Ce qu’il faut retenir pour l’Afrique du rapport mondial sur les inégalités 2022

Le continent reste en moyenne une des zones les plus inégalitaires au monde. Dix pourcents de la population y captent plus de la moitié des revenus. Les femmes sont les principales perdantes de cette situation.

Prévu en 2020, mais repoussé en raison de la pandémie de Covid, le second rapport mondial sur les inégalités, amorcé notamment par l’économiste Thomas Piketty, montre sans surprise une persistance de situations très contrastées sur le continent.

L’édition 2021, pilotée par Lucas Chancel, codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales, s’appuie comme en 2018 principalement sur les enquêtes réalisées auprès des ménages par les instituts nationaux de statistiques. Des données qui en Afrique sont parfois incomplètes ou datent de plusieurs années, et font l’objet d’imputations statistiques. Le cas de la Libye où elles sont totalement absentes reste exceptionnel.

La RDC, la Côte d’Ivoire et le Cameroun sont des pays très inégalitaires

Dans les pays subsahariens, le revenu moyen ne représente que 31 % du revenu moyen mondial et les 10 % les plus riches (top 10) captent plus de la moitié (56 %) du montant agrégé sur cette zone. C’est plus qu’aux États-Unis, où cette frange s’octroie 45 % du total et beaucoup plus qu’en Europe, où sa part n’est que de 35 %.

Poids de la colonisation

L’Afrique du Sud détient dans ce domaine la palme. Dix pourcents de ses habitants y captent un peu plus des deux tiers des revenus (66,54 %). La part du top 10 a augmenté d’environ 20 points de la fin des années 1990 à 2015, quand celle de la moitié de la population la plus pauvre baissait fortement. Suivent parmi les pays les plus inégalitaires, la Centrafrique, le Mozambique, la Namibie, la Zambie, où le top 10 truste aussi plus de 60 % de l’ensemble des revenus.

Les grandes puissances économiques francophones subsahariennes comme la Côte d’Ivoire et le Cameroun sont elles également au-dessus de la barre des 50 %, les 10 % les mieux lotis s’y arrogeant respectivement 55 et 52 % de l’ensemble des revenus. Le Maroc fait à peine mieux dans ce domaine avec presque 50 %, ce qui n’est pas le cas du géant nigérian, première économie du continent, où leur part est de 43 %, à peine plus qu’au Mali (41 %).

L’Algérie est de ce point de vue le pays le plus égalitaire d’Afrique, le top 10 cumulant 37 % du revenu national. L’écart entre les mieux dotés et les plus pauvres, stable sur les dix dernières années, avait sensiblement baissé dans les années 1990. Néanmoins, le manque de disponibilité des données limite la portée de cette constatation.

Selon les chercheurs, la colonisation et son héritage pourraient encore aujourd’hui être à l’origine de cette grande concentration des revenus avec des écarts plus grands dans les pays où la présence des descendants des colons est la plus forte et où l’indépendance est la plus récente.

Le Maroc, mauvais élève face à l’Algérie

En Afrique du Nord, l’adoption après la colonisation de régimes d’obédience panarabiste orientés vers des objectifs plus sociaux aurait induit des inégalités moins importantes, selon les auteurs de l’étude. Au Maroc, qui a conservé un système monarchique, les revenus sont par exemple moins bien répartis qu’en Tunisie ou en Algérie.

L’étude met aussi en évidence, sans surprise, la très forte concentration de la richesse. Dans les pays subsahariens, les 1 % les plus riches ont capté 38 % du total, et c’est plus fort encore dans la zone Moyen-Orient–Afrique du Nord, où cette proportion atteint 44 %. L’objectif des chercheurs est d’approfondir leur travail en intégrant dans les prochaines éditions des données fiscales. Mais ils font face à la réticence d’un certain nombre d’États, explique Anne-Sophie Robilliard, coordinatrice de l’étude pour la zone Afrique.

Dans cette seconde édition du rapport mondial sur les inégalités, les économistes se sont également intéressés à la part des revenus du travail allant aux femmes. La parité dans ce domaine apparaît pour l’heure hors d’atteinte puisqu’elles ne captent à l’échelle de la planète que 35 % du total. Ce chiffre reflète à la fois la participation des femmes au marché du travail, mais aussi la différence de revenu entre les genres.

Au Maghreb, la part des revenus nationaux allant aux femmes est compris entre 12 et 20 %

Une fois encore l’Afrique reste parmi les zones les moins égalitaires. Dans les pays subsahariens, la part de revenu allant aux femmes est de 28 %. Si l’Afrique du Sud (36,3 %, en hausse de 10 points depuis 1990), la Namibie ou la Guinée Bissau se distinguent positivement avec des pourcentages supérieurs à 30 %, ces derniers sont compris entre 15 et 10 % au Niger, au Tchad ou en Somalie. Le constat est identique au Maghreb où la part des revenus nationaux allant aux Algériennes, aux Marocaines et aux Tunisiennes n’est respectivement que 12, 15 et 20 %.

Empreinte carbone

Dernière innovation du rapport 2021 : l’étude de l’empreinte carbone (production nationale et importations) des populations en fonction de leurs revenus. L’Afrique subsaharienne est de ce point de vue la région la moins polluante. Les dix pourcents des individus ayant les plus hauts revenus au sud du Sahara émettent moins de tonnes de CO2 (7,3 tonnes par an) que les Nord-Américains appartenant aux 50 % les moins bien dotés (9,7 tonnes).

Le rapport entre les plus hauts et les plus bas revenus marque en revanche une nouvelle fois une grande inégalité. Le top 10 subsaharien pollue 14,6 fois plus que la moitié de la population de la région. C’est aussi le cas dans la zone Moyen-Orient–Afrique du Nord, alors que cette même tranche de citoyens émet 9,6 fois plus en Amérique latine, 7,5 fois plus en Amérique du Nord et 5,7 plus en Europe.

À l’occasion de la publication du rapport, auquel a contribué une centaine de chercheurs, l’équipe qui gère la base de données sur les inégalités mondiale a mis en ligne un comparateur de patrimoine et un comparateur de revenus  permettant aux internautes de se situer par rapport à la population de leur région.

Par jeuneafrique