Quand l’Afrique tente de prendre son indépendance dans l’approvisionnement des produits pharmaceutiques

(Agence Ecofin) – 97%. Ce chiffre représente la part des importations dans l’approvisionnement annuel du continent africain en produits pharmaceutiques. Issu d’un rapport publié conjointement en juin dernier par l’Agence française de développement (AFD) et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), il illustre la dépendance de la majorité des pays africains vis-à-vis des industries pharmaceutiques étrangères. Alors que la pandémie de Covid-19 a mis en évidence ces faiblesses, des initiatives voient le jour depuis quelques mois pour changer la donne, même si le chemin pour y parvenir est encore long. Explications.

La pandémie de Covid-19 a mis à rude épreuve la solidarité de la communauté internationale. Les pays riches ont joué à fond la carte de l’intérêt national, même vis-à-vis d’alliés séculaires. L’épisode de cette cargaison de masques destinée à la France et raflée à coups de surenchères par les Etats-Unis sur le tarmac d’un aéroport chinois est encore dans les mémoires. Au-delà de ces frictions ponctuelles entre intérêts de pays riches, le coronavirus a aussi mis en évidence des faits connus de tous les acteurs de la santé en Afrique, mais qui n’inquiétaient pas grand monde jusque-là : la faiblesse du plateau technique et surtout l’absence d’une solide chaine d’approvisionnement locale pour les produits pharmaceutiques.

 

1 PharmacieLes importations africaines de produits pharmaceutiques ont dépassé 20 milliards $ en 2018.

 

L’insuffisance de respirateurs, de bouteilles d’oxygène ou de masques a certes été faiblement préjudiciable à la santé du personnel soignant et des populations, dans la plupart des pays africains, mais seulement en raison d’un faible taux d’hospitalisation lié à la maladie, au cours des premières vagues.

 

Africa CDC indique que moins de 7% de la population africaine était entièrement vaccinée fin novembre. Cela relativise le discours qui stigmatise le refus de la vaccination par les Africains pour expliquer la faible couverture vaccinale.

 

Cependant, la mise au point des vaccins et le début de la commercialisation entre fin 2020 et début 2021 ont révélé les faiblesses du continent. Sans installations de production de vaccins, les pays africains s’en sont en effet remis à la solidarité des pays riches, un soutien de la communauté internationale qui a montré ces limites, une fois de plus. Alors que plus de la moitié des doses disponibles sur le continent ont déjà été effectivement injectées, les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) indiquent que moins de 7% de la population africaine était entièrement vaccinée fin novembre. Cela relativise le discours qui stigmatise le refus de la vaccination par les Africains pour expliquer la faible couverture vaccinale. Il faut dire que le milliard de doses (et bien plus) promis au continent par les pays riches n’est toujours pas entièrement disponible.

Dépendance en hausse

Malgré plus d’un demi-siècle d’indépendance politique pour la plupart des pays africains, la dépendance dans le secteur pharmaceutique demeure sur une pente ascendante. Selon le rapport de l’AFD et de la CEA, les importations totales de produits pharmaceutiques du continent ont dépassé 20 milliards $ en 2018, contre seulement 4,2 milliards $, vingt ans plus tôt. Certes, les exportations africaines de produits pharmaceutiques ont augmenté, passant de 0,2 milliard de dollars en 1998 à 1,4 milliard de dollars en 2018, mais la balance commerciale est clairement en défaveur de l’Afrique. Le déficit commercial africain dans le secteur pharmaceutique s’est ainsi accru sur la période, atteignant 18,6 milliards $ en 2018, contre 4 milliards $ en 1998.

 

2 marcheUn marché intra-africain commence à se développer.

A en croire les données du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) et de la Base pour l’analyse du commerce international (BACI), utilisées dans le rapport, c’est l’Afrique subsaharienne qui domine le classement des importateurs de médicaments et autres produits pharmaceutiques, puisque les six premiers pays viennent de la région, avec en tête le Sénégal et ses près de 90 millions $ d’importations en moyenne entre 2016 et 2018. L’Union européenne est le principal fournisseur du continent avec plus de 48% des importations sur la période, suivie de l’Inde, de la Suisse et de la Chine.

