À trois mois de la fin du mandat de Paul Kagame à la tête de l’Union africaine, le bilan des réformes proposées est en demi-teinte. Après le sommet extraordinaire de l’institution, qui s’est clôturé dimanche 18 novembre à Addis-Abeba, Jeune Afrique fait le point.
En janvier 2017, Paul Kagame présentait à ses pairs un ambitieux rapport pour une réforme de l’Union africaine (UA). L’idée : rendre la Commission plus forte, plus efficace et plus indépendante, afin que l’UA devienne plus qu’un simple forum des chefs d’État du continent, dont les résolutions sont rarement appliquées faute de moyens et de volonté.
Mais les propositions du président rwandais, qui a pris la présidence de l’UA en janvier de l’année suivante, se sont heurtées aux réticences de certains États soucieux de préserver leurs prérogatives, exprimées notamment ce week-end lors du sommet extraordinaire de l’institution panafricaine à Addis-Abeba.
À quelques mois de la fin de sa présidence, Kagame devra donc poursuivre le travail s’il veut pouvoir mettre en œuvre son plan. Résumé de l’avancée de six mesures emblématiques.
· Réforme de la commission : compromis trouvé
Les chefs d’État ont acté le principe de ramener de huit à six le nombre de commissaires. Selon les calculs de la Commission, cela devrait permettre chaque année près de 500 000 dollars d’économies.
Leur mode de sélection a aussi été revu : les candidats devront être présélectionnés par un panel d’éminentes personnalités africaines associées à un cabinet de recrutement, sur la base de leurs compétences, du respect de la parité femmes/hommes et de la rotation entre les régions.
LES ÉTATS MEMBRES CONTINUERONT À ÉLIRE LES COMMISSAIRES, CONTRAIREMENT À LA PROPOSITION INITIALE DE PAUL KAGAME
Néanmoins, les États membres continueront à les élire, contrairement à la proposition initiale de Paul Kagame. Pour renforcer les pouvoirs du président de la Commission, le Rwandais avait en effet proposé de permettre à ce dernier de nommer directement ses commissaires.
Quant au président de ladite Commission, Moussa FakiMahamat, il est chargé de continuer de réfléchir à une nouvelle organisation des départements de l’UA. La structure ne devrait véritablement être opérationnelle qu’en 2021, date de l’expiration des mandats des actuels commissaires.
· Sanctions des mauvais payeurs : accord
« Nous sommes en novembre. L’exercice budgétaire touche à sa fin, mais nous n’avons perçu que 50% des contributions », a dénoncé Moussa FakiMahamat lors de la conférence de presse de clôture du sommet. Le président de la Commission s’est plaint de ne pas disposer d’un budget « soutenable et prévisible », à cause des membres qui ne paient pas leur cotisations à temps.
Pour remédier à cette situation, l’UA a adopté un nouveau barème de sanctions, qui pourra aller jusqu’à la suspension de la participation d’un État aux travaux de l’institution. Reste à savoir jusqu’où la Commission sera véritablement prête à aller lorsque ce cas se présentera.
· Nouveaux barèmes des donateurs : décision reportée
Pour éviter que le budget de l’UA ne soit trop dépendant d’un petit nombre de donateurs, une réforme du barème des contributions a été proposée.
LES CONTRIBUTIONS DES CINQ PRINCIPAUX DONATEURS DEVRAIENT ÊTRE LIMITÉES À 40% DU BUDGET, TANDIS QU’AUCUN NE DEVRAIT CONTRIBUER POUR MOINS DE 200 000 DOLLARS
Selon l’une des modalités discutées, les contributions des cinq principaux donateurs devraient être limitées à 40% du budget, tandis qu’aucun n’État ne devrait contribuer pour moins de 200 000 dollars annuels. Face à cette épineuse question, « le sujet a été remis au prochain sommet, en février 2019 », a indiqué Moussa FakiMahamat.
- Taxe de 0,2% sur certaines importations : non discuté
Cette taxe, également surnommée « taxe Kaberuka », était l’une des mesures phares du projet de réforme de l’UA. Elle doit permettre de financer non seulement le budget de l’Union, mais aussi 75% de ses programmes et 25% de ses opérations de paix.
Si elle a été formellement adoptée par l’UA, sa mise en œuvre, qui revient aux États membres, patine dans plusieurs régions du continent. L’Afrique australe, notamment, y est farouchement opposée : ses pays veulent pouvoir déterminer eux-mêmes comment récolter les recettes nécessaires à leurs contributions.
Selon les chiffres de l’unité de mise en œuvre, 24 États ont déjà mis en place cette taxe ou entrepris de le faire. Ce qui signifie que plus de la moitié des pays du continent n’ont pas encore initié ce processus. Cette question sensible n’a pas été discutée lors du sommet extraordinaire.
- Réintégration des agences du Nepad et du MAEP : validé
Les agences du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) et du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), institutions semi-indépendantes de l’Union africaine, vont être pleinement réintégrées à l’UA. L’agence du Nepad, qui portera désormais le nom d’Agence de développement de l’UA (AUDA), devrait être l’équivalent de ce qu’est le PNUD pour l’ONU.
- Négociations post-Cotonou avec l’UE : compromis trouvé
Alors que l’accord de Cotonou entre l’Union européenne (UE) et les États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) arrivent à expiration en 2020, la Commission de l’UA a souhaité pouvoir négocier directement avec les Européens le prochain accord. Cela permettrait à l’institution panafricaine de peser davantage sur la scène internationale et de mieux atteindre ses propres objectifs.
IL A ÉTÉ CONVENU QUE LE GROUPE ACP CONTINUERAIT DE NÉGOCIER AVEC L’UE, MAIS QU’UN COLLECTIF DE PAYS AFRICAINS COORDONNÉ PAR L’UA SERA CRÉÉ EN SON SEIN
Problème : certains de ses membres, comme les pays d’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud ne font pas partie du groupe ACP et gèrent directement leurs accords avec les Européens. Au final, il a été convenu que le groupe ACP continuerait de négocier avec l’UE, mais qu’un collectif de pays africains coordonné par l’UA sera créé en son sein.
JEUNE AFRIQUE