L’Islam en pays Sénoufo en Côte d’Ivoire contemporaine (suite 3 et Fin)

Cheikh Ladji Daba : de l’autonomisation à la recherche de positionnement sur la scène religieuse

Comme en témoignent les parcours individuels, la formation islamique est plurielle, même si le curriculum reste, pour une large part, identique. Et, outre le fait de faire de « bons musulmans », sa finalité est également plurielle. Dans nombre de cas, elle aboutit à la fonction de karamoko, titre porté par celui ayant fini les cycles d’études coraniques, contrairement au rôle de thaumaturge ou de marabout fabricant d’amulettes auquel ce titre renvoie dans l’imaginaire collectif. Cette fonction honorifique, synonyme d’une adhésion à la classe des élites religieuses, des ulémas, peut donner à son détenteur le droit à l’enseignement coranique, et parfois celui de servir de guide pour la communauté. Ce schéma classique, qu’on retrouve aussi bien dans les foyers islamiques en Côte d’Ivoire que dans les autres États ouest africains, a contribué à assurer la pérennisation de ce type d’enseignement à travers les générations.

Le retour d’Ousmane Doumbia à Dabadougou s’inscrivait dans cette voie : poursuivre les activités religieuses de ses aïeuls. Seulement, ici, ce dernier n’était pas karamoko parce qu’il n’avait pas achevé le premier cycle d’études coraniques – ou kologbè kalan (appellation en malinké) –, limité à la lecture et la mémorisation des sourates sur des planchettes. Et, à cet effet, il lui était difficile, voire impossible, de s’établir comme enseignant. Il n’avait pas pris de wird d’une confrérie durant son parcours de formation. À ce sujet, il se réclame de la Qadiriya par devoir de gratitude envers son cheikh. Mais sa pratique, comparable au modèle d’entrepreneurs religieux ouest-africains tels les cheikhs Haidara Madani et Soufi Bilal (Soares 2010 ; Holder 2012), est un bricolage de rites cultuels qu’on pourrait qualifier de « butinage religieux » (Soares 2009). Par exemple, il ne se montre pas moins intéressé par la Tidjaniyya depuis sa participation au grand Magal, au Sénégal en 2014. Cependant, ayant une généalogie à défendre et un charisme à construire, du fait de la place qu’occupe sa famille dans le village, il se lance sur une voie qui, à l’analyse de la description du cheminement des awlya (Brenner 1985 ; Boubrik 1996), n’est pas loin d’une candidature à la quête de la sainteté. Le départ de ce projet fut la mise en place d’une stratégie pour s’assurer une autonomie. Dans cette zone rurale où l’essentiel de l’activité économique tournait autour de l’agriculture, Ousmane Doumbia s’adonna aux travaux champêtres. Accompagné de ses jeunes frères – et, plus tard, de talibés –, il alternait les cultures de l’arachide, du riz et du maïs. La production de ces activités saisonnières entrait dans la subsistance de la famille. Tandis que, parallèlement, il initiait la culture de l’anacarde selon une technique particulière et productive :

  • 32 Entretien avec Ousmane Doumbia, le 3 octobre 2015 à Dabadougou.

Je cultivais l’arachide et l’anacarde sur le même terrain. Lorsque je vendais les arachides, j’achetais des bœufs. J’ai procédé ainsi jusqu’à atteindre à ce jour 70 hectares d’anacardes et deux pâturages de bœufs dont l’un contient 104 et l’autre 126 bœufs.

En procédant ainsi, Ousmane Doumbia parvint à disposer de moyens pour s’assurer une autonomie financière et s’occuper de sa famille. Le village étant peu important en nombre d’habitants, ses récoltes étaient distribuées à tous ceux qui en faisaient la demande. Vakaramoko Samassi, le fils de son Cheikh à Kélindjan, avec qui nous évoquions ce sujet à Kélindjan, nous informa que l’ardeur au travail d’Ousmane Doumbia avait fait de lui un « San‑mogo » (litt. « l’homme de l’année », en malinké), expression utilisée dans cette société pour désigner celui dont la production agricole annuelle est supérieure à ses besoins de consommation. Plus tard, le 8 octobre 2015, il reçut le prix du troisième grand producteur d’anacarde de la région des savanes, au cours d’une cérémonie organisée à Korhogo par le conseil Coton et Anacarde. Selon Nabala Soro, agent de cette structure, ce prix récompense les producteurs remplissant les critères d’entretien et de rendement important des plantations. En plus d’être bien entretenues, les plantations d’Ousmane Doumbia produisaient 600 kilos par hectare, alors que la moyenne nationale oscillait entre 350 et 400 kg/ha. Toutefois, sa renommée vint d’autres terrains, où il s’est également illustré lors de son installation à Dabadougou.

