I l est une évidence. Plus la ferveur religieuse des populations est en augmentation, plus l’emprise des religions sur la société des hommes s’accroît. A relire l’histoire de l’humanité, les intégrismes sont en latence dans toutes les contrées du monde. Ils ressurgissent périodiquement en réaction à certains événements. A titre d’exemples : Les revendications des intégristes juifs sont souvent liées aux colonies de peuplement par Israël du territoire palestinien occupé. Des remous avec mort d’homme et incendies ont été provoqués par des projections de film, dont celles de « la dernière tentation du Christ » et « les oiseaux se cachent pour mourir ».
La condamnation à mort de l’écrivain anglo-indien Salman Rushdie à cause de son roman de science-fiction « les versets sataniques ». Les soulèvements et menaces de morts provoqués par la publication des douze (12) caricatures du Prophète Muhammad (Paix et salut sur lui) du journal danois Jyllands-Posten. Etc. Aussi, cette façon radicale de pousser à l’extrême son engagement religieux, sert-elle à la manipulation des symboles sacrés, très souvent, hélas, à des fins personnelles par des élites politiques et leaders d’opinion.
Ces incursions du temporel dans l’intemporel provoquent des conflits de religions qui endeuillent la planète : Au Kosovo, en Tchétchénie et à Chypre les chrétiens orthodoxes sont opposés aux musulmans. Au Cachemire, les musulmans sont opposés aux hindous. Au Proche-Orient, les juifs sont opposés aux musulmans. En Irlande du Nord, les protestants sont opposés aux catholiques. Au Tibet, les athées sont opposés aux bouddhistes. Au Nigeria (2ème pays abritant le plus d’évangélistes après les Etats Unis), les musulmans sont opposés aux chrétiens pentecôtistes.
Cette liste de conflits religieux n’est pas exhaustive. Par ailleurs, l’intention de la mondialisation à moderniser et à homogénéiser culturellement les sociétés des hommes provoque des replis identitaires autour des doctrines religieuses. On se retire dans l’évangélisme aux Etats Unis et au sud du Nigéria, dans le Falun gong en Chine, dans l’Opus Dei qualifié par François Normand d’arme secrète du Pape et dans le Renouveau Charismatique au Brésil, au Mexique, aux Philippines, dans le Salafisme et l’Islamisme au nord du Nigeria (avec Boko Haram), au Moyen-Orient (dans Al Qaïda), en Somalie (dans les shebab), dans l’hindoutva en Inde.
Pour réaliser leur commune ambition politique, ces mouvements religieux tissent leur toile en faisant appel à des institutions spécialisées et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC). De ces offensives, ils recrutent de nouveaux adeptes, très souvent à la faveur de services offerts et de prestations sociales et font ainsi progresser leurs idées dans l’espace public, en l’occurrence à travers les partis politiques. Pour exemples : – le parti du peuple indien ou Bharatiya Janata Party (BJP) a enregistré ses succès électoraux des années 90 grâce au militantisme religieux et social du mouvement hindou la Vishwa Hindu Parishad. – Au Brésil, les pentecôtistes ont eu leur propre groupe parlementaire.
– Aux Etats Unis, les fondamentalistes protestants et les sionistes chrétiens ont contribué à l’élection de George Bush et à son programme politique d’attaque de l’Irak et de soutien sans faille apporté à l’Israël (depuis 2000, les Etats Unis ont exercé pour Israël, neuf fois leur droit de veto au Conseil de Sécurité de l ’ O N U ) . -En Ouganda, l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA, Lord Resistance Army) de Joseph Kony a pour objectif final de renverser le Président Yoweri Museveni afin d’installer un système théocratique fondé sur les principes de la Bible et des dix (10) commandements. La LRA est née du Holy Spirit Movement (HSM), une milice armée des années 1980 dirigée par Alice Auma, tante de Joseph Kony qui fut arrêtée et placée en détention en 1987. – Au nom d’Allah, les shebabs sévissent en Somalie ou de ce qui en reste, en vue d’y instaurer la sharia. – Au Maghreb et en Asie, Al Qaïda règne en maître. -Au nord du Nigéria, Boko Haram fait régner la terreur pour instaurer le califat à Maiduguri.
