(Agence Ecofin) – La concurrence géopolitique autour de l’Afrique se fait désormais à coups d’opérations d’influence et de guerre de l’information savamment orchestrées par des acteurs aussi bien externes au continent que locaux. Médias sociaux, relations publiques, recrutement d’une main-d’œuvre locale, tout y passe…
Le continent africain est devenu un champ de bataille à part entière pour les opérations d’influence et la guerre de l’information que se livrent les acteurs de la géopolitique, tant au niveau international qu’au plan local. C’est ce que révèle l’édition 2020 du rapport « Africa Risk-Reward Index », élaboré par le cabinet d’expert-conseil mondial sur les risques, Control Risks et NKC African Economics, filiale majoritaire d’Oxford Economics, spécialisée dans la recherche politique et macroéconomique en Afrique.
Le rôle de l’Afrique a été souvent minimisé dans la guerre mondiale de l’information, souligne le rapport. Les analystes reléguaient le continent au rang de simple terrain d’entrainement où les « acteurs externes » testaient des « tactiques de désinformation » pour les utiliser ailleurs.
Une donne qui s’est toutefois modifiée en raison de la géopolitique de plus en plus compétitive sur le continent visant, en grande partie, à obtenir des opportunités commerciales. L’objectif étant également de manipuler le débat public afin de faire pression sur un gouvernement, d’influencer les résultats des élections ou obtenir un autre objectif stratégique.
Des opérations impliquant des acteurs tant externes que locaux
L’Africa Risk-Reward Index fait remarquer que de nombreux « acteurs externes » sont devenus actifs dans les opérations d’influence et de désinformation sur le continent. Le rapport cite, par exemple, Facebook qui depuis janvier 2019 a annoncé l’identification et la suppression de réseaux de « comportements inauthentiques coordonnés » provenant d’acteurs externes – Iran, Israël, Russie, Emirats arabes unis et Arabie saoudite – ciblant au moins 23 pays Africains.
D’autres rapports suggèrent que les acteurs russes ont cherché à s’immiscer dans au moins 20 élections africaines et que des acteurs des pays du Moyen-Orient et de l’Occident ont tenté d’influencer les discours nationaux sur des questions telles que le conflit en Libye.
Au niveau national, de nombreuses campagnes électorales ont déjà vu des allégations de complicité entre les partis d’opposition et les intérêts commerciaux étrangers et les entreprises étrangères comme boucs émissaires de problèmes économiques.
Par exemple, lors des élections générales de 2016 en Zambie, le chef de l’opposition Hakainde Hichilema et « un conglomérat d’hommes d’affaires miniers » ont été accusés par les partisans du gouvernement de travailler ensemble pour « faire avancer leurs intérêts capitalistes […] avant ceux de la nation ».
Réseaux sociaux et relations publiques
Il est prouvé que les médias sociaux ont été utilisés par des acteurs politiques pour manipuler l’opinion publique en Angola, en Egypte, en Erythrée, en Ethiopie, au Kenya, en Mauritanie, au Nigeria, au Rwanda, en Afrique du Sud, au Soudan, en Tunisie et au Zimbabwe, explique le rapport. Ajoutant que la croissance rapide de l’utilisation des médias sociaux en Afrique rendra plus efficaces les campagnes en ligne uniquement, moins chères.
Cependant, les opérations d’influence en Afrique ne concernent pas uniquement les réseaux sociaux. Les actions de relations publiques sont également fortement utilisées sur le continent.
Lors de l’élection présidentielle de 2018 à Madagascar, la majorité des activités documentées des acteurs russes étaient hors ligne – ce qui est compréhensible, étant donné que seulement 8,4% de la population utilisait les médias sociaux. Des conférences ont été organisées, un journal a été imprimé, des annonces hors ligne ont été achetées, des groupes de discussion ont été organisés, des pétitions ont été organisées et des gens payés pour se présenter aux rassemblements. Une grande partie de ces messages a été utilisée pour promouvoir des récits anti-occidentaux – et en particulier anti-français. Le sentiment anti-français à Madagascar a périodiquement motivé des attaques contre des entreprises françaises et alimenté l’instabilité politique, fait remarquer Control Risks.
L’« africanisation » des opérations d’influence
Ces dernières années ont vu une tendance d’acteurs externes à développer une partie de leurs opérations par l’intermédiaire d’individus en Afrique et à établir des liens avec des acteurs locaux pour cibler des pays étrangers ou d’autres pays africains, révèle le rapport. La tactique rend plus difficile l’identification de l’auteur ultime et augmente les apparences d’authenticité. De plus, elle permet de créer une main-d’œuvre expérimentée dans la réalisation d’opérations d’influence et disposée à travailler pour le plus offrant.
Pour Control Risks, la concurrence géopolitique autour de l’Afrique se poursuivra et les opérations d’influence resteront une tactique utilisée par toutes les parties. Avec le risque évident que les tactiques des opérations d’influence – en particulier, l’exploitation de récits sur les réseaux sociaux pour déclencher l’interaction et le dialogue des utilisateurs – soient facilement tournées vers l’activisme, la cybercriminalité ou le terrorisme.
Borgia Kobri