L’arrivée d’Ousmane Doumbia sur la terre de ses géniteurs coïncida avec l’éclatement du conflit militaro‑politique, en septembre 2002. Cette crise fut la première du genre dans l’histoire de ce pays, longtemps présenté comme un havre de pays dans une sous-région où les coups d’État étaient légion (Akindès 2004). Elle conduisit à la partition du pays : le Sud, sous contrôle des forces gouvernementales, et le Nord, aux mains des militaires mutins. Ces derniers, en sous-effectif, s’étaient fait accompagner dans cette mission par des civils, parmi lesquels des chasseurs traditionnels ou Dozo (Fofana 2011, Miran‑Guyon 2015). Cette implication de forces paramilitaires n’était pas une singularité de ce conflit : la crise sierra-léonaise, intervenue plus tôt, en avait déjà enregistré (Wlodarczyk 2007). Toutefois, avec la complicité d’acteurs religieux, ce conflit avait réussi à intégrer dans les usages des militaires des pratiques mystiques comme une arme de protection imaginaire. Ousmane Doumbia, qui avait une connaissance de ce domaine ésotérique, fut sollicité lui aussi.

  • 36 Entretien avec Ousmane Doumbia, le 3 octobre 2015 à Dabadougou

Pendant la rébellion, il nous a été dit d’aider les rebelles parce que c’était une guerre pour l’islam. De mes voyages dans la sous-région, j’avais reçu d’un vieux au Burkina le secret de l’usage de deux versets du Coran pour en faire un moyen de protection. Si tu te laves avec cette mixture, les balles du fusil ne t’atteignent pas. […] Pendant la rébellion, j’ai mis cette connaissance à la disposition des militaires et ce fut un succès. Lorsque je remplissais une barrique d’eau, tout le monde venait se laver. Cela les protégeait du fer. Ma maison était ainsi devenue comme un camp militaire.

Pendant cette période, dans les régions sous contrôle des Forces nouvelles – appellation du mouvement des insurgés –, le clivage entre le séculier et le temporel était réduit, au point que le succès de l’un sur le terrain des combats était considéré comme le résultat de l’appui de l’autre. Mais lorsque le conflit a commencé à s’inscrire dans la durée, suite à l’établissement d’une zone tampon, en 2003, pour faire place au dialogue entre les belligérants, la question sécuritaire dans cette partie du pays est devenue préoccupante. En effet, les jeunes recrutés comme des supplétifs des rebelles, lassés d’une longue crise et non‑salariés, se retournèrent contre les populations par des actes de criminalité – vols, viols, assassinats – pour assurer leur survie. Dans cette région où l’islam avait toujours fait autorité, la rébellion introduisit dans les usages courants des pratiques frisant le paganisme (Miran‑Guyon 2015). Cette situation interpella le clergé musulman. Ousmane Doumbia, dont le surnom Ladji Daba se confondait désormais à ce mysticisme en évolution, se retrouva parmi les personnes mises en cause. Sur l’invitation de son cheikh Matié Boiké Samassi, il affirme avoir alors renoncé à son soutien aux rebelles pour se mettre au service de l’islam dans le Nonhoulo.

Cette mission d’acteur religieux est celle qu’Ousmane Doumbia s’était assignée après son séjour d’études à Kélindjan. Si, au départ, des circonstances l’avaient détourné de cet objectif, en raison des préoccupations familiales et – du prétexte – de l’obligation morale de défendre les musulmans pendant le conflit, elles lui ont en définitive été favorables. Il s’est, en effet, assuré une autonomie financière avec les activités champêtres, et il s’est assuré une réputation de marabout avec son appui aux rebelles. Pour s’aménager une place au sein du clergé musulman, il lui restait une révision de ses pratiques – en d’autres termes, l’abandon des cultes attachés aux traditions – qu’il bâtit durant plus d’une décennie à travers des actes et des discours. Comme il bénéficiait déjà de l’image du marabout fabricant de talismans, il ouvrit une école coranique en engageant du personnel enseignant. Cette initiative attira vers Dabadougou de nombreux enfants en âge scolarisable des villages du canton Nonhoulo et au‑delà. Parallèlement, il poursuivit ses activités de consultance. Mais cette fois, suivant le modèle de son cheikh Matié Boiké Samassi : accorder des bénédictions aux personnes à la recherche de baraka, tout en les exhortant à se détourner de la délinquance, de la consommation d’alcool, de drogue, etc. Ces séances de consultance, publiques, suivaient un rituel qui se déroulait en deux temps : 1) Réception et demande de nouvelles aux visiteurs ; 2) Conseils et formulation des bénédictions.

