La Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala avait obtenu un large soutien pour devenir la première femme et première représentante du continent africain au poste de directrice de l’Organisation mondiale du commerce. Mais les États-Unis ont bloqué, mercredi, cette petite révolution pour la prestigieuse institution.
Elle était bien partie pour devenir la première femme africaine à diriger l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais il a fallu que les États-Unis s’en mêlent. Washington s’est opposé, mercredi 28 octobre, à la nomination de Ngozi Okonjo-Iweala, l’ancienne ministre des Finances du Nigeria, à la tête de la prestigieuse institution chargée de s’assurer du bon fonctionnement du commerce international.
Cette femme de 66 ans avait beau avoir le soutien des 26 autres délégations pour succéder au diplomate brésilien Roberto Azevêdo, c’était insuffisant car il faut l’unanimité des membres pour désigner le directeur de l’OMC. Pourtant, Ngozi Okonjo-Iwealo semble cocher toutes les bonnes cases.
CV impressionnant
Elle a d’abord l’avantage d’être africaine. Depuis sa création il y a vingt-cinq ans, l’OMC a été dirigée par trois Européens, un Thaïlandais, un Néo-Zélandais et un Brésilien. Tous étaient, par ailleurs, des hommes. Le fait d’opter pour une représentante du continent africain permettrait d’envoyer un signal fort. Surtout que l’organisation “n’a pas facilité l’entrée de l’Afrique dans le commerce mondial”, rappelait, fin septembre, l’économiste bissau-guinéen Carlos Lopes au Monde. Il soulignait, notamment, l’importance accordée par cette institution aux activités protégées par des droits de propriété intellectuelle, ce qui donne l’avantage aux pays occidentaux au détriment des États “qui détiennent des matières premières, même stratégiques comme en Afrique”.
Ngozi Okonjo-Iweala dispose aussi d’un CV impressionnant. Elle a étudié dans les plus prestigieuses universités américaines, à Harvard puis au Massachusetts Institute of Technology (MIT), puis a travaillé plus de 20 ans à la Banque mondiale. Elle y était en charge des prêts pour les pays pauvres, mission centrale de l’organisation.
Elle a aussi fait ses preuves en finances. En tant que ministre au Nigeria, cette économiste a réussi, entre 2003 et 2006, à négocier l’effacement de près des trois quarts d’une ardoise de 30 milliards de dollars, laissant à son pays l’un des ratios dette/PIB le plus faible du continent africain.
Elle dispose d’un autre atout dans sa manche : elle est la présidente du conseil d’administration du Gavi, l’alliance internationale pour le développement des vaccins. Un titre qui, en cette période de pandémie de Covid-19, confère à sa candidature une aura qui dépasse le simple cadre du commerce international.
Seule ombre à son tableau : la lutte contre la corruption au Nigeria. En tant que « ministre, elle a peut-être adopté quelques réformes sur la transparence, mais près d’un milliard de dollars disparaissaient chaque mois des caisses de l’État quand elle dirigeait les finances », affirmait au Monde Sarah Chayes, auteure de “Thieves of State”, un livre sur la corruption internationale. Pour cette spécialiste, “c’est une honte qu’elle puisse même être retenue pour ce rôle [de directrice de l’OMC, NDLR]”.
L’étrange opposition de Washington
Mais ce n’est pas sur ce tableau que les États-Unis ont attaqué la candidature de Ngozi Okonjo-Iweala. Officiellement, Washington a pointé du doigt le manque d’expérience de la Nigériane en matière de commerce international. L’administration Trump préfère la ministre sud-coréenne du Commerce Yoo Myung-hee, l’autre finaliste de la sélection pour devenir directrice de l’OMC.
L’Organisation mondiale du commerce “a grand besoin de réformes en profondeur qui doivent être menées par quelqu’un qui a une vraie expérience en la matière”, ont expliqué les Américains.
Mais ce veto de dernière minute étonne. Cela fait, en effet, plusieurs mois que la Nigériane fait figure de favorite dans cette course.
D’autres raisons ont été avancées pour expliquer l’opposition américaine. Pour les uns, Washington pousserait la candidature de Yoo Myung-hee à cause du conflit commercial qui l’oppose à Pékin, note le Financial Times. La Corée du Sud, grande alliée des États-Unis en Asie et qui a ses propres différends avec son voisin chinois, serait plus disposée à soutenir la cause américaine.
Mais certains estiment qu’il s’agit juste d’une énième tentative de Donald Trump pour déstabiliser une organisation qu’il a maintes fois critiquée, souligne le Wall Street Journal. En décembre 2019, Washington avait ainsi bloqué la nomination de plusieurs juges à la chambre de règlement des litiges. C’est ainsi que, depuis près d’un an, cet organe essentiel pour trancher les différends entre les États membres n’a pas le quorum suffisant pour siéger…
Nommer un nouveau directeur est, cependant, autrement plus urgent. Et l’organisation a déjà prévu de se réunir à nouveau pour surmonter l’obstacle américain le 9 novembre. Soit après l’élection présidentielle aux États-Unis. Encore une organisation qui doit espérer que Donald Trump ne soit pas réélu.