Il y a quatre ans, un mois après les attentats perpétrés contre les journalistes de Charlie Hebdo et les clients de l’hyper-cacher, nous avions pris l’initiative d’écrire cet appel citoyen. L’objectif était alors de contribuer, à notre modeste niveau, à l’apaisement face au traumatisme causé par ces actes. Mais il s’agissait aussi d’offrir une perspective d’avenir, fondée sur une analyse politique de la situation et une certaine vision universaliste et humaniste qui se proposait d’être un remède pour ces maux de notre société et du monde, dont ces actes ignobles étaient/sont le symptôme.
Les choses, depuis, ne se sont malheureusement pas arrangées. Et l’utilisation idéologique de cet événement tragique par des fondamentalistes laïques et d’extrême droite, pour taire toute possibilité de réforme globale et laisser libre court à l’expression de la haine contre les musulmans, sous prétexte de liberté d’expression, n’a en rien permis d’aller dans le sens de cette fraternité universelle et solidaire prônée dans ces lignes. Tandis que, concomitamment, leurs alliés objectifs de Daesh & co poursuivent inlassablement leur commune entreprise de sape de l’Islam et de la modernité, dans la chorale mondialisée du « choc des civilisations » que scénarisent avec zèle les intérêts financiers et géopolitiques avec la complicité de nos haineuses cécités.
Nous avons quant à nous décidé de republier cet appel, dont le contenu reste à notre sens d’actualité, pour continuer ce long combat d’éveilleur de conscience. Un long combat, certes. Mais la nuit, aussi longue soit-elle, doit laisser place un jour à l’aurore qui vient.
Avons le cœur en peine. Face à l’inhumain, les mots se défilent et se faufilent dans le silence, devant la tâche immense de donner corps à la tristesse qui nous habite. Si le meurtre d’une âme selon le Coran équivaut à celui de l’humanité entière, qu’en est-il lorsque les victimes du terrorisme se comptent par dizaine de milliers dans le monde et qu’il touche directement 17 de nos concitoyens? Nous avons mal à l’humain, mal à notre France.
Ces actes contraires aux préceptes du Coran et à la foi islamique, de la part de groupes sectaires qui se drapent frauduleusement du manteau de l’Islam, doivent être fermement condamnés et combattus. Leur combat n’est pas celui de l’Islam. Ils n’ont aucune légitimité et représentativité pour se prévaloir de notre foi, des enseignements du Noble Coran et agir prétendument en notre nom. Car l’Islam ne se conçoit pas et ne se défend pas en dehors de la culture et de la pratique de la paix et de la tolérance.
Cette haine aveugle a pris il y a un mois, le visage d’un groupe de jeunes égarés, en déperdition et en perte de repères qui se réclament d’un enseignement dévoyé et fondamentalement anti-islamique. Il s’agit d’enseignements sectaires et dangereux qui contreviennent outrageusement à l’enseignement du Coran, à l’exemple du Prophète, au bon sens et à la tolérance, tels que l’écrasante majorité des musulmans, dans leur diversité, les comprennent et les vivent quotidiennement. Le combat contre cet obscurantisme incombe aujourd’hui à tous les hommes et femmes de conscience, et en premier lieu, à nous musulmans. Cela nous incombe au nom même de la révélation coranique qui proclame le principe intemporel de la liberté de conscience face à la tyrannie et l’oppression: «Il ne peut y avoir de contrainte en matière de religion» (Coran sourate 2/ Signe 256); «Si Dieu l’avait voulu tous les hommes seraient croyants. Est-ce donc à toi de les contraindre jusqu’à ce qu’ils le soient?!» (Coran, sourate 10/ Signe 99).
Personne ne doit en effet être inquiété ou tué pour l’expression de ses idées, sa religion ou son origine, quelles qu’elles soient. Les collaborateurs de «Charlie Hebdo», les policiers, les agents municipaux et les otages de l’hyper-cacher, sont les victimes malheureuses qui viennent s’ajouter à la longue liste d’enfants, de femmes et d’hommes, de New-York au Nigeria, de Paris à Islamabad, d’un terrorisme qui ne fait aucune distinction de couleur, d’origine ou de religion entre ses victimes. Contre l’intolérance et la violence, nous nous tenons avec nos sœurs et frères en humanité pour dire oui à la fraternité universelle et à l’égalité réelle, qui manquent tant à notre monde ainsi qu’à nos sociétés. La diversité de notre nation: c’est ce que ces terribles attentats ont mis en évidence à travers les victimes et les héros qui s’y opposèrent. L’origine ne dit rien sur les actes. Nous sommes ce que nous faisons.