Lorsqu’il les reçoit, un des assistants du cheikh Ladji Daba (surnom d’Ousmane Doumbia) leur apporte à boire (du thé, généralement). Puis, sur ordre du maître des lieux, il interroge le visiteur sur l’objet de sa venue. Les échanges se font librement en malinké comme en français – Cheikh Matié Boiké, lui, n’accepte que la langue vernaculaire et des visiteurs exclusivement musulmans. À la suite de cette intervention, le cheikh Ladji Daba prend la parole, tient les mains du visiteur, prodigue des conseils et formule des bénédictions qu’il conclut par la Fatiha (la sourate d’ouverture du Coran). En règle générale, ces séances se déroulent de la fin de la prière de l’aube à 8 heures (heure à laquelle il part au champ), et elles reprennent dans l’après‑midi. Elles sont gratuites. Mais comme, selon une tradition locale encore vivace dans les esprits, « la baraka s’achète » (baraka bé san, en malinké), le cheikh reçoit des gratifications. Avec le succès supposé de ces prières et le marketing autour de ce projet, le nombre des visiteurs s’est accru au fil du temps, au point qu’il a fallu bâtir des espaces dédiés à ces activités.

En 2004, l’année de son premier pèlerinage à la Mecque, Ousmane Doumbia construit un bili‑bo (« maison couverte », en malinké). Le bilibo est une construction sur le modèle des mosquées soudanaises. Ses murs sont faits de terre. Sa toiture, un mélange de paille et de terre argileuse placé sur des branches que soutiennent des poteaux de bois, est accessible à l’aide d’un escalier lui aussi en terre. On y accède par deux entrées. L’une, à l’ouest, est la principale ; l’autre, à l’est, débouche sur un couloir conduisant à une chambre du cheikh. À l’intérieur, un hamac dressé ; puis un matelas, des tapis et des nattes couvrent le sol. Sur des étagères, on aperçoit des livres et divers documents. C’est cet espace qui sert de cadre de réception des visiteurs. Le cheikh n’étant pas toujours disponible, et ces derniers nécessitant souvent des traitements particuliers, des maisons d’une pièce ont été construites pour leur séjour. Aussi poursuivra-t-il son œuvre en mettant à leur disposition une mosquée (identique, dans la forme, au bili‑bo), ouverte en 2006.

La même année, Ousmane Doumbia se lance dans un programme d’activités plus ambitieux : les célébrations du Mawlid. Ces manifestations de commémoration de la naissance du prophète Muhammad sont une pratique introduite dans l’islam dès le xe siècle. Elles sont connues en Côte d’Ivoire sous le nom de Domba (Marty 1922). En dépit des contestations dont il a fait l’objet parce que n’étant pas prescrit ni par le Coran, ni par les hadiths, le Mawlid continue de connaître un succès considérable auprès des populations (Chanfi 2006, Soares 2010, Holder et Olivier 2014). Ousmane Doumbia avait déjà une connaissance de cette pratique, qui fait actuellement la singularité de Kélindjan (Binaté 2015a). En effet, c’est en sa présence que le cheikh Matié Boiké entreprit les célébrations du Mawlid dans ce village, en 1996. Ce projet, qui s’inscrivait dans une tradition religieuse du pays, avait une particularité dans son mode d’organisation : il proposait des célébrations – reposant sur la lecture du Dalai’l al-Khayrat ] et le dhikr (litt. « invocation », en langue arabe) – étendues sur les douze premiers jours du mois de Rabbi’al‑awwal, contrairement aux usages courants d’une nuit de prière. Ces rencontres pieuses possédaient un caractère social fort puisqu’elles constituaient un cadre de retrouvailles entre des populations septentrionales en migration de travail dans les différentes régions du pays. Cette particularité, ajoutée à la présence du cheikh porteur de baraka – Matié Boiké –, fit venir un monde considérable à Kélindjan et dans la région d’Odienné. Après son établissement à Dabadougou, Ousmane Doumbia continua de prendre part à ces festivités, jusqu’à l’édition de 2005 :

  • 43 Entretien avec Ousmane Doumbia, le 3 octobre 2015 à Dabadougou.

