour du Président Giscard en Côte d’ivoire fut le 7 février 1994 lorsqu’il participa, en compagnie des Présidents François Mitterrand, Jacques Chirac et une trentaine de hauts dignitaires Français, aux funérailles du Président Félix Houphouët-Boigny à la Basilique Notre Dame de la Paix à Yamoussoukro.

La Côte d’ivoire peut être fière d’avoir eu pour ami ce grand homme. Qu’il repose en paix aujourd’hui car l’histoire va réparer l’image du perdant que ses détracteurs avaient cherché à coller à ce grand homme d’Etat.

 

Source : Le Nouveau Réveil n°5632 du Lundi 07 décembre 2020 page 4-5