Ainsi, nous, musulmans de France, au nom de l’Islam et de notre commune humanité, sommes dans l’obligation d’être l’avant-garde de cette lutte pour la dignité humaine, contre toutes les idéologies de la haine, religieuse ou populiste, qu’elles soient en cravate ou enturbannées. Les extrémistes de tout bord sont les alliés objectifs d’une même logique: «ceux qui ne sont pas avec nous, sont contre nous». C’est cette pensée binaire et dogmatique qui est l’origine du mal. Il nous faut prendre, devant les désirs d’empire, le parti de l’humanité qui respire. Il en va de l’avenir de tous. Or l‘absence de vision politique, dans notre pays, fait le lit de sa division et de son délitement. La désignation d’un ennemi intérieur qui serait le musulman, le juif et l’immigré ne sont pas de nature à sortir notre nation de la crise par le haut. Le moment exige non l’uniformisation identitaire mais le génie de la contribution diverse et mutuelle. Le projet doit remplacer le rejet. Quiconque connaît l’histoire entrevoit les futures déportations et nettoyages ethniques, dont les signes avant-coureurs ont tout d’un coup, mine de rien, fait irruption dans le débat public. C’est nous mener à nouveau vers «l’étrange défaite». Sauf qu’elle sera cette fois définitive. Les intellectuels, les religieux, les dirigeants financiers et leurs gestionnaires politiques ainsi que les médias, se doivent de se mettre à la hauteur des enjeux.
Aussi, pour donner à notre Nation française le sursaut qui sied à la nature des défis, nous, citoyens et musulmans français, devant l’humanité:
- Témoignons que la France est la patrie de tous ses habitants et qu’elle est de fait multiculturelle et multiconfessionnelle. Que cela est une richesse pour notre Nation, qui ne peut que féconder son unité ainsi que son rayonnement, si nous savons donner à cette diversité le terreau de ses maillages dans les valeurs universelles qui la fondent.
- Que Dieu n’est ni musulman, ni chrétien, ni juif. Il n’est pas noir ou blanc. Il est la Transcendance absolue et la tendresse sans borne qui fonde notre infini et humanité. Le sens qui dit notre unité et diversité. Le déni de l’autre et l’injustice ne peuvent donc se faire en son nom.
- Que toutes les traditions religieuses et philosophiques ne sont que les voies multiples de l’expérience humaine. Elles traduisent la quête naturelle de Dieu et/ou du sens. L’atteinte de la vérité ultime n’est pas de/dans ce monde. Seule sa recherche dans la fidélité et le dépassement, incombe à notre humanité.
- En conséquence, nous témoignons que le cœur de toutes les spiritualités bat dans le même sens: celui de l’humanité de l’homme et de sa dignité. Nous appelons à la cohérence de nos actes avec nos principes. Que chacun soit le meilleur de ce qu’enseigne sa voie, pour le bien-être de tous.
- Que les êtres humains sont frères. Qu’ils forment une seule race et famille. Que nos différences fondent nos échanges et évolutions mutuels. Nous dénonçons le racisme et l’intolérance qui sont un cancer pour l’humanité. Nous témoignons et déclarons qu‘il ne peut y avoir de prospérité, ni de paix sans partage. Sans solidarité, la devise «liberté, égalité, fraternité» reste un slogan inopérant.
- Nous témoignons, conformément aux enseignements du Coran, à l’aune des finalités éthiques qui irradient tous les champs de l’action humaine et les relie sans les confondre, que la distinction des autorités et la séparation des pouvoirs, notamment religieux, politiques et financiers, est le cadre qui sied à toute bonne gestion d’une société de citoyens égaux et libres, où chacun participe à la gestion de la cité et sa défense. Aussi:
-La référence libre à une croyance religieuse ou philosophique particulière, pour la conduite de sa vie, tant en public qu’en privé, doit rester à l’abri de toute forme de pression ou de répression.
-La référence collective dans les orientations de la cité et les décisions politiques, quant à elle, ne peut être que l’émanation du choix libre des peuples et citoyens.
- Nous déclarons, de ce fait, que la laïcité de l’État français, dans le sens de sa neutralité religieuse, telle que définie par la loi de 1905,est la garante des libertés individuelles et publiques et de la participation égalitaire de tous aux affaires de la Nation. Nous demandons l’application de la loi en sa lettre et esprit, en conformité avec la déclaration universelle des droits de l’Homme, sans discrimination aucune, notamment d’ordre religieuse ou ethnique.
- Enfin, nous déclarons la paix à toutes les femmes et à tous les hommes, et croyons en la dignité intrinsèque de l’être humain. Face à l’horreur du terrorisme et du racisme, nous répondons par la conscience et l’audace. Oui, l’audace de la foi en des jours meilleurs, par l’effort et la résistance au quotidien pour plus d’intelligence et de partage. C’est le rêve que nous semons. À chacun d’entre nous, maintenant, d’en être le héros. Pour nous l’histoire parlera.