[Au cours de laquelle] je m’y suis rendu avec un convoi de plusieurs véhicules. À la vue de ce monde impressionnant, Ladji [Cheikh Matié Boiké] a fait des bénédictions de son étage et m’a invité à le rejoindre. Il m’a dit : « Ladji Daba, tu m’as honoré. Une personne maudite ne peut pas être à la tête d’une aussi forte délégation. Au nom de Dieu, je suis convaincu que tes vœux [obtention de ma baraka] ont été exaucés. À partir de cette année, je t’autorise à organiser ton Mawlid à Dabadougou. Ne reviens plus avec tes talibés ici. En célébrant le Mawlid à Dabadougou, ce serait toujours un honneur pour Kélindjan et moi, parce que tu es parti de là .

Cette autorisation verbale est généralement précédée ou accompagnée d’un acte symbolique du cheikh : le don d’un exemplaire du Dalail al‑Khairat au promu, ce qui fait de ce dernier son représentant dans sa localité de résidence. Cette pratique, qui s’apparente à une transmission de wird dans les turuq (sing. tariqa) (Brenner 1985), a fait des émules dans le pays, où on compte de nombreuses sections de l’UTMBS (Union des Talibés de Matié Boiké Samassi). Elle a également donné à Kélindjan un rôle centralisateur des célébrations du Mawlid : la cérémonie du Nganian siri (« formuler les intentions », en malinké), pour l’ouverture des activités sur l’étendue du territoire national et les bénédictions finales, s’y tiennent.

Fig. : Célébrations du Mawlid, Dabadougou, 14 janvier 2014

Fig. : Célébrations du Mawlid, Dabadougou, 14 janvier 2014

 

Toutefois, compte tenu de la localisation de Kélindjan par rapport au reste du pays, les personnes ne pouvant pas faire le déplacement s’organisent autour des représentants du Cheikh, comme Ousmane Doumbia. La famille de ce dernier, en charge des affaires cultuelles à Dabadougou, organisait déjà ces festivités. Ainsi, en étendant l’initiative de son Cheikh à son village, il a procédé à une récupération de ce projet communautaire pour en faire un vecteur de réislamisation (Samson et Saint‑Lary 2011) dans le Nonhoulo également affecté par les effets de la décennie de conflit. En effet, le mode d’organisation du Mawlid y est similaire à celui de Kélindjan. Il se résume à la lecture du Dalai’l Al-Khayratdhikr pendant les dix premiers jours de Rabbi’al-awwal, et à des prêches entremêlés de bénédictions le onzième jour. À cette occasion, Ousmane Doumbia exhorte les participants au travail, au respect des parents et des principes de l’islam, en se détournant des pratiques fétichistes. Après des années d’accointance avec les insurgés, ces discours, soutenus par des imams mandatés par le COSIM (Conseil Supérieur des Imams), sonnaient comme une invitation à la prise de conscience collective sur la dérive sociale apportée par la guerre. Ce qui ne laissa pas les jeunes (ex-soldats, paysans, etc.) du village et des alentours sans réaction. Certains d’entre eux assistent désormais le cheikh Daba dans l’organisation du Mawlid.

La première édition de ces célébrations eut lieu en 2006. Elle ne réunit que des talibés du réseau d’amis d’Ousmane Doumbia et les familles du village. Cette expérience réussie, ajoutée à une stratégie de mobilisation basée sur l’identité musulmane à défendre chez ce sous-groupe sénoufo, a fait converger un monde considérable vers cette région lors des éditions qui suivirent. Ainsi, de San Pédro, Abidjan (au sud), à Duékoué, Man (à l’ouest) en passant par Bouaké (au centre) et Korhogo (nord), des cellules de mobilisation d’originaires du Nonhoulo et d’amis du cheikh furent mises en place pour l’organisation des convois des « pèlerins » vers Dabadougou. Le canton Nonhoulo, premier bénéficiaire de ce projet, n’est pas resté en marge de cette dynamique communautaire. Il a engagé les imams, les responsables de jeunesse et les femmes de ses cinquante-cinq villages pour la réussite de ces activités.