 

L’Union européenne est le principal fournisseur du continent avec plus de 48% des importations sur la période, suivie de l’Inde, de la Suisse et de la Chine.

 

Les deux puissances asiatiques assurent plus de 22% des importations africaines de produits pharmaceutiques. Or, elles ont toutes deux subi d’importantes vagues épidémiques qui ont eu un impact sur les capacités de production et amené les gouvernements de ces pays à instaurer des restrictions. Hub pharmaceutique mondial, l’Inde a, par exemple, interdit les exportations de 26 principes actifs et préparations pharmaceutiques utilisés dans la fabrication de médicaments génériques, au plus fort de la pandémie, en 2020. Cela a privé les quelques producteurs africains des matières premières indispensables pour la production des médicaments et a ralenti la lutte contre des maladies comme le paludisme, la tuberculose ou encore le VIH, très présents sur le continent.

Quelques hirondelles ne font pas le printemps

L’Afrique dispose en effet de quelques leaders dans la fourniture de produits pharmaceutiques. En moyenne entre 2016 et 2018, les six premiers exportateurs du continent ont vendu pour plus de 500 millions $ de produits pharmaceutiques. Il faut souligner que ce commerce est principalement intra-africain puisque près de 42% des exportations sont à destination d’autres pays du continent. Vient ensuite l’UE avec 25% et un peu plus de 6% vers le Yémen et l’Arabie saoudite. Notons que seulement 4 pays assurent 70% des exportations intra-africaines de produits pharmaceutiques, avec en tête l’Afrique du Sud, suivie du Kenya, du Ghana et de l’Egypte.

« L’Afrique du Sud et le Maroc réussissent à couvrir 70 à 80 % de leurs besoins pharmaceutiques tandis que, dans certains pays d’Afrique centrale, 99 % des médicaments sont importés », indique un rapport de Proparco, publié en 2017.

 

« L’Afrique du Sud et le Maroc réussissent à couvrir 70 à 80 % de leurs besoins pharmaceutiques tandis que, dans certains pays d’Afrique centrale, 99 % des médicaments sont importés », indique un rapport de Proparco, publié en 2017.

 

Malheureusement, comme indiqué plus haut, même ces pays plutôt autosuffisants dépendent souvent de l’extérieur, en ce qui concerne l’approvisionnement en matières premières. De plus, les produits pharmaceutiques importés sont plus compétitifs que ceux produits sur le continent, comme le rappelle Proparco. Cette contrainte encourage aussi le développement de l’industrie des faux médicaments sur les marchés locaux. « Ceux qui n’ont pas les moyens se tournent vers le marché parallèle pour acheter un médicament non contrôlé, qui est au mieux inefficace, au pire dangereux. Ce marché du médicament contrefait représente près de 60 % des médicaments consommés en Afrique », explique Mehdi Sellami, directeur scientifique de Galpharma, un laboratoire de production de génériques en Tunisie, cité par le journal français Le Point.

Des motifs d’espoir malgré tout

Pour surmonter ces difficultés, les Etats africains, avec le concours de l’Union africaine et d’autres organisations, misent aussi bien sur la coopération sous-régionale que sur les efforts nationaux.

agenceecofin.

 

3 africainLes pays africains ne doivent plus compter sur la solidarité des pays riches.

 

Dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, le Sénégal et le Rwanda ont ainsi conclu un accord avec le nouveau géant pharmaceutique BioNTech pour lancer, d’ici le premier semestre 2022, la construction d’une première usine de vaccins à ARN messager contre la Covid-19. De son côté, le Maroc compte injecter 500 millions $ dans la mise en place d’installations locales de production des vaccins, mais aussi d’autres produits, en partenariat avec le suédois Recipharm, cinquième plus grand sous-traitant mondial de l’industrie biotechnologique. Notons aussi que la création de l’Agence africaine du médicament et l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine devraient faciliter la coopération entre les pays du continent.

Emiliano Tossou