Touré Youssouf : L’UMIF permettra à la diaspora musulmane ivoirienne de France d’avoir d’un moyen pour construire des projets communs

La communauté musulmane ivoirienne vivant sur l’ensemble du territoire français forme désormais l’Union des Musulmans en France (UMIF). Les activités de l’organisation seront officiellement lancées ce samedi 19 août 2024. Le point marquant de cet événement sera une levée de fonds pour le financement d’un centre islamique et culturel ivoirien en France. Mais qu’est-ce que l’UMIF ? D’où est partie l’idée de sa création ? Quelles sont ses missions et son champ d’action ? Les réponses dans cet entretien réalisé avec Monsieur Touré Youssouf, président de l’UMIF.

Islaminfo : Salam Aleikoum Monsieur TOURÉ. Voudriez-vous vous présenter à nos lecteurs et visiteurs ?

Je suis Monsieur Touré Youssouf, pharmacien, ancien président et ancien secrétaire général de la section ADALE AL SIQWAL du Lycée Classique de Daloa, puis président du sous-comité d’Aloha au niveau de l’AEMCI. À l’université, j’ai été élu délégué social avant de devenir président de l’AEMCI du campus universitaire de Cocody de 1993 à 1995. En 2000, à mon arrivée en France, nous avons fondé, avec d’anciens membres de l’AEEMCI de l’INSEAT, la structure appelée Carme France Afrique, reprise en 2006 par les anciens de l’AEEMCI, pour poursuivre l’œuvre entamée au sein de la diaspora. J’ai été chargé de la mobilisation et, depuis deux ans, je suis président du conseil de surveillance. L’UMIF a été créée en juin 2023 et depuis six mois, j’en assume la présidence. Voilà en résumé mon parcours militant au service de l’islam.

Comment se porte l’islam en France, notamment au sein de la communauté ivoirienne ?

La situation de l’islam en France est paradoxale. D’un côté, nous rencontrons de nombreuses difficultés institutionnelles et organisationnelles, ainsi qu’une stigmatisation liée aux dérives, voire au terrorisme, imputées à certains musulmans, particulièrement à la suite des attentats passés. Cependant, au-delà de ces difficultés, il y a une réelle prise en compte de la spécificité de l’islam en France. Les mosquées se multiplient, elles sont de plus en plus visibles, modernes et grandes, avec des communautés mieux organisées. Les enfants nés ici connaissent la réalité française et dialoguent d’égal à égal avec les autorités administratives et judiciaires. En ce sens, l’islam se développe et s’affirme. Cependant, il subsiste des divisions, car l’islam en France reste souvent lié aux pays d’origine (Algérie, Turquie, Tunisie), ce qui empêche la construction d’un véritable islam de France.

Quant aux Ivoiriens, leur situation est encore plus complexe. Beaucoup sont venus pour l’aventure, et les jeunes imams issus des medersas, qui n’ont pas toujours suivi une éducation formelle, rencontrent des difficultés pour s’exprimer en français. Il est donc essentiel de fédérer cette communauté au sein d’une structure capable de parler d’une seule voix et de réaliser des projets communs, d’où la création de l’UMIF.

⁠Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans l’exercice de votre foi en France ?

Le principal problème est l’absence de lieux de culte spécifiques aux musulmans ivoiriens. Nous prions dans des mosquées appartenant à d’autres communautés, souvent maghrébines ou turques. De plus, nous manquons d’imams au niveau de ceux que nous avons en Côte d’Ivoire. Il nous faut également une structure représentative du COSIM (Conseil Supérieur des Imams) au sein de la communauté musulmane française. L’UMIF a pour ambition de résoudre ces problèmes.

Quelles sont les problématiques auxquelles font face les parents musulmans en France dans l’éducation de leurs enfants ?