 

Ces festivités, sur deux semaines, dans cette bourgade et à Kélindjan, ont fini par dépasser le simple cadre de rencontres pieuses. Dans ces localités où le développement socio-économique a été mis à mal par une décennie de conflit, elles se classent désormais au registre du « patrimoine culturel ». Avec l’effervescence qu’elles créent, ces commémorations de la naissance du prophète Muhammad n’ont pas mis longtemps pour attirer l’attention des entrepreneurs politiques en quête de visibilité sociale. Ceux-ci en profitent pour mener des actions de développement, notamment la réfection de la voirie, la connexion de villages au réseau électrique, l’installation et la construction de pompes hydrauliques, etc. L’intervention de ces autorités – conduites par le ministre des Transports Gaoussou Touré –, avec la médiatisation et le soutien financier apportés, a donné une plus grande visibilité à ces rencontres annuelles, baptisées « Méga Mawlid ». Cette incursion du politique dans le champ religieux a étendu l’aire de ces festivités sur trois sites : Kélindjan, Dabadougou et Odienné, la capitale de la région désignée comme le lieu de clôture des activités. Si cette extension visait un repositionnement politique d’Odienné au cœur des affaires de la région, elle ne semble pas moins une opportunité pour propulser davantage Ousmane Doumbia au-devant de la scène religieuse, dans la mesure où son cheikh Matié Boiké, épuisé par l’âge, a, en décembre 2015, demandé son retrait des activités publiques au profit de son fils Vakaramoko Samassi. Quelques mois avant cette annonce, l’Association des amis de cheikh Daba voyait le jour à Abidjan.

Le canton Nonhoulo, une composante du groupe sénoufo basé au nord de la Côte d’Ivoire, connait une effervescence de l’islam depuis plus d’une décennie. Cette dynamique s’inscrit dans le prolongement des mutations opérées au sein de cette religion dans le pays – par extension, en Afrique de l’Ouest – avec l’émergence de leaders charismatiques sur la scène publique. Alors qu’elle n’était pas, jusque-là, connue pour être une terre de longue tradition de l’islam soufi comme le Mali et le Sénégal, la Côte d’Ivoire a vu apparaître de nouvelles figures religieuses (arabisées ou non), dont Ousmane Doumbia, un natif de Dabadougou qui, à la fin de ses études à Kélindjan, a décidé de s’y établir pour promouvoir les valeurs islamiques. Pourtant, son retour dans ce village, à la fin de l’année 2002, ne le prédestinait pas à cette fonction d’acteur religieux, tant ses activités agricoles et son rôle de protecteur mystique des militaires insurgés réunis au sein des Forces nouvelles étaient importants.

Toutefois, au vu de la responsabilité de la dérive des militaires – paganisme, vol, viol, etc. – qui lui était indirectement imputée, il finit par adopter une nouvelle posture de guide religieux, sans pour autant perdre l’aura et la réputation qu’il s’était construites. Ainsi, méthodiquement, en s’appuyant sur les expériences reçues des cheikhs visités, il se bâtit un espace pour l’exercice de sa nouvelle mission. Tour à tour, il ouvrit une école coranique, construisit un bili-bo, une mosquée et des logements pour accueillir les personnes en quête de connaissance et de sa baraka. Ces visiteurs et talibés, qu’on retrouve dans toutes les catégories sociales, peuvent être estimés à plus d’une dizaine par jour. Ils deviennent très importants pendant les célébrations du Mawlid confiées à l’UTMBS.

Cette structure est un cadre de rencontre des jeunes se réclamant de l’école spirituelle de Matié Boiké Samassi. Bien qu’occupant une place importante sur la scène religieuse au nord, Ousmane Doumbia y est vice-président, au même titre que les responsables des différentes sections des villes du pays. Il s’agit, en réalité, d’un poste honorifique sans réel pouvoir de décision face aux organes exécutifsen charge de la gestion des activités courantes de l’association. Ce n’est donc pas sans intérêt qu’il a accueilli la nouvelle de la création d’une organisation portant son nom. En tenant compte de la présence de l’UTMBS et de ses liens avec Ousmane Doumbia, cette structure a été baptisée l’Association des amis de cheikh Daba. Une manière subtile de marquer une certaine indépendance de l’organisation vis-à-vis d’Ousmane Doumbia, lequel dispose d’un droit de regard sur toutes les actions à mener. Auparavant connu dans le milieu islamique pour sa culture du travail et sa politique tendant vers une patrimonialisation des célébrations du Mawlid dans le canton Nonhoulo, ce self‑made‑man de la trempe des cheikhs Madani Haidara et Soufi Bilal (Mali) pourrait trouver, à travers cette organisation, une opportunité pour essaimer au sein de l’espace territorial national, surtout dans le contexte de retraite annoncée de son cheikh Matié Boiké Samassi.

FIN