Nous avons saisi ce contenant qu’est le Dîn et sa nature. Il est le cadre d’adhésion à la transcendance qui donne voie à sa reliance. Il est ce qui répond à la quête de sens inhérente à l’existence humaine et à sa conscience. Quant à son contenu, celui-ci se définit par son effet et son but : qui apaisent l’inquiétude existentielle de l’homme et son insatisfaction perpétuelle de l’ordre naturel des choses ; qui relient et réconcilient l’humain avec le Divin, sa conscience, les autres et enfin toute la création ; qui donnent « corps » à l’expression de ce besoin et de son apaisement ; et offre les voies de dépassement et de pacification (et non d’élimination) de l’ordre naturel vers les buts de sa création cosmique.
Islam-paix : un don de soi à Dieu qui apaise et qui n’est pas soumission
Or pour designer tout ceci en un mot, pour résumer le projet fondamental de ce Dîn, dont les racines se trouvent en l’homme, son contenu dans tout l’univers et ses déploiements dans toute l’histoire spirituelle et politique de l’humanité. Ce mot, ce nom disions-nous, c’est « al-islâm ».
Pourquoi le choix de ce mot pour exprimer le contenu et l’objectif de ce Dîn primordial et permanent, qui se trouve au-delà de l’enchantement et du désenchantement du monde, en amont et en aval des religions, cultures et civilisations, qui se sont construites vis-à-vis de lui, en adhésion ou en négation ?
Revenons, pour comprendre cette raison, à la racine étymologique du terme. Il est issu de la racine « S L M » qui donne le mot « salama » qui donne l’idée de paix, de sécurité et d’abandon de soi. Or la paix « désigne un état de calme et/ou de tranquillité ainsi que l’absence de perturbation, de trouble, de guerre et de conflit ».[1]
Le Dîn de l’Islam est en d’autres termes le dépassement de l’état de nature, qui est tension et lutte pour l’existence, les subsistances et la jouissance contre les autres qui sont, au mieux, perçus comme des concurrents à combattre, au pire, comme des ennemis à éradiquer, en rapport avec une nature qu’il faut exploiter.
« O vous qui avez la foi, entrez donc dans la paix (silm, islam) tout entier et ne suivez point les traces du diable. Car il est pour vous un ennemi déclaré ».[2]
C’est la raison pour laquelle la traduction répandue du terme Islam par celui de soumission, est déjà, en fait, la transposition de la falsification et réduction de Dîn transcendant positif, mené par le dîn immanent négateur et réducteur. Elle dessine aussi l’impact de ce dernier sur la pensée des musulmans et sur leur musulmanisme.
En effet, l’ensemble des occurrences coraniques et la signification que leur reliance et osmose donnent au mot « islam », en cohérence avec la conception globale qu’elles offrent du Divin et de l’Humain, contrevient à toute idée de soumission. Elles entrent frontalement en contradiction avec cette vision négatrice du transcendant, qui confond et réduit la souveraineté Divine avec la seigneurie locale, afin de réduire en esclavage l’humain, tout en justifiant, religieusement et idéologiquement, la domination.
L’Islam c’est le choix pour la transcendance libératrice vers l’au-delà et l’idéal et le refus catégorique de la réduction fétichiste, « naturalisante », mythologique-mécanique et tyrannique. C’est la résistance créatrice (jihad) pour Dieu contre la logique guerrière de la négation du Divin, qui fait de l’homme une chose à domestiquer.[3]
Islâm le Dîn cosmique de l’humain, de la création et des Prophètes
Il s’agit ainsi du Dîn de toute la création, qui selon le Coran est naturellement en état « d’Islam »[4] permanent et de toutes les âmes en quête de sens, qui refusent la soumission à l’ordre des choses.
C’est ce début et ce but, fondamental et incontournable, que tous les Prophètes et toutes les sagesses (révélées et/ou inspirées) ont rappelé, (ré) instauré et essayé de réaliser partiellement, selon l’époque et le lieu, à travers les âges, au sein de tous les peuples[5]. C’est cette fin primordiale, ce Projet continuel et l’héritage spirituel de ses actualisations réformatrices, que le Prophète Mohamed, par le Coran, est venu réveiller, synthétiser, compléter et transcender en sa version universelle et cosmique. Version ultime aux germes révolutionnaires, fertiles et permanentes, qui émerge de toute les consciences juvéniles et peut se planter dans toutes les aspirations à la transcendance qui croient, en conséquence, à la possibilité d’un monde meilleur et de paix à créer pour son au-delà.
Ainsi l’Islam, selon le Coran et la définition ci-dessus qu’il inspire, recouvre l’état « naturel » d’aspiration universelle vers le Divin, l’ensemble des révélations et prophéties qui en sont le rappel et la réalisation partielle, et enfin la dernière révélation qu’est le Coran qui synthétise l’héritage spirituel de l’humanité et en donne la version définitive et cosmique. Et les religions historiques, connues et inconnues, naturelles ou célestes, n’en sont que les réalisations partielles, cristallisées voire recroquevillées sur les particularités communautaires et/ou falsifiées par l’entremise du « dîn » de la négation (ou déligion) du Divin transcendant et donc de l’humain dont il est le sens.