Au surplus, l’intégrisme n’est l’apanage ni d’une seule religion, ni d’une seule idéologie politique. Ceux et celles qui ont choisi de donner sens et vie aux religions ont le devoir de se conformer aux principes fondamentaux de celles-ci. A l’analyse, ce cheminement de l’humanité nous enseigne que l’intégrisme naît de cette intersection du politique et du religieux. Quand les croyants aiment et détestent leurs guides religieux, plus pour le militantisme politique de ceuxci que pour leur piété et leur probité, c’est le début de l’amalgame qui conduit plus tard à l’intégrisme. -En décembre 1991, le Front Islamique du Salut (FIS) des Imams Abassi Madani et Ali Belhadj a remporté sa première grande victoire aux élections municipales en Algérie. L’armée a dé- cidé d’interrompre le processus démocratique et de « démissionner » le président Chadli Benjedid. En février 1992, elle a proclamé l’état d’urgence. En mars, le FIS fut officiellement dissous. Nombre de ses militants ont dé- cidé alors de prendre le maquis.
D’autres se sont rapidement spécialisés dans la guérilla urbaine. On connaît la suite sanglante. – En Tunisie, Ennahda le mouvement islamiste de Racheed Ghannouchi réputé intégriste par les régimes des présidents Habib Bourguiba et Zine el-Abidine Ben Ali, est sorti de plus de vingt (20) ans de clandestinité pour obtenir la majorité des sièges à l’Assemblée nationale tunisienne, après les premières élections législatives démocratiques de ce pays en 2011. -Le Parti de la liberté et de la justice, l’émanation politique des frères musulmans, contrôle, depuis les dernières élections législatives égyptiennes, près de 50% des sièges de l’Assemblée du peuple, des rangs duquel sortira le futur Premier ministre. Au vu de tout ce qui précède, les intégrismes ne sont ni des faits divers, ni accidentels, ni limités aux seuls Afghans, aux seuls Iraniens, aux seuls nigérians membres de Boko Haram, encore moins à l’Islâm seul.
James Jayce avait raison d’écrire in Ulysse : « l’histoire est un cauchemar dont j’essaie de me réveiller…» Chez les catholiques, le qualificatif intégriste date du pontificat de Pi X (1903-1914). Il fut incarné par l’association « catholiques intégraux » fondée par Mgr Benigni pour s’opposer à l’adoption en France de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cette association fut condamnée par l’assemblée plénière de l’épiscopat français en 1957. Chez les protestants, on définit l’intégrisme comme une manière radicale de pousser à l’extrême son engagement chrétien voulu comme total et sans concession. Chez les musulmans, l’intégrisme, synonyme d’Islamisme, a vu le jour avec la création des Frères Musulmans en Egypte. Pour cette confrérie, comme pour d’autres mouvements musulmans similaires nés plus tard et qualifiés aujourd’hui de fondamentalistes, de djihadistes à l’image des talibans afghans, des salafistes algé- riens, des wahhabites saoudiens, il s’agit d’éradiquer l’injustice sociale en s’attaquant aussi bien aux occidentaux qu’aux régimes de pays musulmans qu’ils jugent impies.
Malgré la montée en puissance des intégrismes religieux, le noyau dur de la criminalité à l’échelle mondiale reste composé des grandes mafias transnationales dont la toile d’araignée enserre la planète entière. Leurs activités illicites auraient rapporté en 2000, deux mille cinq cents (2500) milliards de dollars. Ces activités déstabilisent l’économie, détruisent l’environnement, gangrènent le social et corrompent la politique. Que le monde soit préservé de la confiscation du pouvoir temporel par les intégristes, quels qu’ils soient. Malgré tout, en définitive, c’est Dieu Qui gagnera : – Soit par la confirmation de la prédiction de Mohammad Khatami : « Si la religion se conforme aux exigences du peuple, elle restera sur le devant de la scène avec toute sa force. Sinon, elle échouera. » – Soit par la mise de la modernisation, la démocratisation et la mondialisation au service de Dieu par les mouvements religieux et c’est la religion qui triomphera. Imam Mamadou Dosso Centre d’Education et de Recherches Islamiques CEDRIS [email protected]