[INFO L’EXPRESS] Pendant leurs quatre mois de cavale, les auteurs des tueries de Paris et de Bruxelles, le 22 mars 2016, avaient imaginé d’autres cibles potentielles d’attentats. Un ordinateur portable retrouvé dans l’une de leurs planques a révélé ces projets, plus ou moins crédibles.
Un inventaire à la Prévert, version terroriste : une école maternelle et une caserne belges, des lycées militaires en France, une carte du vote Front national, un porte-avions… Deux ans après les attentats de Paris et de Bruxelles, la liste de l’ensemble des cibles envisagées par leurs auteurs fait froid dans le dos. Ces projets – plus ou moins réalistes-, ont été découverts par les policiers belges dans un ordinateur portable, le 15 mars 2016.
Ce jour-là, au moment de perquisitionner un appartement suspect, au 60 de la rue du Dries, à Forest (commune de Bruxelles), les forces de l’ordre sont accueillies par des tirs de fusil d’assaut. Des membres des Unités spéciales de la police parviennent à abattre un djihadiste, Mohamed Belkaïd, retranché à l’intérieur de l’appartement. Mais deux autres membres du commando terroriste, dont Salah Abdeslam, le logisticien présumé des attentats du 13 novembre, parviennent à s’enfuir. Ce dernier, en cavale depuis quatre mois, va être arrêté trois jours plus tard, à Molenbeek, sa commune d’origine. Et cette arrestation va précipiter le déclenchement des attentats à l’aéroport et dans le métro de Bruxelles, le 22 mars 2016.
Le disque dur de l’ordinateur portable, retrouvé “sur une tête de lit, dans l’appartement du premier étage”, selon l’un des documents judiciaires consultés par L’Express, va être analysé à deux reprises. Il révèle l’existence de centaines de fichiers et de pages internet consultés par le petit groupe lors de longues journées d’attente dans sa planque. L’ordinateur ne comprend aucun contenu crypté, d’après le rapport établi par la police. Cependant, certains fichiers effacés ont dû être récupérés. Parmi ces données : des prêches et des livres religieux d’orientation djihadiste, des testaments vidéo de kamikazes de l’Etat islamique, des techniques d’entraînement militaire, mais aussi des cartes et des reportages vidéo concernant plusieurs lieux, en France et en Belgique. Autant de cibles potentielles pour perpétrer des attentats.
Les plans d’une école élémentaire
Ainsi, un document, dessiné à la main, reproduit sommairement les plans d’une école maternelle et primaire, à Houthalen-Helchteren, une commune située à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Bruxelles. Sur le dessin, un itinéraire est tracé en pointillé depuis l’entrée de l’école jusqu’à un bâtiment. Juste à côté, une petite remise est mentionnée. “Tu sautes par dessus”, indique une annotation manuscrite. Qu’y a-t-il à l’intérieur de ce bâtiment ? “Les dizaines de crèches” (sic), est-il précisé. Il s’agit manifestement des lits des enfants qui fréquentent la maternelle.
Pourquoi l’un des membres du commando devait-il s’introduire dans l’école ? Aucune certitude. “Nos services se sont rendus sur place et n’ont constaté la présence d’aucun objet ou bâtiment suspect”, précise un procès-verbal daté du 26 mars 2016. Au mois de juin suivant, une note de la sûreté de l’Etat [le service de renseignement intérieur belge] indique que le commando terroriste aurait pu y “stocker des armes” avant de commettre les attentats de Paris. Aucune arme ni trace d’explosif n’ont été retrouvées sur place.
En revanche, cette même note souligne qu’un ancien concierge de la salle de sports voisine de l’école était un cousin de Mohamed Abrini, “l’homme au chapeau” qui a renoncé à se faire exploser lors de l’attentat contre l’aéroport de Bruxelles-Zaventem. Ce cousin serait mort depuis lors en Syrie. Alors, le projet d’intrusion dans la maternelle n’était-il véritablement destiné qu’à cacher des armes ?
La prise d’otage dans l’école de Neuilly pour exemple
Il est permis d’en douter. L’ordinateur retrouvé à Forest montre que le commando avait visionné un reportage intitulé Human Bomb, prise d’otage à la maternelle, une affaire qui avait sidéré l’opinion en mai 1993 : un homme bardé d’une ceinture d’explosifs prend alors en otage 21 enfants ainsi que leur institutrice dans une classe maternelle, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Le forcené est finalement abattu par le Raid, après 48 heures de tension extrême. Vingt-trois après les faits, Salah Abdeslam et ses complices ont-ils de nouveau visionné la dérive effarante de “Human Bomb” uniquement pour tromper leur ennui ?
Dans le disque dur de l’ordinateur, d’autres cibles possibles en Belgique sont répertoriées. Comme la caserne de Flawinne, à Namur, où sont cantonnés des commandos des forces spéciales belges. Ou bien le port d’Anvers, qui apparaît dans le cadre d’un reportage télévisé. De plus, une capture d’écran, provenant à l’origine d’un smartphone, reproduit la page Wikipedia de Geert Laire, Général-Major de l’armée belge. Une autre recherche se rapporte au 16 rue de la Loi, à Bruxelles : c’est l’adresse de l’hôtel particulier abritant le cabinet et les services du Premier ministre. Tout cela dans quel but ? “Reclus dans leur planque, les membres du groupe passaient leur temps à échafauder des projets d’attentats et à repérer des cibles, commente une source policière. Ils n’avaient pas forcément de plan défini. Certains projets semblent illusoires, voire complètement fantasmatiques. Mais chaque lieu et chaque cible évoqués ont été rapidement inspectés par les services, en Belgique comme en France.”
Nucléaire et porte-avions
Car, effectivement, quatre mois après les tueries du 13 novembre 2015, le commando terroriste continue de recenser des lieux d’attaque possibles dans l’Hexagone. Dans l’ordinateur, les enquêteurs retrouvent ainsi trace d’un reportage sur l’Histoire du plutonium, diffusé sur Arte, qui décrit notamment l’usine de traitement de déchets nucléaires de La Hague (Manche). Le 7 février 2016, les terroristes visionnent un autre reportage : Saint-Cyr, l’école des chefs, consacré au lieu de formation des officiers de l’armée de terre. De plus, une carte recense la localisation des quatre lycées militaires en France. Un hasard ? Par ailleurs, une carte datant de décembre 2015 détaille “la géographie du vote Front national”. “Il n’est pas exclu que cette recherche ait été effectuée dans le but de cibler au mieux une région pour y commettre des attentats”, relève un enquêteur dans un procès-verbal. Sans qu’il soit possible d’apporter le moindre crédit à cette hypothèse…
Il y a plus extravagant encore. Parmi les fichiers effacés, figurent des recherches sur les formations pour passer “le permis bateau”, un dossier intitulé “charge creuse” sur des munitions destinées à percer des blindages, ainsi que de la documentation sur les “missiles DF-21 D chinois, tueurs de porte-avions”… Il paraît invraisemblable que les auteurs des attentats de Paris et Bruxelles aient sérieusement cru pouvoir attaquer au lance-missiles le porte-avions Charles de Gaulle. Pourtant l’idée semble leur être venue à l’esprit. Mais le 22 mars 2016, les derniers membres du commando, aux abois, vont au plus court pour commettre leur dernière tuerie : trois d’entre eux se font exploser à l’aéroport de Bruxelles et dans une rame de métro, faisant 32 morts et 340 blessés.
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