Au-delà des communautés religieuses et de leurs sous-courants sectaires
De ce point de vue, l’Islam ne se confond pas avec les courants religieux au sein de la communauté musulmane que sont le sunnisme, le chiisme et autres (et que nous regroupons sous le terme de musulmanisme) et leur idéologisation politique qu’est l’islamisme. Comme ce n’est point non plus l’appartenance aux différentes communautés religieuses (judaïsme, christianisme, musulmanisme etc.) ainsi que leurs sous courants sectaires idéologiques, qui définit l’adhésion à la paix de Dieu (Islam) et l’entrée au paradis, mais la foi et l’action de bien en conséquence[6].
Comprenons bien, pour le Coran, les anathèmes que les uns et les autres (musulmans compris) se jettent à la figure ne sont rien d’autres qu’un signe de déviance dont il est demandé au Prophète de ne point participer et de s’en tenir à la voie tracée par Abraham, qui est celle de tous les Prophètes, au-delà des religions et des idéologies[7]. Toutes celles et ceux, parmi les communautés religieuses et les peuples du monde, qui font le choix de la transcendance, de Dieu et de ses messagers, sont en quête de lui, ne s’enferment pas dans les interprétations cléricales historiques et cherchent sincèrement à lui plaire, en fidélité à la « fitra » et à leurs révélations respectives, sont de fait, du point de vue Coranique, des « muslimûn ». Encore une fois, ce n’est pas l’adhérence à une communauté particulière qui compte auprès de Dieu mais l’adhésion aux principes auxquels celles-ci (les communautés et religions) doivent être fidèles et inviter le reste de l’humanité à y adhérer[8]. D’où cette vérité énoncée par le Coran, que le musulmanisme ambiant refuse de comprendre dans son imitation du processus de religionisation sectaire des gens Livre :
« Dieu témoigne qu’il n’y a aucun Dieu si ce n’est lui. Ainsi que les anges et les détenteurs du savoir veillant à l’équité, il n’y a pas de dieu si ce n’est lui, le tout puissant, le sage. Le « Dîn » auprès de Dieu est « lui offrir son être et accéder à la paix »(Islam) et les gens à qui le Livre fut donné ne se sont divisés qu’après que la science leur soit venue, par pure animosité entre eux. Et celui qui décide de renier les signes de Dieu (qu’il sache qu’) il est prompt dans ses comptes. S’ils polémiquent avec toi, dit : ‘’j’offre et soumet en paix mon être à Dieu, ainsi que ceux qui me suivent. Et dit (aussi) à ceux à qui le Livre lui fut donné et aux laïcs (oummiyyûn qui n’ont pas de Livre révélé et ne sont pas membre du clergé) adhérez-vous donc à la paix de Dieu par le don de votre être (a aslamtoum) ? S’ils se donnent à Dieu en paix alors ils sont sur la bonne voie. Et s’ils se détournent, ton rôle se limite à transmettre le message. Car Dieu observe constamment les serviteurs ».[9]
C’est bien parce qu’une partie des gens du Livre ont fini par se détourner des principes de l’Islam universel, révélé par tous les prophètes, dont les leurs, que le Coran et le dernier messager les critiquèrent en remettant en cause leurs prétentions à être les « fils et bien-aimés de Dieu »[10], supérieurs au reste de l’humanité qu’ils entendaient/entendent soumettre, en collaboration avec les idolâtries politiques et oligarchiques, clairement négatrice de Dieu, dans l’ambition d’en usurper la souveraineté pour mieux réduire, exploiter et détruire hommes et nature.
La nouvelle communauté, fondée par le dernier messager autour du Coran, héritière des précédentes et témoin pour/de l’humanité[11], se caractérise par cette mission qu’est le passage du particularisme tribal et religieux à l’universalité morale et cosmique. Ce, en faisant de l’ensemble des peuples qui ne reçurent pas de Livre (al-oummiyyoûn) les membres de sa nation universelle (Oumma)[12], afin qu’à partir de ceux-ci (et non pas juste les arabes), en leur leadership inter-changeant[13], l’humanité entière soit touchée à une étape ultérieure (le monde mondialisé en quête de transcendance et d’unité ?).[14] Etape où sa majorité universelle, atteinte par la révélation coranique et la fin du cycle des Prophètes qu’elle annonce, doit se transcender en maturité cosmique qui protégera, refondera, distinguera et reliera les spiritualités et cultures de l’humanité par un esprit d’interconnaissance[15] et d’émulation[16], dans le projet Divin initial et final de civilisation, qui les meut et les englobe en leur uni-diversité qu’elle doit penser et réaliser. C’est là la finalité de son « djihad » spirituel et politique : préserver l’humanité de l’uniformité et de la domination qui corrompt et détruit[17] et lui donner la voie (charia) de sa transcendance.
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