La direction dont parle le Coran a été définie par les différents prophètes qui se succédaient à intervalles irréguliers, selon le temps et l’espace. Chacun d’eux reprenait les fondements de la religion et apportait de nouveaux éléments sociaux et moraux, voire politico-économiques, en fonction des manifestations spécifiques de l’époque et de la maturité des communautés.
Ce cycle se poursuivit jusqu’au Sceau des envoyés (p.p) qui compléta le Message divin et le rendit opératoire jusqu’à la fin des temps. Cette direction ne pouvait être comprise que si l’homme était armé d’une connaissance et d’un langage pour l’exprimer clairement et correctement. C’est dans cette perspective que Dieu apprit à Adam ce qu’il devait apprendre.
« Il apprit à Adam tous les noms, puis Il les présenta aux anges en leur disant : Faites-moi connaître leurs noms si vous êtes véridiques. » Ils dirent : Gloire à Toi ! Nous ne savons rien en dehors de ce que Tu nous as enseigné ; Tu es, en vérité, Celui qui sait, le sage. » (S.2, 31 et 32)
At-Tabari précise que Dieu ne montra aux anges que ce qu’ils connaissaient, que ce qu’Il leur avait appris, à savoir les tendances des hommes à s’entretuer et à imaginer les moyens de destruction. Il les informa, par la même occasion, que l’être créé leur serait supérieur et mieux instruit des choses, contrairement à l’idée qu’ils se faisaient de lui, sous prétexte que leur constitution précédait les générations humaines. Il le prouva en apprenant à Adam des noms, les êtres ailés comprenant que leurs prétentions n’étaient pas fondées et se repentirent, comme devaient le faire tous les croyants pris en faute ou conscients de leur égarement.
Le commentaire du « Manâr » ajoute que si les anges ont besoin du savoir, il est encore plus impérieux à l’humain d’acquérir davantage de connaissances, car il a tendance à nier ce qu’il ne découvre pas lui-même. Le fait de corrompre la terre et le désaveu de la Vérité n’entrent pas dans la fonction des anges ; ils s’insèrent plutôt dans la nature des hommes, appelés à penser et à réfléchir.
Les versets cités nous indiquent également que la révélation est le fondement de la connaissance. C’est ainsi que les anges, s’appuyant sur les expériences antérieures, ignoraient les aptitudes intellectuelles de l’homme. Il a fallu que Dieu les leur révèle. Ce n’est qu’à partir de là qu’ils tirent des conclusions appropriées à la réalité dévoilée. Il en résulte que le savoir humain et sa formation en ce monde ne peuvent être que limités, du moment que son action dépend de ce que Dieu veut bien lui faire connaître. N’oublions pas que l’homme était faible et ignorant au moment de sa création.
« Et Dieu vous a fait sortir des ventres de vos mères, sans que vous sachiez rien. » (S.16, 78).
En dépit de cette faiblesse et de cette ignorance inhérentes à la naissance, cet être pensant parvient à dominer les forces de la nature et à connaître tant de choses parce que, comme le dit la suite du verset Dieu : « vous a assigné ouïe, yeux, et cœur. » (cœur = raison)
Mais quels sont ces noms que Dieu apprit au père de l’humanité ? Les commentateurs interprètent différemment la portée de ce vocabulaire. Pour les uns, Dieu enseigna à Adam les lettres de l’alphabet, les verbes et les noms. D’autres pensent que l’initiation porta sur toutes les langues véhiculaires, connues depuis l’origine de l’humanité jusqu’à la Résurrection.
Le Dr. Aïcha Abderrahmane fait remarquer que Dieu n’avait pas communiqué au premier homme tout le vocabulaire qui allait permettre à l’humanité de s’exprimer à travers les âges et les espaces géographiques puisque, à chaque époque, des mots nouveaux étaient forgés par les hommes en fonction des contextes où ils vivaient.
Le Coran, dit-elle, le confirme et cite ces versets à l’appui de son explication. Ainsi, le prophète Houd s’était adressé aux incrédules en ces termes :
« Allez-vous discuter avec moi sur les noms que vous et vos pères avez donnés à ceux auxquels Dieu n’a accordé aucun pouvoir ? » (S.7, 71).
De son côté, Joseph dit à ces deux compagnons de prison :
« Ceux que vous adorez en dehors de Lui ne sont que des noms que vous et vos pères leur attribuez. » (S.12, 49)
Il ressort de ces deux versets que les hommes avaient appris, plus tard, des noms qu’Adam n’avait pas reçus de son Seigneur. Il est possible alors de comprendre le verset selon cette interprétation du chaykh Mohamed Abdou, pour lequel la science est la manière de saisir les connaissances elles-mêmes. Quant aux mots qui les expriment, ils sont différents et se transforment selon les langues, sans pour autant changer le sens des idées reçues. En ce qui le concerne, Dieu apprit à Adam tous les noms qui, dans l’état de nature du vicariat, le préparèrent à assumer cette responsabilité.