L’éducation de nos enfants est un véritable défi. Contrairement à la Côte d’Ivoire, ils grandissent dans un environnement que nous ne maîtrisons pas entièrement. Ils sont éduqués par l’école, où des sujets comme la sexualité, l’homosexualité ou les questions de genre font partie du programme. Nous, parents, ne sommes avec eux que le soir, et nous ignorons parfois ce qu’ils ont appris à l’école. Pour compenser, certains inscrivent leurs enfants dans des écoles confessionnelles ou à des cours islamiques. Il est important d’avoir des discussions avec eux pour préserver nos valeurs. Le racisme, la drogue et les problèmes d’intégration sont aussi des réalités difficiles à affronter pour nos enfants dans les cités.

 ⁠Vous êtes le tout premier président de l’UMIF. Pourquoi l’avoir créé et pourquoi maintenant ?

L’UMIF a été fondée suite à la volonté du Cheick Aima Boikary Fofana, qui, lors d’une visite en France, a pris conscience des réalités rencontrées par les communautés musulmanes. Il avait également été invité par d’autres associations d’origine maghrébine, préoccupées par les difficultés que j’ai évoquées précédemment. L’acceptation de l’Islam par l’Occident et les défis liés à l’immigration ont conduit à l’engagement du Cheick Aima Fofana, que Dieu ait son âme en paix. Par la suite, le Cheick Jacques-Té Ousmane a pris le relais, avec l’espoir que tous les problèmes discutés trouvent des solutions.

Pour répondre à ces enjeux, il est essentiel d’encadrer les musulmans ivoiriens en France. Nous souhaitons créer une structure fédérative, à l’image du COSIM, qui permettra aux musulmans de disposer d’un lieu de culte, ce qui est actuellement difficile. Ensemble, nous espérons que chacun mettra la main à la pâte et travaillera de concert pour réaliser ce projet essentiel.

Quels sont les projets de l’UMIF à court, moyen et long terme ?

L’UMIF a pour objectif principal d’agir en tant que faîtière pour les associations religieuses et les associations de la diaspora ivoirienne en France. Cela permettra de rassembler les ressources de chacun afin d’acquérir un lieu de rencontre, de gérer la formation de nos imams, de résoudre les problèmes d’intégration auxquels nous faisons face, de traiter les enjeux sociaux et de répondre aux défis de l’immigration. Nous souhaitons établir un lieu de culte où nous pourrions prier ensemble, comme dans notre pays d’origine.

Tous les objectifs de l’UMIF sont axés sur le bien-être de la communauté musulmane, visant à garantir un épanouissement en Europe tout en préservant nos valeurs au sein des nouvelles générations. Il est essentiel de permettre à nos jeunes d’être mieux intégrés et de se sentir à l’aise dans leur environnement, pour affronter les défis qui se présentent à eux.

Ainsi, l’UMIF a pour but de favoriser les échanges entre les membres de la communauté, de résoudre les problèmes de formation, d’intégration et les enjeux sociaux. Elle souhaite également offrir un soutien à ceux qui envisagent de retourner au pays, afin qu’ils le fassent dans les meilleures conditions possibles.

L’UMIF vise à se positionner au-dessus des associations sans entraver leur existence. Au contraire, en tant que faîtière, elle cherche à encourager la création d’associations dans divers domaines pour traiter l’ensemble des problématiques mentionnées. Voilà l’objectif de l’UMIF, et nous espérons que chacun contribuera à faire de cette vision une réalité, en aidant à résoudre les défis rencontrés par les populations ivoiriennes vivant en France.

Quels sont les invités à la cérémonie de lancement ?

Pour répondre aux questions concernant l’organisation de la manifestation du 19 octobre prochain, nous nous retrouverons tout d’abord au nouvel hôtel de Bagnouli, situé à la porte de Bagnoulet. Cet hôtel dispose d’une salle de plus de 600 places, ce qui nous permettra de rassembler les musulmans ivoiriens vivant en France, ainsi que ceux de passage et des représentants des pays voisins, notamment d’Allemagne, de Belgique et de Londres.

Nos autorités seront également présentes. Nous avons invité pour l’occasion le Cheikh Aima Ousmane Diakité, qui participera à l’événement du début à la fin. Le calife Sonta Mustapha, le Cheick Konaté Aboubacar, l’imam Djiguiba Cissé Abdallah et l’imam Tidiane Diabaté seront également de la partie.

⁠Quel est programme de la cérémonie ?