Il s’agissait donc de montrer aux anges qu’il serait armé d’une science qu’eux-mêmes ignoraient ; la preuve en est donnée en enseignant au père de l’humanité les premiers éléments d’un savoir inconnu, au moment de la création, et qui s’avérerait suffisant dans la première phase de l’existence humaine pour connaître son environnement. L’apprentissage intellectuel se réalisa progressivement au gré des circonstances, des inventions et des découvertes, de l’évolution et de la maturité des hommes.
Le Coran précise bien :
« Il vous enseigne ce que vous ne savez pas. » (S.2, 151)
Le verset étudié nous fait prendre conscience que les dispositions innées de l’être humain le destinent à assimiler le savoir dont le Créateur veut bien pénétrer les secrets. La réponse des êtres ailés n’a-t-elle pas été :
« Gloire à Toi ! Nous ne savons rien en dehors de ce que Tu nous as enseigné. » (S.2, 32)
Dieu, Sage et Omniscient, a certainement ouvert les portes de toutes les disciplines littéraires et scientifiques. Il appartient à l’homme d’approfondir ses connaissances, au moyen de la recherche aussi exhaustive que possible. C’est par l’effort intellectuel qu’il saura parfaire les sciences que le Très-Haut met à sa portée, alors qu’il ne l’a pas fait pour les autres créatures. C’est probablement à cause de ce privilège, lié au vicariat, que le Seigneur des mondes ordonna aux anges de s’incliner devant l’homme, en signe d’hommage de ce don dont ils ne bénéficiaient pas eux-mêmes. Il faut préciser que cet honneur ne se restreint pas à la personne d’Adam, qui n’en est que le symbole. A travers lui, c’est à tous les hommes de la terre, conscients de leur responsabilité en ce monde, que ce respect est dû sans pour autant leur rendre un culte, quand bien même il serait mérité.
Ainsi, l’homme a des dispositions intellectuelles qui lui facilitent de recevoir la science et de s’adapter à l’évolution du temps. L’Islam, auquel il adhère, repose sur les efforts à exercer sur soi-même et sur les examens de conscience avant et après la réalisation d’un acte parlé ou écrit.
La pensée sociale couvre divers domaines dont la philosophie, le droit et la vie politique. Les anciennes générations ont marginalisé ou pour le moins n’ont pas accordé à la spiritualité toute la dimension et la profondeur qu’elle mérite et qui s’inscrivent dans ces branches disciplinaires. C’est ainsi que les principes de cette éthique sociale manquent de cette réactualisation en harmonie avec la marche du temps. Il s’ensuit que, d’une manière générale, la pratique de la spiritualité dans la pensée sociale a fait défaut, sinon desséchée, excepté pendant la première période de la naissance de l’Islam.
A notre époque, nous sommes témoins de grands changements civilisationnels, qui revêtent les notions de droits de l’homme et des peuples de nouvelles définitions. Ces mouvements perpétuels interpellent l’islam, engrangé dans un passé pourtant révolu, parce qu’il représente à la fois une pensée civilisationnelle et une force géo-politico-économique. Il s’ensuit que la religion islamique s’est plus ou moins déspiritualisée à la suite de la réaction des théologiens contre un soufisme défiguré par une fausse croyance populaire mais, surtout et essentiellement, par le souci de la pensée rationalisée à une époque où l’esprit scientifique s’inscrit en première ligne dans la quête du savoir et de la connaissance.
L’interpénétration entre le spirituel et le temporel a été obtenue au détriment du premier, du moment que la génération politique de l’époque contemporaine avait pour souci la recherche d’un renouveau politique des sociétés musulmanes, empêtrées dans une dangereuse décadence, afin de pouvoir être au diapason avec les données de la modernité de notre siècle. Les fondements de la spiritualité ont été négligés sous prétexte à la fois, semble-t-il, de leur irrationalité et de l’irréalité de leur pratique, bien que la religion soit omniprésente dans la vie sociale et que la genèse coranique accorde la primauté au spirituel par rapport aux autres modes de pensées.
La vision du devenir de l’homme coranique et de l’univers dans lequel il évolue ne saurait se laisser galvauder par une matérialité trompeuse et les élucubrations de la raison, tant soit peu immorale, déshumanisée et désacralisée. A l’origine, la vision spirituelle de l’homme en Islam a été animée par le souffle divin, élevée au rang de vicaire sur terre et, de plus, enrichie par un entendement et un discernement que les autres créations n’ont pas reçus. Ainsi, l’homme a bénéficié d’al-amâna, qui est une fidélité et une responsabilité envers le pacte divin. Cet ensemble de prérogatives accordées à l’être humain élève ce dernier, une noblesse en échange du témoignage éternel de l’Unicité divine.
Ces fondements spirituels, sur lesquels repose le devenir de l’homme, se déploient dans le domaine de la morale sociale qui s’exprime par l’unicité de la race humaine, l’égalité des hommes et des peuples devant Dieu, ainsi que le respect de la dignité humaine.
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