Nous commencerons par des interventions institutionnelles, notamment celle du président du sous-comité d’organisation, du chef du MIF et de Son Excellence Maurice Dandama, ambassadeur de la Côte d’Ivoire en France.

Ensuite, des tables rondes aborderont des thématiques importantes, telles que le rôle de la poésie, l’importance de la mosquée et la cohésion au sein de la communauté musulmane en France. Nous espérons également que le Cheikh Aima lancera un appel à toutes les communautés et à la diaspora, afin de permettre aux musulmans du monde entier, et en particulier aux Ivoiriens vivant hors de Côte d’Ivoire, de disposer de leur propre faîtière. Cette structure leur permettra de résoudre les problèmes liés à leur pays d’origine.

Cet appel viendra clore notre cérémonie, qui se déroulera dans la salle Bercy du nouvel hôtel de Bagnolet, à côté de Paris, de 13h à 17h, samedi prochain, Inch’Allah.

Quels sont vos rapports avec les autorités françaises et ivoiriennes ?

En ce qui concerne nos relations avec les autorités, il est important de noter que le chef d’agglomération a débuté des démarches auprès du ministre chargé de la Diaspora et du ministre des Affaires étrangères, afin de solliciter leur soutien institutionnel et la reconnaissance de notre structure. Nous recherchons également leur aide pour la construction de l’édifice que nous souhaitons bâtir. De plus, il a rencontré l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire pour lui présenter notre projet et obtenir l’assentiment des autorités françaises.

Des actions ont également été menées localement, auprès de personnalités politiques susceptibles de nous apporter leur soutien.

Nous entretenons de très bonnes relations avec les autorités, tant françaises qu’africaines. Nous espérons également obtenir le soutien de l’État de Côte d’Ivoire, notamment à travers son ambassadeur, Maurice Dandama, qui est très proche de notre communauté et s’investira pleinement dans ce projet.

Ainsi, nous bénéficions d’un appui institutionnel solide, tant des autorités françaises que des autorités ivoiriennes. Nous espérons que ce soutien se concrétisera également au niveau du gouvernement, du Premier ministre et du président de la République.

Tout se déroule bien de ce côté-là, sans aucun souci. Tous les acteurs sont mobilisés et souhaitent collaborer avec nous pour organiser la communauté ivoirienne en France.

Comment seront financés vos projets ?

Pour financer notre grand projet, estimé à 3 millions d’euros, soit environ 2 milliards de francs CFA, nous comptons d’abord sur les cotisations des membres de l’association fédérée par l’UMIF. Nous avons également lancé un appel aux dons auprès des différentes autorités, tant en France qu’en Côte d’Ivoire, qu’elles soient gouvernementales ou politiques. Nous avons adressé des messages à tous et espérons recevoir le soutien de chacun pour réaliser ce projet ambitieux.

Il est vrai que l’on considère souvent que la diaspora dispose de ressources plus importantes que celles des personnes vivant dans notre pays d’origine. Cependant, beaucoup d’entre nous vivent dans des conditions difficiles. Il est donc essentiel que nos communautés et nos pays d’origine nous apportent leur soutien, comme cela se fait pour d’autres communautés.

Par exemple, la communauté ibérique compte près de 700 000 personnes, tandis que d’autres communautés, comme les Algériens et les Tunisiens, se chiffrent en millions. Ces pays, bien que souvent plus avancés économiquement que la Côte d’Ivoire, n’hésitent pas à apporter leur aide.

Nous avons mis en place des lieux de collecte, avec un compte en Côte d’Ivoire nommé « Hmif-COSIM » où il est possible de faire des dons. Nous avons également créé un compte en France pour faciliter les contributions. Les dons peuvent être effectués en nature ou en espèces.

Nous attendons votre aide. Tout ce que vous faites pour Dieu sera récompensé, tant ici sur terre que dans l’au-delà. Nous espérons que chacun se mobilisera pour soutenir notre communauté et l’UMIF dans la réalisation de ce projet majeur : la construction d’un centre islamique et culturel pour tous les musulmans, mais également pour toute la diaspora ivoirienne vivant en France.

IslamInfo